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On peut emprunter 14.000
milliards d'euros parce que c'est le PIB annuel de l'Europe». Attali : «Mais ça
c'est ce qu'on emprunte déjà par les nations, on ne peut pas le compter deux
fois». Mélenchon : «Les États-Unis d'Amérique, combien de fois ont-ils gagé
leurs PIB, M. Attali ?» Attali : «Exactement une fois puisque la dette publique
américaine est 100%, (Attali corrige) 110%, donc une seule fois».
Mélenchon : «C'est bien ce que je vous dis». Attali : «Oui, mais nous, on l'a déjà fait au niveau des États». Mélenchon : «Mais non, vous n'y êtes pas. L'organisme qui s'appelle l'Union européenne doit zéro euro. Donc, vous transportez l'emprunt par l'Union européenne. Pour l'argent, il me suffit d'aller prendre n'importe laquelle des banques françaises et lui faire un emprunt forcé parce qu'elle emprunte un emprunt à zéro pour cent à la Banque centrale européenne. (...) Parce que sinon on pourrait emprunter autant que l'on voulait, et à 1%, et il ne l'a pas fait». Pujadas : «Un dernier mot, Jacques Attali». Attali : «Je voudrais seulement préciser que pour moi tout ce qui a été dit est inapplicable si ce n'est pas au moins à l'échelle européenne. Mais j'espère qu'on le fera à l'échelle européenne, mais à l'échelle nationale, ça nous conduira à la Corée du Nord». 4. Attali et Jean-Luc Mélenchon prémonitoires sur l'endettement de l'Occident et l'inflation Que peut-on dire de ce débat entre Jacques Attali et Jean-Luc Mélenchon ? Si on les écoute, puisque ce n'est pas possible à l'échelle nationale, mais possible à l'échelle européenne, et les deux participants sont d'accord, Jean-Luc Mélenchon propose de transporter l'emprunt à l'Union européenne, quelles conséquences vont-elles surgir ? En supposant même comme le dit Attali, que «l'Eurozone se dote d'un pouvoir fédéral ayant les moyens d'emprunter et on peut emprunter 1.500 milliards pour investir demain matin», ou comme le dit aussi Mélenchon, «l'Union européenne prise dans son ensemble est une entité supranationale qui n'est pas endettée», ce qui est pratiquement le même raisonnement sauf qu'il est énoncé autrement, les conséquences seraient terribles pour l'Europe, pour les États-Unis, et pour l'Occident tout entier. Que se passerait-il sur le plan mondial, si ce raisonnement était appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) ? Et donc des liquidités en euros massivement injectées dans l'économie de la zone euro. Une monétisation en quelque sorte progressive des dettes publiques des pays membres de la zone euro en fonction des besoins de leurs économies. Il est évident que si l'Europe émettait 1.500 milliards d'euros du jour au lendemain ou même échelonnés dans le temps, le premier couac : «la monnaie européenne va fortement se déprécier sur les marchés financiers». Que vont faire les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon lorsqu'ils verront leurs monnaies (dollar, livre sterling, yen) s'apprécier, entraînant de facto une perte de compétitivité dans les échanges commerciaux internationaux ? La riposte est forcée. Ils injecteront massivement des liquidités pour dégonfler cette appréciation monétaire qui les désavantage dans le commerce mondial. La Chine dont le yuan est aussi une monnaie internationale (monnaie qui compte dans le DTS du FMI depuis septembre 2016), agirait de même ; elle injecterait plus de yuans dans le système monétaire chinois, et la masse des yuans en plus injectés viendront sur les marchés monétaires mondiaux dégonfler le yuan ou renminbi et donc par, la dépréciation, donner plus de vigueur aux exportations de la Chine. Au bout du compte, cette masse de liquidités injectées par les grandes Banques centrales occidentales amènerait, et c'est ce qu'il faut souligner, «les excédents des pays émergents et des pays exportateurs de pétrole à exploser». Nous aurons alors la Chine qui va voir ses excédents commerciaux annuels bondir. Emettre donc demain 1.500 milliards d'euros qui seraient