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78ème FESTIVAL DE CANNES - TOUTES LES TEMPÊTES DU MONDE DANS UNE COUPE DE CHAMPAGNE ?

par Cannes : TEWFIK HAKEM

Si le côté glamour et festif reste la vitrine stratégique du plus grand festival de cinéma du monde, les films, pour un nombre important d'entre eux, abordent les drames contemporains qui reflètent le monde tel qu'il va (très mal).

Chronique des polémiques à venir sur fond de différends politiques majeurs et de points de vue irréconciliables.

Le drame palestinien d'abord et avant tout. Vu la gravité de la situation, vu la terrifiante incapacité de la communauté internationale et tous les représentants du genre humain à arrêter les massacres en cours, on comprend que plusieurs mobilisations du secteur cinéma soient prévues pour alerter sur la situation à Gaza, mais qu'est-ce qu'on verra dans les films qui nous arrivent de la Palestine ?

Il sera également question, au fil des films présentés, de la guerre russo-ukrainienne, de l'Iran, des migrants, des nouveaux rapports géopolitiques, de la montée des extrêmes droites à peu près partout dans le monde et plus particulièrement en Occident.

Toute la misère du monde sur grand écran, et toute la richesse de la Côte d'Azur pour terminer la soirée avec champagne frais et petits fours chauds. Cannes, c'est la mère de tous les contrastes.

D'un territoire à l'autre, voyons voir ce qui nous attend et comment les polémiques accompagnent quelques films très attendus sur les fronts politique et esthétique à Cannes.

• PALESTINE. Le 16 avril dernier, la jeune photo-reporter Fatima Hassouna, 25 ans, a été tuée par l'armée israélienne, dans un bombardement qui a décimé toute sa famille. Sa voix résonnera néanmoins à Cannes cette année. Pas dans les sélections officielles, mais dans le programme parallèle de l'ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion). Le documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk, de l'iranienne Sepideh Farsi, qui était en contact avec Fatima Hassouna est très attendu. « Ce film est ma réponse aux massacres en cours des Palestiniens. Ma façon de ne pas perdre la tête», a déclaré la réalisatrice Sepideh Farsi.

• Si on ne peut être ravi de retrouver le cinéma des frères Arab et Tarzan Nasser dans la sélection Un Certain Regard, on craint que leur film ne soit pas synchrone avec la tragédie qui se joue en ce moment à Gaza, où les frères jumeaux sont nés en 1988. Le synopsis de leur film Il était une fois à Gaza laisse à penser qu'il s'agit d'une comédie à la Tarantino avec un trafic de drogue dans les cuisines de falafels. Face à la montée des protestations, leur producteur, Rani Massalha, multiplie les interviews. Au quotidien Le Monde, il explique que «l'humour et le cinéma de genre sont mis au service d'une critique politique acerbe, dénonçant les conditions de vie absurdes auxquelles font face les Gazaouis». Côté israélien, Yes, de Nadav Lapid, sera présenté à la Quinzaine des cinéastes. Le cinéaste connu pour ses positions contre l'occupation revient à Cannes avec le premier film qui se situe au lendemain de l'onde de choc du 7 octobre 2023. Les débats risquent d'être houleux et les contrôles des sacs plus nombreux et plus fouillés.

• UKRAINE. Une programmation dédiée à l'Ukraine a eu lieu hier, peu avant l'ouverture officielle. Avec trois documentaires inédits. Zelenski, un portait du président ukrainien réalisé par Yves Jeuland, Lisa Vapné & Ariane Chemin. Notre guerre, un film de Bernard-Henri Lévy et A 2.000 mètres de Mstyslav Chernov. Quand Bernard-Henri Lévy est à Cannes, ce n'est pas bon signe.

• L'IRAN. Deux cinéastes iraniens en compétition officielle, cela ne s'était jamais vu (ou alors on n'a pas bonne mémoire) ! Deux grands metteurs en scène aux styles très différents. Au cinéma poétique et politique de Jafar Panahi (déjà multi-primé à Cannes, pour Le Ballon blanc, 1995, Sang et or, 2003, et Trois visages, 2018), on peut préférer celui plus tonitruant de Saeed Roustaee. Ses films La Loi de Téhéran (2019), et Leila et ses frères (2022) n'ont pas remporté de prix à Cannes, mais ils ont été deux grands succès internationaux. Une polémique enflamme le petit monde du cinéma. Contrairement à Jafar Panahi, Saeed Roustaee n'est pas un cinéaste dissident. Il tourne en Iran, parfois avec les contraintes qui vont avec. Certains artistes et intellectuels de la diaspora lui reprochent d'être à la solde des autorités du pays. La preuve, avancent-ils, ses comédiennes portent le hidjab. « Peu importe la qualité du film de Saeed Roustaee : son acceptation au Festival de Cannes marque le retour sur la scène internationale de la République islamique à travers le cinéma, alors qu'elle en avait été largement écartée pendant plus de deux ans et demi», s'insurge dans les colonnes de M, le magazine le cinéaste iranien exilé Vahid Vakilifar. En tant que cinéphile, on ne va pas se voiler la face, on attend avec plus d'excitation Woman and Child de Saeed Roustaee que Un simple accident de Jafar Panahi.

• LES MIGRANTS. Des migrants africains fuyant la misère rêvent de rejoindre l'Europe. En attendant, ils sont traqués et malmenés dans les villes et les faubourgs de Tunisie. Les images de la répression violente des migrants et la libération de la parole raciste dans un contexte sud-sud, ont profondément choqué le petit monde arty-intello maghrébin. Le film de la tunisienne Erige Sehiri, Promis le ciel, qui fera, aujourd'hui, l'ouverture du Certain Regard traite de ce sujet pour le moins sensible. Au moins on peut applaudir la vitalité du cinéma de nos voisins qui continue sa percée dans les festivals du monde.