Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Iran œuvre sans relâche pour le leadership de l'OPEP

par Reghis Rabah*

Une étude analytique signée Dr. Huw McKay, vice Président, Market Analysis & Economics du groupe BHP, prédit un prix bas du prix du baril en 2020 qu'il fonde sur le fait que l'OPEP fonctionne actuellement sans capacité de réserve discrétionnaire, faisant allusion certainement aux énormes difficultés que rencontre le royaume wahhabite entrainé dans une guerre avec ces voisins.

Cette guerre est armée avec le Yémen mais froide avec les autres dont le chef de file est l'Iran. Mais il n'y a pas que cela, le taux de pénétration des véhicules électriques bien que parfois exagéré par certains pays, reste élevé eu égard aux années passées. Une nette tendance à la hausse de l'efficacité énergétique dans le parc traditionnel. La demande des produits intermédiaires qui font fonctionner l'économie est limitée principalement au transport. Une hypothèse de plus en plus validée d'un taux de déclin mondial pondéré de -3% avec un pic de la demande en 2020 justement. Tout cela avait été reçu 5 sur 5 par les iraniens qui préparent voilà plusieurs années une riposte pour peser sur l'échiquier énergétique. Comment ?

1-Depuis plusieurs années, l'Iran renforce son alliance avec l'Irak

Apres la levée des sanctions et la légère ouverture économique du monde occidental envers les Iranien avant le départ d'Obama, ils se sont rapprochés des Irakiens pour une alliance afin qu'à long terme ils prendraient le contrôle de l'OPEP et donc écarterait le veto Saoudien sur les prix. Il faut dire que l'Irak a encore de nombreux défis à relever pour devenir le géant pétrolier qu'il ambitionne d'être d'ici quelques années. Le potentiel pétrolier de l'Irak est très important : au coude à coude avec l'Iran pour la position de deuxième producteur de brut de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le pays possède 9% des réserves mondiales d'or noir, selon la BP Statistical Review of World Energy. L'Irak est au pétrole conventionnel ce que les États-Unis sont au pétrole non conventionnel. Les exportations irakiennes de brut ont en effet bondi entre 2010 et 2019, passant de 1,88 million de barils par jour (mbj) à 2,4 mbj fin 2019, selon Thamir Ghadhban, ancien ministre irakien du Pétrole et qui était proche conseiller à l'époque du Premier ministre Nouri Al-Maliki. Et l'Irak ne compte pas s'arrêter en si bon chemin : le pays ambitionne de porter sa production à 9 mbj en 2020, contre 4, 89 mbj actuellement, d'après la Stratégie énergétique nationale intégrée (INES) présentée par le gouvernement fédéral irakien. Cet objectif est jugé trop ambitieux par certains observateurs, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) envisagerait par exemple une production irakienne de 6 mbj en 2020.Mais le gouvernement Irakien avait décidé de surmonter tous les obstacles. Le pays doit notamment améliorer ses infrastructures, à la fois pour apporter de l'eau sur les sites pétroliers et pour exporter le pétrole. Ces infrastructures sont l'une des clefs pour augmenter les exportations. De nouveaux oléoducs vont être construits, L'objectif est de porter la capacité d'exportation de pétrole au sud du pays : d'où sort la grande majorité du brut irakien : 4,89 mbj actuellement à 9 mbj d'ici 2020.

La bureaucratie crée beaucoup de frustrations chez les compagnies internationales qui se plaignaient des délais requis pour obtenir des visas ou réaliser les importations de matériaux nécessaires. Quant à la sécurité, elle reste une source d'inquiétude pour les entreprises même si le nombre d'incidents reste faible, comparé au pic de 2006-2007 où de nombreux oléoducs ont été attaqués. En ce qui concerne l'épineuse question des relations entre le gouvernement fédéral irakien et le gouvernement régional du Kurdistan, les autorités de la région autonome Kurdistan ont récemment signé plusieurs accords de prospection pétrolière avec des compagnies étrangères, contre l'avis du gouvernement central de Bagdad, qui les juge illégaux. Les diplomates et les spécialistes estiment que les problèmes entre Bagdad et la région autonome kurde, dotée d'une grande partie des réserves de brut du pays, sont l'une des plus lourdes menaces pesant sur la stabilité à long terme du pays. Dans tous les cas de figures et en cas de la coopération entre l'Iran et l'Irak et la réalisation des objectifs prévus pour l'augmentation de la capacité de production du pétrole, l'on arrivera, à court terme à un chiffre susceptible de remettre en cause la suprématie de l'Arabie Saoudite sur les marchés mondiaux du pétrole, d'autant que ces deux pays disposent des réserves qui sont, a total, supérieures à celles de l'Arabie Saoudite.

