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SINGAPOUR
- Les deux dernières années ont été catastrophiques pour les investisseurs en
bons du Trésor américain. D'un certain point de vue, 2022 a été la pire année
pour ces investisseurs depuis 1788. Les prix des obligations sont sur le point
de chuter à nouveau en 2023, ce qui en fait la première fois dans l'histoire
américaine qu'ils baissent pendant trois années consécutives.
Mais à présent, le « smart money» rentre dans la danse. Avec des taux d'intérêt sur les bons du Trésor à dix ans proches de 5%, soit plus du triple de ceux d'il y a deux ans, les rendements sont attractifs. Si les facteurs fondamentaux qui les sous-tendent n'ont pas radicalement changé, il est alors possible que les taux d'intérêt baissent et que les prix des obligations se redressent maintenant que la peur de l'inflation est passée. Mais c'est bien connu, avec des « si», on met Paris en bouteille. Mais penchons-nous sur ces points fondamentaux. Le taux d'intérêt sur les obligations devrait refléter le taux d'intérêt réel naturel, ou neutre, sous-jacent, plus l'inflation attendue sur la période de détention. Une série de mesures montre que l'inflation tourne autour de 3%, ce qui contredit les avertissements d'une période d'inflation chronique élevée qui dépasse considérablement l'objectif de 2% de la Réserve fédérale. Le « seuil de rentabilité» des titres du Trésor indexés sur l'inflation indique également une inflation attendue inférieure à 3% au cours des dix prochaines années. Le dernier kilomètre - le dernier point de pourcentage nécessaire pour ramener l'inflation à 2% - pourrait s'avérer le plus difficile à réaliser. Mais le seul message qui peut être tiré de manière crédible des performances récentes de la Fed, c'est que la banque centrale reste engagée à atteindre son objectif déclaré. Il est donc difficile de justifier l'ajout de plus de 100 points de base supplémentaires aux rendements des bons du Trésor sur la base de l'inflation attendue. Quant au taux d'intérêt naturel, connu par les initiés sous le nom de r*, ceux qui ont cherché à l'estimer ont fait couler des océans d'encre. La seule chose sur laquelle les experts s'accordent, c'est que les déterminants de r* évoluent lentement, le taux évoluant à la hausse et à la baisse pour équilibrer l'épargne globale et les investissements. Les taux d'épargne, quant à eux, dépendent de facteurs démographiques qui évoluent lentement : la part de la population en âge de travailler et la longévité des retraités. Ceux qui parlent d'une « surabondance mondiale de l'épargne» nous rappellent que l'épargne américaine n'est pas la seule à avoir de l'importance. Si la croissance du PIB chinois ralentit, ce qui réduit l'épargne chinoise, ou si la Chine rééquilibre de l'épargne vers la consommation, cela peut également affecter le taux naturel. Mais tout porte à croire que ces changements structurels sont tout aussi progressifs et continus. Les décideurs chinois parlent d'un jeu ambitieux, mais avancent progressivement, traversant la rivière en sentant les pierres sous leurs pieds, comme le dit un proverbe chinois. Leur progression lente mais régulière ne laisse pas présager de changements brusques de r* au cours des deux dernières années. En outre, r* variera en fonction de la croissance potentielle de l'économie, car une croissance élevée rendra les investissements supplémentaires attrayants et un taux d'intérêt réel plus élevé sera alors nécessaire pour obtenir l'épargne correspondante. L'enthousiasme pour l'intelligence artificielle indique la possibilité d'une croissance plus rapide. Mais l'expérience suggère la nécessité d'une longue période d'adaptation et de réorganisation avant que les nouvelles technologies à usage général n'entraînent une croissance plus rapide. Il s'ensuit que tout impact sur la productivité ne se matérialisera qu'avec le temps. Certes, les investissements industriels américains ont bondi depuis l'adoption de la Loi sur la réduction de l'inflation et de la Loi CHIPS and Science Act. Mais du point de vue de l'ensemble de l'économie, le changement qui en résulte pour le taux investissement/PIB est faible, car la part du secteur industriel est faible. En fait, les investissements fixes non résidentiels par rapport au PIB sont en baisse par rapport à la moyenne des cinq années précédant immédiatement la pandémie de COVID-19. Sans surprise, l'estimation de la Fed de New York en juin 2023 montre que r* a à peine bougé au cours des deux années précédentes. Si l'on compare ces données aux données récentes sur l'inflation, on peut penser que le marché obligataire est survendu. Deux autres variables peuvent également influer sur les perspectives du marché obligataire. L'une est l'incertitude géopolitique, qui a culminé avec les événements récents au Moyen-Orient. Historiquement, une telle incertitude a favorisé les bons du Trésor, qui sont un refuge pour les investisseurs qui valorisent la liquidité par-dessus tout en période d'incertitude. En fait, cependant, les rendements, plutôt que de baisser, ont légèrement augmenté depuis que le Hamas a attaqué Israël le 7 octobre. Néanmoins, si l'incertitude géopolitique reste élevée ou augmente encore, nous devrions nous attendre à voir ces flux refuge se réaffirmer. L'autre inconnu connu est l'offre de la dette. Avec des déficits chroniques du gouvernement fédéral, les rendements devront augmenter pour que les investisseurs puissent absorber les émissions supplémentaires du Trésor. Sans aucun doute, il y aura maintenant davantage de dépenses de défense. La résistance du camp Républicain à des impôts plus élevés ne fera que se durcir sous le nouveau Président de la Chambre des Représentants des Républicains, tandis que les Démocrates résisteront à des réductions dans d'autres dépenses. La loi de Stein - « si quelque chose ne peut pas durer éternellement, cela s'arrêtera» - pourrait finalement s'appliquer dans ce contexte, mais seulement après que les rendements auront atteint des niveaux encore plus élevés que ceux que les investisseurs envisagent actuellement. De toute évidence, une incertitude considérable entoure le marché obligataire. Dans ces circonstances, une seule règle s'applique : il ne faut jamais demander des conseils en placements à un professeur. *Professeur d'économie et de science politique à l'Université de Californie à Berkeley. Il a publié dernièrement : In Defense of public Debt (Oxford University Press, 2021). |
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