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Après le printemps arabe de
2011, voici aujourd'hui que des mouvements populaires de protestation touchent
tous les continents. Le cas algérien, par sa durée (9 mois) et son pacifisme,
sort du lot. D'où la reconnaissance internationale, exprimée notamment lors de
la commémoration du 1er Novembre. Cependant vue de l'étranger, la scène
politique algérienne surprend les observateurs. Car la confusion semble régner.
Que le Commandement de l'armée prenne en main la situation, même si cela s'accompagne de règlement de comptes entre les différents segments (civils et militaires) de la nomenklatura, cela passe : ce sont des affaires algéro-algériennes (d'où peut-être la tiédeur des comptes rendus des médias internationaux). Mais que des mesures ou projets de lois viennent allumer le feu de la poudrière algérienne, cela est incompréhensible. Quelle urgence y a-t-il à mettre sur la table une loi sur les hydrocarbures ? Quelle urgence y a-t-il à opérer un mouvement des magistrats d'une telle ampleur (près de 3,000 d'entre eux sont touchés) ? Quelle urgence y a-t-il à administrer le marché de change rendant les contrôles aux frontières des Algériens (par les douanes) des plus tatillons au monde ? Pourquoi donc les instituions algériennes (Gouvernement, Assemblée nationale, Banque centrale...) aggravent-elles le climat politique et social ? Chercher une explication relève de la gageure. La seule possible est que, dans toute phase de changement (ici induit par les pressions du mouvement populaire de protestation depuis le 22 février), les mécanismes se dérèglent, la machine étatique se coince ; et les différents centres de décision agissent en roue libre comme s'il n'y avait plus de chef d'orchestre, de chef tout court. Nous assistons donc à une véritable vacance du pouvoir. Or l'Algérie a connu cette situation tant à l'orée de son indépendance qu'après le 5 octobre 1988. Le nouveau aujourd'hui est que, grâce aux libertés conquises et à la rapidité de la circulation de l'information et des communications (à l'ère numérique), les dissonances à l'intérieur même des coulisses du pouvoir apparaissent au grand jour. L'Algérien est plus au courant de ce qui se déroule dans le coin le plus reculé du pays, le recoin le plus caché de l'appareil d'État que le maire ou le wali ou le commandant de gendarmerie ou le ministre ou le chef de la sécurité intérieure... Apparemment cette nouvelle donne -sociétale- n'est pas encore intégrée par les dirigeants (civils et militaires). Ces derniers sont encore à la phase du téléphone fixe et de la machine à écrire (les services de sécurité russes les ayant adoptés mais pour mettre en place leur propre réseau web). Ils agissent avec la culture et les mentalités du XXème siècle. Et depuis 2001, les résistances au sein même des administrations centrales (ministères et agences gouvernementales), des banques (centrale et primaires) et des autres organismes face au numérique est telle que l'introduction, ne serait-ce que de l'intranet (en boucle fermé donc) est une bataille rude qu'ont menée les jeunes cadres nouvellement embauchés. Pour s'en rendre compte, il n'y a qu'à aller consulter les différents sites officiels de chacune de ces entités. Vous ne trouverez aucune information d'actualité : le texte du projet de loi sur les hydrocarbures ou loi de finances 2020 ou la liste des mouvements des magistrats, etc. Qu'y a-t-il derrière ces résistances ? Clairement de l'incompétence. Donnons un exemple : la note numéro 149/DGC/2019 du 27 octobre 2019 de la Direction de l'Organisation et de la Réglementation de la Banque d'Algérie. Elle commence par : «Dans ce cadre, il convient de rappeler qu'en application de l'article n° 72 de la loi numéro 15-18 du 30 décembre 2015, portant loi de finances de 2016». Or que dit ce fameux article n° 72 ? Lisons-le : «Tout étranger est tenu de présenter à la sortie du territoire douanier algérien, un reçu bancaire attestant le change d'une partie ou de la totalité de la somme en devises qui a été déclarée à l'entrée du territoire douanier, auprès des banques nationales. La déclaration des devises n'est obligatoire à l'entrée ou à la sortie du territoire douanier, que pour les montants dépassant les mille euros 1000 ou leur équivalent en d'autres devises ». Déjà aucun Algérien n'est concerné. Cette