2- Pour cela, l'Iran attire la Russie dans son camp

La visite du président iranien en Irak cette année dans le contexte actuel du Moyen-Orient a une grande importance et envoie un message aux États-Unis et aux pays de la région. La différence est trop flagrante : le président US se rendait en catimini au mois de décembre sur une base militaire dans un pays et au-delà dans une région où de son aveu, les États-Unis ont perdu jusqu'ici quelque 7 000 milliards de dollars. Ce pays est l'Irak, qui accueille en grande pompe le président iranien pour une visite de trois jours. Si les responsables irakiens ont boycotté dans leur majorité le président US, Hassan Rohani, lui, rencontrera tous les hauts responsables irakiens, y compris la grande source d'imitation, l'Ayatollah Sistani, connu pour son refus d'accueillir en audience des dirigeants étrangers.

C'est que l'Amérique est une puissance d'occupation et génératrice du plus grand danger sécuritaire qu'ait jamais connu l'Irak, à savoir Daech, à l'opposé de l'Iran qui lui est un «frère». Et un «frère» veut dire tout au Moyen-Orient: des liens de sang indéfectibles et d'entraide, sans aucune forme d'ingérence qui peuvent nuire à indépendance et à l'intégrité des parties, dont la portée et le sens échappent largement aux Américains. André Chamy et Arnaud Develay, tous deux juristes internationaux, s'expriment sur le sujet : « l'accord militaire signé entre Téhéran et Moscou fin juillet, alors que les tensions croissent dans le Golfe persique, pose la question des enjeux de la coopération entre les deux pays. » Il vise non seulement un rapprochement d'ordre diplomatique mais Moscou reste chef de file des pays producteur non OPEP. Selon plusieurs témoignages, rapportés ces semaines par un envoyé spécial du quotidien français « Le Point. », les milices Iraniennes s'en mêlent. Selon ce journal, le mystère autour de la féroce répression des manifestations en Irak commence à s'éclaircir. Rappelons qu'au moins 108 personnes ont été tuées et 6 000 blessées en réponse au vaste mouvement de révolte qui secoue le pays depuis le 1er octobre dernier. Dénonçant la corruption qui gangrène le pouvoir et l'incapacité du gouvernement à assurer les services publics de base (fourniture d'eau et d'électricité), des milliers d'Irakiens sont spontanément descendus dans la rue. Mais ils ont été accueillis par des balles. « Il y a eu des snipers à Bagdad qui ne sont ni issus du peuple ni de l'armée », confiaient plusieurs sources de visu. Des snipers ont été utilisés, confirme un influent religieux irakien, qui écarte lui aussi toute répression de la part des forces gouvernementales. «L'armée n'est pas autorisée à tirer ainsi sur les manifestants », insiste-t-il. Trois semaines après le début des révoltes, le mouvement s'est tari. Les autorités irakiennes ont annoncé l'ouverture d'enquêtes sur les violences, pour lesquelles elles ont accusé des «tireurs non identifiés ». «Ce sont probablement des membres des «Hached al-Chaâbi», poursuivent les témoins, la coalition d'unités de mobilisations populaires, que l'on appelle en Occident les milices chiites sous la coupe iranienne. Apparues au lendemain de la proclamation du « califat » de Daech en juin 2014, les Hached al-Châabi ont été crées à la suite de l'appel à la mobilisation populaire lancé en juillet 2014 par le grand ayatollah Ali al-Sistani, plus haute autorité chiite, pour contrer la progression des djihadistes. Composée de plusieurs milices chiites, cette alliance a été notamment armée et entraînée par les Gardiens de la révolution islamique, le bras armé du régime iranien dans la région. Sur le terrain, ces unités se sont révélées particulièrement efficaces pour libérer, aux côtés de l'armée irakienne, le territoire irakien des mains des « soldats du califat. »

3- l'essentiel de cette stratégie est venu avec cette annonce de l'Iran

Ce n'est pas le ministre du pétrole iranien ou le premier responsable de la compagnie pétrolière Nationale Iranienne Oil Company (NIOC) mais le président Hassan Rohani qui avait annoncé le 10 novembre une découverte d'un immense gisement de pétrole qui serait selon ses propres dires susceptible d'augmenter d'un tiers les réserves prouvés de l'Iran. Bien que relativisé par son ministre du pétrole quelques heures après en la limitant à une augmentation de 22, 2 milliards de barils (3,03 milliards de tonne), le président a préféré lui donner un aspect politique pour viser deux objectifs d'ordre politique.