fatalement suivis par de fortes émissions monétaires américaine, zone euro, britannique et japonaise, ne fera qu'augmenter les réserves de changes des pays émergents et exportateurs de pétrole. Et c'est ce qui s'est passé entre 2003 et 2014. Proposer un Parlement de la zone euro ou créer un pouvoir fédéral en zone euro ne changerait rien à la donne sur le plan monétaire. Tout ce qu'il pourrait apporter une meilleure maîtrise budgétaire entre les pays membres de la zone euro, ce qui influerait positivement sur les déficits publics, et partiellement en politique monétaire. Et encore faudrait-il que ces pays membres aient à peu près la même compétitivité que l'Allemagne. Ou du moins se rapprocheraient. Le solde des dépenses et recettes publiques n'étant pas les mêmes. Donc, dans le fond, créer de l'argent à partir de rien, «sans valeur matérielle», aiderait certes l'Europe mais n'apporterait pas de compétitivité face aux pays émergents qui ont un formidable réservoir de main-d'œuvre à faible coût. Et surtout «il augmenterait les déséquilibres extérieurs qui seraient redoutables pour la zone euro par la suite». Pour preuve, les États-Unis qui ont un pouvoir fédéral, et de plus bénéficient du dollar qui est la monnaie de facturation du pétrole des pays d'OPEP et pour la plupart des matières premières, que n'ont ni la zone euro, ni le Royaume-Uni ni le Japon, «ont des difficultés aujourd'hui avec leur principal créancier, la Chine». Dotés d'un «droit seigneurial» écrasant et unique au monde, les États-Unis n'arrivent pas, malgré la reprise économique et la baisse du taux de chômage (divisé par trois entre 2010 et aujourd'hui, passant de 10% à 3,5%), à se libérer de l'emprise de la Chine. Malgré le pouvoir du droit exorbitant du dollar qu'ont les États-Unis, la Chine a accumulé près de 4.000 milliards de dollars en 2014, certes, ils ont diminué, en 2021, ils se situaient à 3.250 milliards de dollars, en octobre 2022, ils ont diminué, se fixant à 3.030 milliards de dollars. Si l'Europe était dotée d'un pouvoir fédéral et créait 2.000 milliards d'euros et qu'il faudrait multiplier au moins par quatre puisque les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon feront de même. En effet, c'est ce qui s'est passé dès mars 2020, avec la pandémie Covid-19, les États-Unis, à eux seuls, ont injecté, entre 2020 et 2021, environ 5.500 milliards de dollars. Attali et Jean-Luc Mélenchon ont été dans un certain sens prémonitoires. La pandémie a réalisé leurs dires. Le problème majeur, ce sont les conséquences qui résultent des injections massives de liquidités en corollaire avec la hausse de l'endettement occidental. Le centre du problème avec tous les effets négatifs qui suivent est l'inflation, elle a pratiquement bondi partout dans le monde avec la hausse du prix de l'énergie et des matières premières, en particulier alimentaires. Et la situation en Occident a été catastrophique. Le taux d'inflation aux États-Unis était de 1,371% en septembre 2020, il est passé à 5,390% en septembre 2021 et à 8,202% en septembre 2022. En Allemagne, le taux d'inflation était négatif en 2020, à -0,189%, il est passé à 4,064% en 2021 et à 9,991% en septembre 2022, presque à 10%. Et cette situation de forte inflation s'est généralisée à tout l'Occident, une situation qui rappelle les années 1970 avec les deux chocs pétroliers (1973 et 1979). (5) C'est dire l'importance des politiques monétaires des Banques centrales occidentales qui aujourd'hui utilisent massivement les politiques monétaires non conventionnelles ou quantitative easing en anglais. Les politiques monétaires classiques sont abandonnées du fait qu'elles ne créent plus d'effet compte tenu de l'entrée massive des pays émergents notamment la Chine dans le commerce mondial. 