note ajoute : « et de l'article numéro 3 du Règlement du Conseil de la Monnaie et du Crédit, n° 16-02 du 21 avril 2016 ». Que dit cet Article 3 ? L'article 3 du Règlement du Conseil de la Monnaie et du Crédit, n° 16-02 du 21 avril 2016 stipule que : « les voyageurs visés par l'article 1 sont soumis à l'obligation de déclarer auprès du bureau des douanes, à l'entrée et à la sortie du territoire national, les billets de banque et/ou tout instrument négociable libellés en monnaies étrangères librement convertibles, qu'ils importent ou exportent et dont le montant est égal ou supérieur à l'équivalent de mille (1000) Euros. Un exemplaire du formulaire de déclaration visé par le bureau des douanes est conservé par les voyageurs.» Cependant, le gouverneur de la Banque d'Algérie de l'époque ; M. Mohammed Laksaci, a introduit dans le Règlement n°16-02 du 21 avril 2016 « fixant le seuil de déclaration d'importation et d'exportation de billets de banque ou d'instruments négociables libellés en monnaies étrangères librement convertibles, par les résidents et les non-résidents », un article 5 où il est précisé que : «les voyageurs résidents et non-résidents sortant d'Algérie sont autorisés à exporter, par voyage : - un montant maximum équivalent à 7500 (sept mille cinq cent) euros, prélevé d'un compte devises ouvert en Algérie ; - tout montant couvert par une autorisation de change de la Banque d'Algérie ». En somme, tout Algérien ou étranger peut sortir : -a) avec un maximum de 7500 euros (dont il dispose dans une banque établie en Algérie) -b) plus de 7500 euros s'il a une autorisation (comme c'est souvent le cas, par exemple, des « frais de missions » de nos hauts fonctionnaires en délégation ministérielle à l'étranger). Ce règlement ne réfère nullement aux modes d'importation des monnaies étrangères et encore moins à comment font les Algériens pour alimenter leurs comptes-devises. Or la note 149/DGC/2019 saute ce pas, passant du « non-algérien » (Loi de finances 2016) et de l'obligation de déclaration des devises (Règlement de Laksaci) à : «Dans ce cadre, il convient de rappeler qu'en application de l'article n° 72 de la loi numéro 15-18 du 30 décembre 2015, portant loi de finances de 2016, et de l'article numéro 3 du Règlement du Conseil de la Monnaie et du Crédit, n° 16-02 du 21 avril 2016, que toute alimentation d'un compte-devises pour un montant égal ou supérieur à l'équivalent de 1000 euros doit être appuyée, préalablement, par une déclaration douanière d'importation de ce montant». Le plus paradoxal dans tout ça est que le Gouverneur qui a succédé, l'actuel ministre des Finances, avait fait de l'inclusion financière son cheval de bataille. Cherchant tous les moyens pour bancariser ces sommes d'argent (en dinars et en devises) qui circulent hors des institutions bancaires et financières, il est dit clairement dans sa note aux banques N°02-2018 du 19 juin 2018 relative aux mesures complémentaires en matière d'inclusion financière relative à l'épargne en devises des particuliers : « (le) dispositif législatif et réglementaire consacre le droit aux personnes physiques résidentes et non résidentes d'ouvrir librement (souligné par nous) des comptes dans une monnaie étrangère librement convertible, sans aucune autorisation préalable. L'alimentation de ces comptes, sans limitation de montant, s'effectue par le versement de monnaies étrangères librement convertibles». Et ce gouverneur ira jusqu'à énumérer les entraves que les administrations bancaires opposent aux Algériens, disant ainsi : « Cependant, cette liberté conférée par la loi, à cette catégorie de comptes, s'est trouvée contrariée par un certain nombre d'obstacles rencontrés par les détenteurs de comptes auprès de certains établissements bancaires : 1- l'ouverture des comptes devises au profit des personnes physiques n'est pas systématique : certaines banques refusent d'ouvrir des comptes devises au profit de nouveaux clients ou exigent l'ouverture d'un compte dinars, en parallèle ; 2- exigence de titre de transport pour les retraits de devises ; 3- demande de justificatifs lors du versement de devises dans les comptes : qu'il s'agisse des virements reçus de l'étranger ou des dépôts en espèces. Dans de nombreux cas, les banques suspendent le virement ou convertissent automatiquement les sommes reçues en dinars ; 4- certaines