|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Quantitative easing : Comment 300 milliards de dollars de bons de Trésor
passés de la poche gauche à la poche droite du pantalon d'Olivier Delamarche ont fait 600 milliards de dollars ?
Pour comprendre prenons deux pays. Un pays qui n'a pas de monnaie internationale, i.e. de réserve et un pays qui a une monnaie internationale. Étudions le premier cas et ensuite le deuxième. Pour le premier, prenons n'importe quel pays, l'Algérie, par exemple. Postulons que le Trésor public algérien émet des bons de Trésor qui sont des titres d'Emprunts. Tout acheteur d'un bon de Trésor se retrouve créancier de l'État. L'État s'engage alors à rembourser l'acheteur à une échéance déterminée, et à lui verser régulièrement des intérêts avant cette échéance. Et ces bons de Trésor sont achetés par les banques accréditées par le Trésor sur le marché primaire (interbancaire) et revendus sur le marché secondaire aux compagnies d'assurances, banques privées, entreprises et particuliers. Postulons un montant de 300 milliards de dinars pour une maturité de cinq ans. La totalité de ces bons vendus, le Trésor empoche donc 300 milliards de dinars. Il faut préciser que les achats de ces bons de Trésor ne sont réglés qu'en monnaie centrale, non en monnaie scripturale que créent les banques de second rang lorsqu'elles octroient des crédits. La différence entre une monnaie centrale et une monnaie scripturale est qu'une monnaie centrale est garantie par l'État, dans le sens qu'il ne fait pas faillite. Un billet de 1000 dinars restera toujours un billet de 1000 dinars. De même pour les autres billets. Par contre, une banque qui émet de la monnaie scripturale qui est la monnaie qui est inscrite dans les comptes bancaires, peut faire faillite. Se rappeler la faillite d'El Khalifa Bank, la liquidation de la banque et la garantie à hauteur de 600.000 dinars par compte par le Fonds de garantie des dépôts. Et les pertes considérables des clients qui avaient déposé des fonds dans cette banque bien plus supérieurs que le minimum remboursé. Cette distinction faite, les entreprises, les particuliers, etc. règlent en espèces (billets de banque), donc de la monnaie centrale qu'émet l'institut d'émission de la Banque d'Algérie. Pour les banques privées qui ont des comptes auprès de la Banque d'Algérie, elles règlent en monnaie centrale. Leur compte est débité du même montant de la valeur des bons de Trésor achetés au profit du Trésor. Postulons, maintenant, que 5 années sont passées, et le Trésor doit rembourser ses bons de trésor. Il arrive que, le prix du pétrole étant bas et la balance courante étant négative, l'État enregistre encore des déficits budgétaires qu'il n'arrive pas à financer. Le gouvernement demande alors à la Banque centrale de rembourser ces emprunts arrivés à échéance. Que fera la Banque centrale ? Elle n'a pas de solution sinon à émettre des billets et de l'écriture comptable. En d'autres termes, elle créé de l'argent ou, dans les faits, elle fait marcher la « planche à billets ». Ainsi, elle crédite les banques agréées pour qu'elles remboursent les institutions non financières (entreprises, particuliers...) en espèces, et les institutions financières (banques, etc.), en écriture comptable ? elle crédite leurs comptes qu'elles ont auprès d'elle par de la monnaie centrale électronique. Au final, qu'a-t-elle fait la Banque d'Algérie ? Elle a monétisé la dette du Trésor. Elle n'avait pas d'autres moyens. En remboursant tous les acheteurs, la Banque centrale qui détient maintenant les 300 milliards de dollars devient la créancière du Trésor algérien. Et cette politique monétaire n'est d'ailleurs pas propre à l'Algérie. Tous les pays du monde, que ce soient la Russie, le Brésil, l'Inde, l'Égypte, la Tunisie, le Maroc, etc., l'appliquent. Ce mécanisme est appelé une politique monétaire non conventionnelle. En réalité, ce mécanisme est courant lorsqu'un État a des difficultés financières pour boucler son budget. Dans ce cas précis, la caricature d'Olivier Delamarche du pantalon à deux poches s'applique. Le pantalon, c'est l'État, les deux poches sont ses institutions étatiques, i.e. le « Trésor public » et la « Banque centrale ». Et on a effectivement 300 milliards de dinars qui sortent d'une « poche » sous forme de bons de Trésor, en échange de liquidités qui ont permis au Trésor de payer ses fonctionnaires, etc. , et ces mêmes bons de Trésor qui rentrent à la deuxième « poche », qui est la Banque centrale. Et 20 euros ou 300 milliards de dinars qui, sortis d'une poche gauche et passent à la poche droite, restent toujours 20 euros ou 300 milliards de dinars. Olivier Delamarche a parfaitement raison. Évidemment, une monétisation de la dette publique entraîne une hausse de l'inflation, donc une augmentation des prix, une dépréciation du dinar sur les marchés monétaires. Une monétisation répétée finit par provoquer une crise économique et sociale grave. Voyons, maintenant, un pays qui a une monnaie internationale, par exemple, les États-Unis, comme dans l'exemple donné par