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Blaise
Pascal, philosophe français du XVIIème siècle, dans Preuves par discours II
(Fragment n° 1 / 7), a écrit : « Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que
c'est que le monde, ni que moi même. Je suis dans une
ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c'est que mon corps, que
mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui
fait réflexion sur tout et sur elle même, et ne se connaît
non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui
m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que
je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi
ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'en
un autre de toute l'éternité qui m'a précédé et de toute celle qui me suit. »
1. Les guerres, un phénomène naturel dans l'histoire humaine ? Que peut-on dire de cette vision philosophique que Blaise Pascal a de lui et du monde ? Un génie humain précoce mais demeure qu'il est et reste un homme comme tous les autres hommes. Tous les hommes ne peuvent être penseurs, on n'est penseur que si les conditions le permettent et qu'on l'est. Et dans un certain sens, c'est le destin qui l'a mis à penser son être. Blaise Pascal pense au sens de son existence. Mais il n'a pas de réponse. Et, avant lui, Descartes s'est posé la même question. Il a simplifié en énonçant: «Cogito ergo sum». Ce qui signifie : «Je pense, donc je suis». Et tous les humains pensent, donc ils sont. Notre existence repose sur notre pensée. Des questions que l'on peut poser sur l'humain et même sur l'humanité entière. Par exemple, Blaise Pascal a-t-il choisi d'être un penseur de son temps ? Mathématicien, physicien, inventeur et philosophe. De même René Descartes. A-t-il choisi d'être mathématicien, physicien et philosophe ? Non, c'est arrivé. Les hommes sont ce qu'ils sont, ils sont devenus ce qu'ils sont. Tout homme de sa naissance ne peut savoir ce qu'il peut devenir. Précisément, c'est là l'inconnue de l'existence pour tout homme, pour tout peuple. Un homme peut avoir une profession, un travail, un foyer, comme il peut ne pas avoir ce à quoi il aspire bien que pourtant il existe et vit même s'il y arrive difficilement. De même, un peuple peut réussir, et un autre peuple ne réussit pas, et pire celui-ci peut même être dominé, colonisé comme le furent les siècles passés, un grand nombre de peuples d'Afrique et d'Asie. L'existence de l'homme et des peuples est-elle alors chaotique ? N'est-elle pas prédéterminée ? Puisque des hommes, des peuples dominent et d'autres sont d'une manière ou d'une autre dominés. Et s'il existe un ordre de progrès en marche dans le développement du monde ? Et on le constate aujourd'hui avec la Corée du Sud, un pays sous-développé il y a 60 ans, un pays colonisé, et aujourd'hui une puissance industrielle classée 11ème dans le rang mondial, selon les dernières données de la Banque mondiale. Et d'autres ex-colonies, ou ex-pays dominés par les puissances occidentales comme la Malaisie, Hong-Kong, Singapour, l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud ont émergé et sont aujourd'hui des puissances économiques à part entière. Donc il existe bien un développement positif du monde. Dès lors comment comprendre cette domination ? Cette domination n'est-elle pas inhérente à la pensée de l'homme ? De même, cette libération n'est-elle pas inhérente à l'homme ? Dans les deux cas, domination et libération de la domination relèvent de la pensée de l'homme. Pour comprendre le processus dynamique de cette domination-libération, il faut se poser la question pourquoi les hommes, qui sont des êtres pensants, se combattent-ils ? Pourquoi se font-ils la guerre ? Est-ce que ce sont leurs pensées qui les poussent à faire la guerre ? Forcément, puisque les hommes sont actifs et sont organisés en communautés, en nations, des différends peuvent les opposer, portant sur des enjeux économique, stratégique, religieux, ou autre. Souvent chaque nation se méfie ou jalouse l'autre. Elles sont en compétition les unes contre les autres. Par les avancées technologiques et industrielles, la puissance militaire, les territoires conquis, la puissance démographique, la diversité de langues, la croissance économique, les différences culturelles. Toutes les nations se trouvent selon le niveau de puissance auquel elles sont arrivées à s'épier pour parer à un risque de pénétration belliqueuse, d'invasion, de morcellement du territoire et de son partage entre les nations plus puissantes. Donc un affaiblissement, une dégradation économique d'une nation qui se répercute sur