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«Sacralisé par le
sang de centaines de fidayine et de moudjahidine qui
y ont succombé à des tortures difficilement racontables, cet endroit a été
honteusement abandonné aux méfaits du temps et des hommes», lâchera avec
amertume Abdeslem Tabet
Aoul, celui qui fut l'un des anciens détenus dans ce lieu de sinistre mémoire.
Il s'agit du Bastion 18, situé à hauteur de la caserne du 2ème Chasseur de Blass el Awd baptisée ensuite caserne chahid Acimi Miloud (abritant aujourd'hui la faculté de Médecine Dr Benaouda Benzerdjeb), collé à l'Ecole de police (reconvertie en lycée polyvalent Ahmed Benzekri) où nous l'avions accompagné pour une « halte » commémorative symbolique. Genèse de sa création. Avec l'annonce de l'ouest oranais comme zone d'exception pendant la guerre de Libération nationale et la décision de François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur du gouvernement français, de confier les affaires de police à l'armée française, il fut décidé d'ouvrir des centres de tortures et d'exécutions extrajudiciaires. C'est ainsi qu'à Tlemcen, en juin 1957, le coin sud-ouest de ladite caserne fut choisi pour cette sinistre destination. Il fut dénommé par les services du 2ème bureau de l'armée française ?Le Bastion 18' où l'on voyait défiler les agents de différents services, tels la PRG, la DST, le 5ème bureau avec ses officiers... Notre interlocuteur nous précisera que ce lieu appartenait au réseau des DOP (une abréviation de dispositif opérationnel de protection) qui constituaient un véritable maillage répressif à travers tout le territoire national, selon cet ancien détenu qui nous fera, non sans émotion une description in situ du ?Bastion 18'. Ce centre de tortures avait une entrée en haut d'un talus, fermée par un portillon en bois (aujourd'hui en fer forgé) de 1mde large environ sur 2 m de hauteur. A l'intérieur, une cour avec un bassin circulaire au milieu flanqué d'un immense pin (que nous avons trouvé « abattu » sur le sol suite aux vents violents), et tout autour, côté-est, les salles de tortures et d'interrogatoires, le reste réservé aux cellules de 2m x 0.8 m x 2 m : côté-nord de la n°1 à la n°7, côté ouest de la n°8 à la n°20 et côté-sud de la n°21 à la ,n°25. Les moyens de « la Question » seront évoqués dans ce sillage : gégène, bastonnade, coups de poing et de pied, crachat...Des noms d'anciens détenus (fidaiyine et chouhada) seront cités : Bekkaï Mohammed, Benkebil, Selmane, les frères Karaouzène, Yadi Sid Ahmed, Derrar, Gherriche, Tabet Aoul Touhami, Kada Kloucha, Bendahous Ghouiti, Brahim Othmane, Mammèche Nadir, Chaoui Boudghène, Zerrouk, les frères Allali, Maliha Hamidou... Sans « oublier » le bourreau Benboul et son chef Maiglino aux côtés des inspecteurs de police Ghomri dit « Memmou », Pierrot Salinas, Benichou, Cascalès...Il faut savoir que ?le Bastion 18' allait être rasé n'était-ce l'intervention de l'Ecolymet auprès du wali de l'époque Zoubir Bensebbane. Ce site figurait sur le tracé de la nouvelle voie de communication qui relie l'Allée des pins à Bab El Hadid via la caserne Miloud au début des années 2000. Réaction citoyenne de la société civile, en l'occurrence Ecolymet (Association des anciens élèves de l'EPS, du collège de Slane, du lycée de garçons et de la médersa de Tlemcen). Le président Sid Ahmed Taleb, le vice-président Abdeslem Tabet Aoul et le secrétaire général Mohammed Negadi demandèrent audience au wali de l'époque, Zoubir Bensebbane qui accéda à leur requête, à savoir : « épargner » le site en question qui allait être rasé. Un arrêt des travaux intervenu in extrémis grâce, aux démarches entreprises auprès de la présidence de la République par 3 moudjahidates de Tlemcen ainsi que l'intervention du ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni, si l'on en croit ce membre de l'Ecolymet. Ainsi la mémoire des Chouhada fut sauvée des « dents » inexorables du bulldozer à cause de l'ignorance de certains. Un tantinet cynique ou peut-être complaisant, l'ex-ambassadeur Choaïb Taleb Bendiab (décédé) suggéra l'érection d'une stèle commémorative. Pour sa part, Chiali de la Seror proposa comme option la réalisation d'une trémie. « Ce lieu est sacré, il n'a pas de prix, il symbolise un repère