l'analyste. Postulons que le Trésor américain a émis des Treasury Bonds, T. Notes ou T. Bill (bons de Trésor de différentes maturités) sur le marché primaire pour un montant de 300 milliards de dollars. Les banques américains accréditées, i.e. les primary dealers ou en français les « spécialistes en valeurs du Trésor » (SVT), sont les grandes banques américaines : Goldman Sachs, Morgan Stanley, J. P. Morgan, Citigroup... Ces primary dealers achètent ces 300 milliards d'obligations auprès du Trésor américain par adjudication (au plus offrant). Après l'achat, ces banques qui ont chacune un compte auprès de la Fed, i.e. la Banque centrale américaine, voient leurs actifs en monnaie centrale diminuer et remplacer par des bons de Trésor qui sont aussi des actifs. Leurs comptes au final est équilibré, dans le sens que actifs et passifs n'ont pas changé, seule une partie des actifs a été remplacée par des bons de Trésor. La première phase de l'émission des bons de Trésor américains est terminée. Le Trésor américain a empoché les 300 milliards de dollars qu'il peut utiliser pour payer, par exemple, les fonctionnaires, les dépenses d'utilité publique (rénovation des jardins, des hôpitaux, des politiques de production d'armements de guerre pour la Défense nationale...), etc. Ces banques qui sont, en quelque sorte, des maisons de courtage sont habilitées à les commercer sur le marché secondaire au plus offrant. Postulons, maintenant, que ce sont la Chine, la Russie, l'Algérie, l'Arabie saoudite..., bref tous les pays émergents et exportateurs de pétrole qui achètent ces bons de Trésor américains, parce qu'ils sont très liquides et très recherchés. Ils servent de valeur-refuge pour les investisseurs. Après la vente de ces titres souverains, ces banques commerciales américaines voient leurs actifs de leurs comptes auprès de la Fed augmenter globalement de 300 milliards de dollars en monnaie centrale, et leurs passifs de même augmenter globalement du même montant. La deuxième phase de l'émission des bons de Trésor américains s'est terminée. Les banques commerciales américaines du primary dealers ont empoché globalement 300 milliards de dollars en monnaie centrale qu'ils peuvent utiliser pour l'achat d'actions en bourse, l'octroi de crédits à leur clientèle, l'investissement, etc. Aux passifs, sont inscrites les dettes que ces banques ont envers les pays émergents et exportateurs de pétrole. Postulons que la Fed américaine ait procédé, grâce à la création monétaire ex nihilo (planche à billets), aux rachats de titres publics (bons de Trésor américains) et privés (créances hypothécaires) dans le cadre des quantitatives easing. Postulons encore que parmi ces titres publics, figurent les 300 milliards de dettes que les banques américaines ont contracté auprès de la Chine, la Russie, l'Algérie... En d'autres termes, la Fed a acheté les passifs des banques agréées en stipulant cependant, que le montant de ces 300 milliards de dollars qui leur a été versé sera un actif bloqué dans leurs comptes qu'elles ont auprès de la Banque centrale, et servira ultérieurement, à rembourser les pays étrangers qui détiennent ces créances pour ce même montant. Postulons qu'une crise pétrolière ait éclaté. Et c'est le cas, puisqu'au deuxième semestre 2014, les prix du pétrole ont chuté et cela dure, encore, aujourd'hui, bien que le prix commence à remonter. Devant les déficits commerciaux et budgétaires, ces pays n'ont eu d'autres choix que puiser dans leurs réserves de change, issus des excédents commerciaux accumulés d'avant la crise pétrolière. Et comme ces réserves de change, pour la plupart des pays, ont été investies dans les valeurs-refuge tel le dollar, l'euro..., en bons de Trésor américains, européens (États-Unis, Zone euro, Suisse...). Ces pays se trouvent forcés de présenter au fur et à mesure de leurs besoins leurs bons de Trésor, au guichet de ces banques qui les remboursent, immédiatement, en monnaie centrale, grâce au 300 milliards de dollars créés par la Fed et bloqués dans les comptes des banques commerciales, auprès de la Fed. Et supposons qu'à la fin, ces pays ont été remboursés totalement. La troisième et dernière phase de l'émission des bons de Trésor américains s'est terminée. Le Trésor américain a empoché 300 milliards de dollars qu'il a dépensés en échange des bons de Trésor qu'il a émis. Les banques commerciales accréditées des primary dealers ont empoché également 300 milliards de dollars, en monnaie centrale que la Chine, la Russie, l'Algérie, bref les pays émergents et exportateurs de pétrole leur ont versés. Ce qui fait 600 milliards de dollars. La Fed américaine a racheté les bons de Trésor en créant 300 milliards de dollars ex nihilo (basé sur rien). Les 300 milliards de dollars en bons de Trésor que détenaient les pays émergeants et exportateurs de pétrole ont été remboursés. Résultat : « 300 milliards de dollars émis par la Fed ont permis 600 milliards de dépenses pour l'économie américaine. Et les 20 euros d'olivier Delamarche ou 300 milliards de dollars sont passés de la poche gauche (Trésor public) à