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De Bekkaria au centre-ville, le chemin quotidien de Messaoud

par Ali Chabana

Messaoud n'est pas un fou». Quand cela sort de la bouche de ce petit bonhomme, l'air débonnaire, aux yeux pétillants, à la silhouette de l'un de ces personnages digne d'un cartoon qui nous faisait rêver, de son innocence et de sa débrouillardise. Messaoud sourit à tout va et interpelle tout le monde. Chaque jour, il descend du car de Bekkaria, à quelques encablures du chef-lieu. Dès qu'on l'observe, sa présence nous rassure, il est la créature inoffensive. Messaoud attend de nous un geste « pour le café », vous dira, d'une façon désinvolte, un café pas plus. Des Messaoud, il en existe, de tous les calibres, ils sont partout, ils hantent nos journées, des gens bien ancrés dans le décor de la ville, libres de tout engagement avec la société, leur vie se limite à quelques apparitions sur la place publique, leur existence furtive passe et repasse, sans laisser de traces. Ils occupent un espace sans le revendiquer. Leur disparition n'est aucunement un événement, une simple évocation fait renaitre en vous des souvenirs, « tu te rappelles de El Guerfi », dira quelqu'un, et d'ajouter «lui qui trainait par-là, au centre-ville, il avait le don du franc-parler, il disait ce qu'il pensait, il était l'ami de tous, une sorte d'oracle, il ne faisait du mal à personne », conclut-il.

Ces gens-là ne mendient pas, ils ont une fierté, ils ne tendent la main à personne, ils sont si gentils, qu'on les adopte facilement, ils vous rendent le cœur chaud, rien qu'à les voir se déambuler, leur nonchalance les fait transformer en des êtres aériens. Pendant ce temps, Messaoud continue sa ronde quotidienne, sa quête de quoi se payer un café le mène près de la muraille byzantine, là où il trouve, parait-il, sa quiétude de voir les passants qui eux ne sentent aucune gêne, pour dire bonjour à Messaoud. De Bab Zouatine, il en fait son sanctuaire, un quartier pittoresque de par son passé, ses vieilles constructions et échoppes. Ne l'oublions pas, Messaoud a une préférence culinaire, il vous la dira avec une envie, un plat de macaroni, au lait, s'il vous plait !

L'hiver arrive et ces personnages se font de plus en plus rares, ils se montrent parfois comme un rayon de soleil, pour égayer nos matins. Pourtant, ils sont si mal considérés, maltraités pour d'autres, on les nomme de tous les noms d'oiseaux, pour les faire éloigner de nous. Cette femme qui n'a pas la langue dans sa poche nargue tous, pour crier certaines vérités, de l'hypocrisie et de la méchanceté d'une société, qui se croit au-dessus de tout soupçon.

Elle le dit à la face de ceux qui trouvent un réel plaisir pour se moquer d'elle et la faire réagir. Il est grand temps pour que notre Messaoud reprenne le chemin du retour, vers sa Bekkaria natale, demain il sera de nouveau là, à demander de quoi se taper son café, le sourire au coin des lèvres, le front haut et la gentillesse par-dessus tout.