Ce n'est pas la première fois que cela arrive dans le monde mais de nombreux pays et compagnies pétrolières utilisent les réserves comme tremplin pour atteindre des buts politiques et économiques. En effet, 16 avril 2008, la compagnie pétrolière nationale du Brésil Petrobras avait annoncé avoir découvert un gisement de pétrole géant dans le bassin de Santos, au large de Sao Paulo. Appelé Carioca, ce gisement pourrait, selon l'Agence nationale du pétrole, contenir 33 milliards de barils d'équivalent pétrole, ce qui représente plus d'un an de consommation mondiale au rythme de 2008. La compagnie avait vu ses actions flamber mais le résultat après prés d'une décennie n'a eu que peu d'influence sur ses réserves globales. Bien avant elle, le 9 janvier 2003, la multinationale Shell déclassait 20 % de ses réserves prouvées de pétrole et de gaz, 3,9 milliards de barils, un scandale inédit éclata le 20 avril de l'année d'après.

Dans la foulée, son président, Philip Watts, et son directeur de l'exploration et de la production, Walter Van de Vijver, démissionnaient. Deux mois plus tard, le nouveau numéro un, Jeroen Van der Veer, tirait un autre trait de plume, cette fois sur 470 millions de barils, et ajournait la publication du rapport annuel dans l'attente des résultats d'un audit complet confié à un consultant privé, Ryder Scott. Tout récemment, le 3 novembre 2019, le prince Mohamed Ben Salmane (MBS) dans les perspectives de faire rentrer en bourse la NOC Aramco jouait sur les réserves. Lors de sa conférence de presse à l'issue de la réunion des G20, il les estimait à plus de 267 milliards de barils. Le royaume a confirmé cette fin d'année 2019 l'entrée en bourse en grandes pompes du géant pétrolier saoudien qui vise selon ses propres termes d'être la plus importante affaire du monde. Aramco devrait céder en tout 5 % de son capital, dont 2 % lors de son baptême boursier sur le Tadawul, la bourse nationale saoudienne avaient déclaré début octobre des sources proches du dossier à l'AFP.

4-L'aspect technique de la découverte iranienne

Le gisement s'étend de Bostan à Omidiyeh, deux villes de la province du Khouzestan, dans le sud-ouest de l'Iran, sa surface est 2400 km2 et se situe à peine à une profondeur de 80 m. Cette découverte vient s'ajouter à un gigantesque gisement de gaz découvert un mois auparavant dans le Fars. Le premier livrerait quelques 538 milliards de m3 de gaz et le second 53 milliards de barils.

5-Premier objectif de Rohani : resserrer la cohésion sociale du peuple iranien

« C'est un petit cadeau du gouvernement au peuple iranien », n'arrête pas de répéter le président iranien pour obtenir l'adhésion populaire qui commence à fléchir à cause de l'effet des sanctions économiques rétablies contre la République islamique par les Etats-Unis, en lien avec leur retrait de l'accord international sur le nucléaire iranien. Si un mécanisme de troc (Instex), créé début 2019 pour l'Iran par les Européens, est destiné à contourner les sanctions américaines en évitant d'utiliser le dollar, la lenteur de sa mise en œuvre a été soulignée récemment par Poutine. Si cette annonce se confirme, il s'agit là d'une double victoire du peuple iranien qui aspire à plus de réserves pour prendre le leadership de l'OPEP. Selon la dernière édition du «Bilan statistique de l'énergie mondiale» publié chaque année par le groupe pétrolier britannique BP, l'Iran dispose des quatrièmes réserves prouvées de pétrole au monde, derrière le Venezuela, l'Arabie saoudite et le Canada, avec 155,6 milliards de barils Avec cette découverte qui s'ajoute aux manœuvres qu'il est entrain de faire pour s'associer avec l'Irak, cet objectif sera sans aucun doute atteint.