banques exigent de leur clientèle au moment du versement de billets de banque étrangers, de remplir un formulaire nominatif mentionnant les numéros de chaque billet de banque étranger à verser au crédit du compte bancaire ; 5- exigence de justificatifs ou d'autorisation de la Banque d'Algérie avant le transfert de devises à l'étranger pour le paiement de certains frais tels que les soins ou la scolarité à l'étranger ou toutes autres dépenses ; 6- disponibilité de fonds insuffisante lors des demandes de retrait de devises, notamment pour le dollars USD ; 7- non disponibilité des petites coupures de billets de banque de moins de cinquante euros (< 50 euros). » Mohamed Loukal conclura : «Ces différentes contraintes n'ont pas permis le développement de l'inclusion financière, à travers la collecte de cette épargne devises, qui constitue un apport certain, de par le nombre de comptes actifs (4,7 millions de comptes) que par l'épargne constituée (environ 5 milliards d'USD/équivalent) ainsi que du potentiel qu'elle pourrait receler ». Alors que s'est-il passé à la Banque d'Algérie depuis son départ ? La liquidité bancaire est passée à 1.705,5 milliards de DA à la fin août dernier contre 1.557 md de DA à la fin décembre 2018 ( soit une augmentation de 37,31%) alors qu'elle n'était que 821 md DA à la fin 2016 et 1.380,6 md DA à fin 2017 (soit plus 68,2% entre ces 2 années). Les réserves obligatoires étant les avoirs financiers que les banques et les institutions financières sont tenues de conserver sur leurs comptes courants auprès de la Banque d'Algérie, ce taux avait relevé, en février 2019 de 8% à 12%. Après la mise en œuvre du financement non conventionnel en novembre 2017 -venant perturbé le lancement des opérations d'open market» d'injections de liquidités- ce taux ne pouvait qu'augmenter passant par deux paliers : de 4% à 8% en janvier 2018, puis à 10% en juin. Tout indique que les banques n'ont nullement besoin de liquidités, du moins en dinars. Car, hors mouvements du cours de change, il y a une donnée intangible depuis 2017 : en lien avec le déficit du solde global de notre balance des paiements, les avoirs extérieurs nets de l'Algérie (nos réserves de change) se contractent ; ce que chacun sait aujourd'hui. Pourquoi alors demander aux Algériens d'où viennent les devises qu'ils veulent déposer sur leurs comptes surtout si l'on les autorise à importer des véhicules d'occasion ? Il est vrai que ces devises ne feront que transiter par les banques, et alors ? Ah ! le blanchiment ou la fuite des capitaux ! Est-ce que vraiment la «3issaba» viendra déposer son argent dans nos banques ? Pour un banquier, l'argent n'a pas d'odeur ; tout dépôt est le bienvenu, quitte à ce que des mesures de signalement -en rapport avec le fisc (déclarations de revenu, de patrimoine, etc.)- soient prises...à partir d'un certain montant (par mois ou par an). Jusqu'à maintenant, les contrôles de douane ont été relativement efficaces ; s'ils ne le sont pas assez, qu'on les renforce mais ce n'est pas une affaire des banques. Puis en fin de compte : combien de personnes ou de ménages sont concernés par ce blanchiment ou cette fuite de capitaux ? La banque centrale de notre pays, déjà fortement dépendante de l'exécutif, ne peut se substituer aux autres services de l'État. Ce chevauchement des compétences et cet enchevêtrement des prérogatives est une maladie chronique du système institutionnel algérien ; pour la Banque d'Algérie, ils datent des premières années en 1964 et 1965 : quand face aux domaines agricoles autogérés manquant de liquidités, elle effectuait des avances à travers l'Office National de la Réforme Agraire (O.N.R.A.) au début de chaque campagne ; et tout cela a débouché sur un fiasco. A vouloir, hier comme aujourd'hui, trop faire de zèle, elle se discrédite aux yeux des populations qui, au fond, n'y voient qu'un démembrement de l'État. Et c'est malheureux ! Hier et aujourd'hui, le XXème siècle et le XXIème siècle, ce n'est pas la même chose. Il revient aux Algériennes et aux Algériens de hisser des vraies compétences à tous les niveaux (Hirak, Exécutif, Législatif, Justice, etc.) pour qu'enfin notre avenir ne soit à la merci de la médiocrité et, l'accompagnant, de la bassesse. Note : (1) http://www.aps.dz/economie/86950-la-banque-d-algerie-releve-a-12-le-taux-des-reserves-obligatoires-des-banque |