sa puissance militaire devient une remise en question de sa souveraineté. On comprend donc que les guerres ne sont pas un luxe mais une nécessité. Elles sont inscrites dans l'inconscient collectif des nations. Sans une puissance économique et militaire dissuasive, les nations peuvent être envahies, morcelées et partagées. Un cas très récent depuis 2011, avec l'irruption du « printemps arabe », la Syrie a été à deux doigts d'être partagée en trois pays, une entité sunnite, une entité chiite et une entité kurde. Elle n'a été sauvée in extrémis que par l'intervention militaire russe qui a contrebalancé et neutralisé l'invasion de la Syrie par des groupes djihadistes extérieurs, aidés par les bombardements aériens de la coalition occidentale sous le prétexte de la lutte contre l'Etat islamique. Et même l'intervention russe a été motivée pour préserver ses acquis, en l'occurrence ses bases militaires en Syrie. Donc toute guerre est motivée par des enjeux géostratégiques et géoéconomiques. Que ce soit pour une partie ou pour la partie adverse. Aussi, peut-on dire que les guerres sont un phénomène naturel de l'histoire humaine. Les causes comme les conséquences se rejoignent dans la pensée même des hommes. Ils se combattent non pour se combattre, mais se combattent par peur que chaque nation ait de l'autre. Parce que chaque nation veut dominer l'autre. Ce désir, cette volonté de domination qui créé la guerre chez autrui, est inné chez l'homme. Ce n'est pas parce que l'homme en tant qu'être pensant et dispose d'un instinct humain, celui-ci le différencie de l'instinct animal. En l'homme, vit l'animal avec ses instincts qu'il ne peut maîtriser par la pensée, parce que sa pensée elle-même à la fois relève et est en adéquation avec l'hostilité de l'existence. Et dans cette hostilité de l'existence, la pensée de l'homme doit frayer un espace pour l'acheminer vers une socialisation, une humanisation de son existence. Mais cela passe à la fois par des stades et par la Pensée qui pense l'homme. 2. Les guerres continuelles en Europe, fatalité ou processus prédéterminé par l'histoire de l'Europe Il existe donc dans la guerre une intention de peur de l'autre. Et ce fait n'est pas propre aux nations, il s'adresse aussi à l'individu, aux communautés, comme, par exemple, des communautés qui ne fusionnent avec les autres communautés au sein d'une même nation. Précisément, cette peur en l'être ou dans une nation est innée en l'homme, et paradoxalement donne un sens à l'existence. Si on suppose que la peur de l'autre en l'humain n'existait pas, y aurait-il un sens à l'existence ? Si les individus, les peuples et les nations ne se craignaient pas les uns des autres, y aurait-il un dépassement de soi, une victoire sur sa propre peur de l'autre ? Et de l'autre sa propre victoire sur son semblable ? C'est là tout le sens de l'existence de l'homme qui, de dépassement en dépassement de soi de sa propre peur, se hisse à son humanité d'être. Telle peut se concevoir la finalité de l'existence qui est de viser la paix avec son semblable. Vivre en paix avec l'autre, vivre en harmonie avec l'autre, cela doit passer par des stades imposés par le processus existentiel qui s'érige en fin de compte en « loi humaine de dépassement vers son humanisation ». L'homme perd de plus en plus son animalité, en s'élevant à son humanité. Donc l'homme se pacifie, s'humanise avec lui-même et avec l'autre. Pour étayer ce discours, «écoutons» les mots de Voltaire, dans « Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, CXCVII, 1756». «Les arts, qui adoucissent les esprits en les éclairant, commencèrent un peu à renaître dès le XIIe siècle ; mais les plus lâches et les plus absurdes superstitions, étouffant ce germe, abrutissaient presque tous les esprits ; et ces superstitions, se répandant chez tous les peuples de l'Europe ignorants et féroces, mêlaient partout le ridicule à la barbarie [...] Une autre source qui a fait couler tant de sang a été la fureur dogmatique; elle a bouleversé plus d'un État, depuis les massacres des Albigeois au XIIIe siècle, jusqu'à la petite guerre des Cévennes au commencement du XVIIIe. Le sang a coulé dans les campagnes et sur les échafauds, pour des arguments de théologie, tantôt dans un pays, tantôt dans un autre, pendant cinq cents années, presque sans interruption ; et ce fléau n'a duré si longtemps que parce qu'on a toujours négligé la morale pour le dogme [...] On peut demander comment, au milieu de tant de secousses, de guerres intestines, de conspirations, de crimes et de folies, il y a eu tant d'hommes qui aient cultivé les