6-Deuxième objectif de Rohani : un message fort à Trump

Les annonces d'un tel niveau de réserve ont comme de coutume influencé les prix du baril qui ont clôturé aujourd'hui avant même que les stocks américains soient affichés le mercredi prochain à 61,57, dés l'annonce perdant plus de 1,18% du prix de la veille, si ce n'est la diminution des stocks américains de mercredi 13 novembre dernier qui les ont ramenés à 63,34 dollars le baril.

De nombreux analystes notamment de la presse américaine d'aujourd'hui hostile à Trump avaient analysé qu'un prix du baril faible reste en faveur des élections américaines pour le reconduire. Or, Trump, est boosté surtout par les capitaux des multinationales et notamment les producteurs de gaz de schiste qui ont tout fait pour sa première élection. Un pétrole tel que annoncé par le président Rohani dont le niveau de production ne dépasse pas 80 m revient beaucoup moins cher à cause d'un coût réduit de l'exploration/ délinéation et surtout son développement pour permettre aux iraniens de jouer avec les prix et mettre ainsi en difficulté les producteurs de schiste américains. Pourquoi ? L'Arabie Saoudite ne pourra plus rien pour les Américains, elle compte se recentrer sur ses difficultés économiques qui s'aggravent de jour en jour avec la guerre dans laquelle elle s'est fourrée.

7- L'Iran a compris que le prix du baril évolue vers un nouveau modèle

Tout le monde et ces experts qui défilent dans les médias lourds en sont convaincus que les facteurs géopolitiques ont beaucoup plus d'influence que ceux économiques. La réalité des chiffres est édifiante : L'OPEP, qui produit environ un tiers du brut mondial, a pompé tout ce qu'elle a suite à cette attaque des drones yéménites tandis que la production saoudienne n'a pas dépassé la moitié de ce qu'elle produisait d'habitude. Dans un cycle normal, lorsque le prix du baril augmente, les investissements en amont augmentent et traineront avec eux l'offre qui équilibrera le marché. La situation d'aujourd'hui est inquiétante parce qu'elle décourage les capitaux par sa chronicité. Selon l'Agence internationale de l'Énergie, les investissements dans l'exploration-production devraient chuter pour la deuxième année consécutive en 2020 : après un recul de 24 % l'an passé, ils devraient à nouveau diminuer de 17 % cette année, ce qui laisse plusieurs analystes penser que le marché pourrait même être confronté à un déficit d'offre dès les années à venir. C'est justement sur cette thèse que les membres de l'OPEP s'appuient pour soutenir que ce soit au sein de l'OPEP ou non, et les consommateurs sont convaincus qu'un prix juste est nécessaire pour tout le monde afin d'obtenir un retour sur investissement raisonnable et investir dans l'industrie. Ce qui est logique mais des considérations géopolitiques en veulent autrement. Les Etats Unis ont prévalu leur stratégie politique en supportant ses effets secondaires pour la simple raison que sa situation n'est guère rassurante.

En partant de ces considérations, le rôle du swing producer n'est plus assuré par l'Arabie Saoudite mais les Etats Unis en fonction de sa stratégie géopolitique. Cette oscillation des prix dans une fourchette ne dépassant pas les 60 dollars et ne descend pas moins des 50 semble agréer tous les acteurs à l'exception de ceux dont l'économie reste fortement dépendante des hydrocarbures comme l'Algérie. Cette règle dure dans le temps et impose un nouveau modèle qui distribue un rôle à chacun des acteurs. Les producteurs de gaz de schiste réguleront la partie haute c'est-à-dire le plafond des prix et les producteurs dont l'OPEP joueront le goal qui ne laissera pas passer le ballon au dessous des 50 dollars. A moins qu'il est un événement géopolitique qui chamboulera ce modèle ce qui est peu probable. Le cas de l'attaque américaine en Syrie est édifiant car les prix du Brent ont fait un saut de 4 dollars en une séance. Mais, il ne faut pas s'en réjouir car il s'agit d'un simple avertissement. La problématique est que les premiers, les attaquants font des efforts de recherche immense pour adapter leur tactique : Aujourd'hui, on constate que les compagnies qui produisent le pétrole et le gaz de schiste ont développé des techniques qui leur permettent de produire d'une manière rentable pour un prix de 50 dollars. La défense quant à elle ne fait qu'accentuer sa dépendance des hydrocarbures et, partant mettre leur développement en péril.

*Consultant, économiste pétrolier