la poche droite (Fed américaine) du pantalon (l'État), en faisant bien 40 euros ou 600 milliards pour l'économie américaine ». Et Mr Ben Bernanke, l'ex gouverneur de la Fed a raison, « 20 euros émis font bien 40 euros ». Olivier Delamarche s'est trompé pour la simple raison qu'il n'a pas pris en compte la dynamique financière dans le contexte international. S'il l'avait fait, il n'aurait pas commis l'erreur. Mais il demeure que la caricature du pantalon à deux poches est une innovation très sérieuse de l'analyste parce qu'elle permet bien l'explication. Merci alors pour Olivier Delamarche, car, sans son aide, il m'aurait été difficile de le démontrer. Et le processus des QE s'est opéré sans que le Trésor public ou les banques commerciales remboursent, puisque c'est la Fed qui les détient, ces bons de Trésor. Et il n'y a pas de créanciers sinon elle, pour le Trésor américain. Comme la Fed et le Trésor américain sont des institutions de l'État, les bons de Trésor peuvent, tout simplement, être effacés si la Fed le désire. Deux autres points d'importance. Le premier, en remboursant les 300 milliards à la Chine, la Russie, l'Algérie..., les États-Unis ont vu leur dette extérieure diminuer de 300 milliards de dollars. Le second, ces liquidités massives injectées dans le système bancaire américain ont été paradoxalement, déflationniste. Pourquoi ? Tout simplement, une grande partie des liquidités créées par la Fed pour le rachat des dettes des banques qu'elles avaient envers les créanciers étrangers, était bloquée en vue du remboursement ultérieur des créanciers. Elle n'allait pas à l'économie réelle américaine. Ce qui explique le mystère de l'«inflation manquante» dans l'analyse de l'économiste américain Nouriel Roubini, et qui touche t ous les États occidentaux. (5) Ceci étant, ce prodige monétaro-financier n'a été obtenu que parce qu'il relève de ce qu'on appelle du « droit de seigneuriage » non dans son sens étroit qu'on lui donne à l'échelle d'une nation, mais dans son sens global, mondial, que quelques nations détiennent ? aujourd'hui elles sont cinq ? à l'échelle-monde qui compte 193 nations. Et ces quatre pays États-Unis, zone euro, Royaume-Uni, Japon, « détenteurs de monnaies internationales », et sont rejoints depuis le 1er octobre 2016 par la Chine ? le yuan fait partie du panier de monnaie qu'utilise le FMI pour fixer la valeur de l'actif de réserve international, le DTS (droit de tirages spéciaux) ? ont un pouvoir de seigneuriage sur l'ensemble du reste du monde. Les grands moyens utilisés par la Banque centrale américaine pour le sauvetage des banques et la relance de l'économie Pourquoi les quantitatives easing ? C'est la crise financière immobilière de 2007 et la crise financière, en 2008, qui ont imposé ce processus financier et monétaire nouveau. Il n'y avait pas de solution pour sauver les systèmes bancaires américain et européen. Les politiques monétaires conventionnelles étaient épuisées. L'utilisation du taux d'intérêt directeur (au plancher) pratiquement à zéro (0,25 %), les opérations open-market et la fixation des réserves obligatoires n'apportaient pas de solution. Le système bancaire américain était paralysé, à la fin de l'été 2008. Les banques commerciales, lestées de subprimes, des créances hypothécaires à risque (dues à l'insolvabilité des emprunteurs, essentiellement, des ménages américains), ne se prêtaient plus, par crainte de ne pas recouvrir les fonds prêtés. D'autant plus qu'une grande banque d'investissements multinationale, Lehman Brothers a fait faillite, le 15 septembre 2008. Dès lors, toutes les banques américaines étaient sur le qui-vive. Que reste à la Banque centrale américaine pour sauver le système bancaire qui risquait de paralyser toute l'économie américaine ? Une paralysie par manque de liquidités à l'économie, i.e. aux entreprises, aux États fédéraux, aux particuliers, etc. C'est ainsi que, voyant les opérations open-market qui consistent à des prises de pension de titres (cessions temporaires de titres) servant de garanties aux prêts d'argent (pour 24 heures à quelques jours ou quelques mois) aux banques ne portant plus, la Fed passe aux grands moyens. Elle opte pour les politiques monétaires non conventionnelles. Elle ne prend plus en gage les titres, elle les rachète et, par ces QE, elle créé de la monnaie centrale ex nihilo, et recapitalise les banques. Sans se fixer de limite. A suivre... * Chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective. Officier supérieur de l'ANP/FN en retraite Notes : 3. «Le taux de chômage aux Etats-Unis passe sous les 6 % », par Le Monde. Le 03 octobre 2014 http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/10/03/le-taux-de-chomage-aux-etats-unis-passe-sous-les-6 4. «Federal Reserve launches QE3 », par CNNMoney Le 13 septembre 2012 http://money.cnn.com/2012/09/13/news/economy/federal-reserve-qe3/index.html 5. «Le mystère de l'inflation manquante », par Nouriel Roubini. Le 13 septembre 2017 https://www.project-syndicate.org/commentary/monetary-policy-missing-inflation-by-nouriel-roubini-2017-09/frenc |
|