arts utiles et les arts agréables en Italie, et ensuite dans les autres États chrétiens. C'est ce que nous ne voyons point sous la domination des Turcs. [...] Au milieu de ces saccagements et de ces destructions que nous observons dans l'espace de neuf cents années, nous voyons un amour de l'ordre qui anime en secret le genre humain, et qui a prévenu sa ruine totale. C'est un des ressorts de la nature qui reprend toujours sa force ; c'est lui qui a formé le code des nations; c'est par lui qu'on révère la loi et les ministres de la loi dans le Tonkin et dans l'île Formose, comme à Rome. Les enfants respectent leurs pères en tout pays ; et le fils en tout pays, quoi qu'on en dise, hérite de son père car si en Turquie le fils n'a point l'héritage d'un timariot, ni dans l'Inde celui de la terre d'un omra, c'est que ces fonds n'appartenaient point au père. Ce qui est un bénéfice à vie n'est en aucun lieu du monde un héritage; mais dans la Perse, dans l'Inde, dans toute l'Asie, tout citoyen, et l'étranger même, de quelque religion qu'il soit, excepté au Japon, peut acheter une terre qui n'est point domaine de l'État, et la laisser à sa famille. J'apprends par des personnes dignes de foi, qu'un Français vient d'acheter une belle terre près de Damas, et qu'un Anglais vient d'en acheter une au Bengale [...] Puisque la nature a mis dans le cœur des hommes l'intérêt, l'orgueil, et toutes les passions, il n'est pas étonnant que nous ayons vu, dans une période d'environ dix siècles, une suite presque continue de crimes et de désastres. Si nous remontons aux temps précédents, ils ne sont pas meilleurs. La coutume a fait que le mal a été opéré partout d'une manière différente [...] Dans quel état florissant serait donc l'Europe, sans les guerres continuelles qui la troublent pour de très légers intérêts, et souvent pour de petits caprices ! Quel degré de perfection n'aurait pas reçu la culture des terres, et combien les arts qui manufacturent ces productions n'auraient-ils pas répandu encore plus de secours et d'aisance dans la vie civile, si on n'avait pas enterré dans les cloîtres ce nombre étonnant d'hommes et de femmes inutiles ! Une humanité nouvelle qu'on a introduite dans le fléau de la guerre, et qui en adoucit les horreurs, a contribué encore à sauver les peuples de la destruction qui semble les menacer à chaque instant. C'est un mal à la vérité très déplorable, que cette multitude de soldats entretenus continuellement par tous les princes ; mais aussi, comme on l'a déjà remarqué, ce mal produit un bien : les peuples ne se mêlent point de la guerre que font leurs maîtres ; les citoyens des villes assiégées passent souvent d'une domination à une autre, sans qu'il en ait coûté la vie à un seul habitant ; ils sont seulement le prix de celui qui a eu le plus de soldats, de canons, et d'argent [...] Les guerres civiles ont très longtemps désolé l'Allemagne, l'Angleterre, la France; mais ces malheurs ont été bientôt réparés, et l'état florissant de ces pays prouve que l'industrie des hommes a été beaucoup plus loin encore que leur fureur. Il n'en est pas ainsi de la Perse, par exemple, qui depuis quarante ans est en proie aux dévastations ; mais si elle se réunit sous un prince sage, elle reprendra sa consistance en moins de temps qu'elle ne l'a perdue [...] Quand une nation connaît les arts, quand elle n'est point subjuguée et transportée par les étrangers, elle sort aisément de ses ruines, et se rétablit toujours». Voltaire n'a fait ici que montrer la nature même des peuples dans leur contexte géographique, démographique, culturel et religieux. C'est toujours les guerres continuelles qui ont marqué l'Europe non pas parce qu'il y a quelque fatalité qui pèse sur elle, mais simplement parce que ce phénomène de peur adverse était ce qui la décrivait par rapport aux autres peuples-nations de la terre. L'Europe, constituée de peuples pourtant très proches, peu différents ethniquement, mais sur le plan linguistique était une mosaïque de langues. Or, cette différence de langues les a façonnés tels qu'ils ne pouvaient être en paix. Chaque nation européenne cherchait à envahir l'autre. Leurs peuples soumis aux monarques réduits à l'état de servage ne pouvaient influer sur leur destin. Laissant le champ libre aux ambitions des monarques d'Europe. Donc une situation naturelle que cette peur existentielle omniprésente de l'autre caractérisant à l'époque les relations entre les monarchies d'Europe. Chaque monarque apparaissait pour ainsi dire le sauveur de son peuple. A suivre *Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective. |