historique, il incarne la mémoire de nombreux martyrs », nous dira sur un ton pathétique mais non moins fier Abdeslem Tabet Aoul qui lance à cette occasion un appel pressant aux autorités pour la préservation de ce site en engageant des travaux de restauration (ce dernier abhorre le mot réhabilitation qu'il juge impropre dans ce cas). A noter que l'Association environnementale ?Aspewit' présidée par Morsli Bouayed a initié, récemment, une opération de nettoyage des lieux squattés par une faune de marginaux (ivrognes et prostituées) avant d'installer un panneau signalétique à l'entrée (sur le fronton). Il convient de signaler dans ce sillage qu'un jeune horticulteur a planté dernièrement son décor sur les lieux en ouvrant une petite pépinière devant le site. Notons que les autorités locales n'y ont jamais mis les pieds, à l'occasion des journées commémoratives (fête de la Victoire, journée du Moudjahid, fête de l'Indépendance, commémoration du 1er Novembre 1954). On ignore les raisons de cette désaffection par rapport à ce haut-lieu de la résistance urbaine. Soulignons dans ce contexte que le recueil de l'Ecolymet intitulé ! « Quelques épisodes de la Bataille de Tlemcen » (ouvrage commis par Abdeslem Tabet Aoul et Sid Ahmed Taleb Bendiab ; édité en 2006) renferme, entre autres, un témoignage vivant inédit de Abdeslem Tabet Aoul sur ?le Bastion 18' sous le titre « Au-delà de la souffrance physique ». Dans ce sillage, ce dernier a commis un livre intitulé « Survivant du sinistre Bastion 18 » qui a paru, dernièrement, aux éditions Konouz (juillet 2019) à l'occasion du 57ème anniversaire de la fête de l'Indépendance nationale ; l'ouvrage est préfacé par Khaled Selka, fidaî condamné à mort, ancien détenu au camp de concentration de Lambèze. Par rapport à la genèse éditoriale, l'auteur évoque les encouragements de deux anciens fondateurs de l'Ecolymet, Sid Ahmed Taleb et le défunt Mounir Borsali ainsi que l'impulsion et la motivation de Florence Baugé, journaliste du Monde, à la faveur de son passage, à Tlemcen en 2002. Dans ce sillage, un documentaire titré ?Le Bastion 18 : au-delà de la souffrance physique » a été réalisé par Zoheir Bendimerad , journaliste à Canal Algérie (EPTV) qui l'a diffué en juillet 2017. Ce film historique traite de l'usage de la torture pendant la colonisation française en Algérie. Abdesslam Tabet Aoul qui est un survivant du DOP dit ?Bastion 18' y raconte avec beaucoup d'émotion, la torture qu'il a subie ainsi que celle infligée à ses camarades de cellule, en 1959. Pour sa part, Réda Brixi, membre de l'ALN, en 1958, par ailleurs anthropologue et muséologue, a publié un livre intitulé : « Témoignage vécu d'une cellule des années 1958 : Le Bastion 18 ».Quant au sociologue Nadir Marouf, dans un article paru dans ?Le Quotidien d'Oran' daté du 1er juin 2015 et intitulé « In memoriam : Le Bastion 18? Un 25 mai 1958 », il évoque un épisode néfaste pour les détenus des camps de torture, ceux du Dop ( ?Dar el genenar' ), la caserne du Mechouar (appelée caserne Gourmala , du nom de l'éponyme ottoman), le camp de ?Attar' sur le Plateau de Lalla Setti (réservé, en partie, å la Légion étrangère), la villa « Ghozi » à El-Kalaa supérieur , dénommée El-Jelissa pour les intimes ( fief de la DST), sans oublier le Deuxième Bureau de Saf-Saf ( réservé å la police militaire)? « En voulant apporter ce témoignage sur un pan de notre histoire coloniale, mon vœu est d'inviter le milieu associatif pour, la main dans la main, œuvrer auprès de qui de droit afin d'ériger, au lieu et place du ?Bastion 18' qui n'a pas été démoli, en tous cas pas encore, un mémorial digne de ce nom », plaide-t-il. Par ailleurs, il faut rappeler qu'à de la faculté de Médecine Dr Benaouda Benzerdjeb avait été inaugurée, le 19 mai 2006, une stèle commémorative sur laquelle est gravé ce message contre l'oubli : « A la mémoire de nos camarades de classe martyrs dont plusieurs ont succombé à la torture dans le sinistre Bastion 18 à 200 m de ce lieu ; leur mort n'aura pas été vaine. Puissent les générations futures continuer la construction d'une Algérie digne des sacrifices de leurs aînés ». Gloire éternelle ». Une initiative signée Ecolymet, à l'occasion du cinquantenaire des manifestations de janvier 1956 à Tlemcen. |