5. Pronostic pour l'économie mondiale 2023-2025 On comprend pourquoi le prix de pétrole a été porté au sommet en 2022, et il reste toujours élevé ; il en est allé de même pour les prix des matières premières qui ont causé une formidable crise alimentaire dans le monde. La crise alimentaire, on l'attribue à l'embargo des céréales en Ukraine, en réalité, ce sont les injections massives des liquidités américaines par la Banque centrale américaine qui ont besoin de contreparties productives que, en grande partie, sont détenues par les pays du reste du monde. Et ces contreparties productives sont l'énergie (pétrole, gaz et produits pétroliers) et les produits de base (agricole, minerais, etc.). Aujourd'hui, les Banques centrales occidentales ont toutes relevé fortement leur taux d'intérêt directeur, mis à part la Banque centrale du Japon qui l'a maintenu à -01%. Et la forte hausse du taux d'intérêt directeur aux États-Unis suivie par les pays d'Europe mènera très probablement en 2023 à une récession mondiale, comme ce qui s'est passé lors de crise financière de 2008, les taux d'intérêt de la Banque centrale américaine et européenne étaient respectivement, au plus haut de la crise, 5,25% en 2007 et 4,25% en 2008. Et même situation avec la crise boursière en 2000 à Wall Street, toujours liée à la politique restrictive de la Fed ? la forte hausse du taux d'intérêt directeur était de 6,5% en 2000. Qu'en sera-t-il en 2023 ? Avec le plafonnement du prix du pétrole que les Banquiers centraux occidentaux ainsi que les commissaires européens ont programmé entre 40 et 60 dollars aura des répercussions graves sur les pays OPEP et aussi sur la Russie. Cependant, si les produits de l'énergie et des produits de base vont fortement baisser, avec une demande mondiale morose et la récession mondiale, le monde va entrer en dépression. Quelle sera alors la riposte des Banquiers centraux si la récession va fortement augmenter le chômage en Europe et aux Etats-Unis ? De nouveau, l'histoire se répète. Après la récession en 2023-2024, des injections massives de liquidités pour sortir de la récession et donc relancer l'économie occidentale. Et toujours dans un contexte de quantitatives easing menés par les Banques centrales occidentales avec en parallèle une baisse drastique des taux d'intérêt directeurs. Corollaire : de nouveau hausse de l'endettement des États-Unis (autour de 130% du PIB aujourd'hui) ; de même, une hausse de l'endettement pour l'Angleterre, la zone euro, le Canada, la Suède..., hausse des contreparties physiques, c'est-à-dire une forte hausse des prix de pétrole, des matières premières et alimentaires pour absorber les injections massives monétaires, sinon l'inflation en Occident monterait en flèche. En 2022, la hausse des prix de l'énergie et des autres produits de base n'a absorbé qu'en partie les injections monétaires occidentales durant la «pandémie» tant celles-ci étaient massives pour répondre, sur le plan économique et financier, à la crise sanitaire mondiale. Ce qui explique pourquoi la forte hausse de l'inflation. En revanche, les prochaines injections monétaires par les Banques américaine, européennes... qui seront massives, probablement en 2024-2025, seront beaucoup moindres par rapport à ce qui s'est passé durant la pandémie en 2020-2021. L'inflation aura faibli en 2023, et probablement augmentera légèrement après les mesures financières et monétaires pour la relance des économies occidentales. A moins que de nouveau une autre pandémie surviendrait et de même gravité que la précédente et changerait les donnes. Aussi se pose la question : «Pourquoi l'Occident n'essaie pas de sortir de ces cycles économiques, d'une manière plus assurée, plus stable ?» Réponse : «Il faudrait qu'il y ait moins de guerres, plus de dialogue. Et probablement, il n'y aura pas de dialogue connaissant l'Occident complexe et dominant, tout au plus un dialogue forcé». *Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,Relations internationales et Prospective Notes : 5. Global-rates.com. Inflation https://www.global-rates.com/fr/statistiques-economiques/inflation/indice-des-prix-a-la-consommation/ipc/allemagne.aspx |
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