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Michèle Riot-Sarcey à Batna, sur les traces des déportés parisiens de 1848

par Dahmane Nedjar *

  Invitée par l'Institut français d'Alger, pour donner une conférence sur «Les chemins de la liberté au XIXe siècle», Michèle Riot-Sarcey, professeure émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris-VIII et spécialiste de l'histoire politique et des révolutions du XIXe siècle, comme de l'utopie et du féminisme, était à Batna, conviée à intervenir également devant des étudiants et des universitaires, à l'école des langues «Al Bayane Academy».

Il était heureux, et même dans la logique de ses recherches, que «Les chemins de la liberté au XIXe siècle», après Alger et Annaba, mènent Michèle Riot-Sarcey, dans la capitale des Aurès. La ville-garnison, fondée en 1848 et bâtie au lieu et place du lieu-dit éponyme, a été baptisée d'abord «Nouvelle Lambèse». Deux millénaires plus tôt, Lambèse elle-même fut construite pour abriter le siège de la IIIe Légion Augusta, corps de mercenaires qui eut à affronter au début de l'ère chrétienne un certain Tacfarinas et ses alliés Garamantes, nomades qui résistaient aux Romains depuis la Tripolitaine. Une des lointaines résonances du Premier Novembre 1954, des insurgés de 1859, 1871, 1879, 1916, Messaoud Ouzelmadh, le premier du nom, Grine Belkacem, Hocine Berrahail1 et ses compagnons, Ahmed Gadda, le dernier «bandit d'honneur», qui vient de nous quitter cette semaine, et Tayeb Zougagh, disparu lui aussi quelques temps avant lui. Il (Tayeb Zougagh) me disait il y a quelques années à T'kout: «Ce n'était pas nous les hors-la-loi, c'était la France qui était hors-la-loi».

La conférencière invitée à Batna venait, avant de prendre la parole samedi denier, de rencontrer par un pure hasard, une militante de la Fédération de France du FLN, évadée de la prison de La Roquette à Paris. Et ce fut spontanément qu'elle dédia son intervention à notre moudjahida présente dans la salle, Fatima Hamoud, puisque c'est d'elle qu'il s'agissait. Mme Fatima Hamoud, émue jusqu'aux larmes, avait exhibé la fausse carte d'identité utilisée lors de l'évasion de La Roquette, document qui fut établi par Denis Berger qui dirigeait un important réseau de soutien au FLN. Denis Berger, décédé en 2013. L'époux de Michèle Riot-Sarcey.

«En mai 1962, pendant les négociations d'Evian, les Algériens demandent à Denis Berger et Roger Rey d'aider à l'évasion de leurs principaux dirigeants, Ben Bella, Aït Ahmed et Mohamed Khider, enfermés au château de Turquant près de Saumur. D. Berger et ses amis trouvent une galerie souterraine qui mène aux caves du château, mais un coup de téléphone malencontreux de Ben Bella à Rabah Bitat (emprisonné à Fresnes) met la police aux aguets et fait avorter la tentative», nous dit le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier, Le Maitron.

La conférence prononcée à Batna fut également dédiée à Pauline Roland, féministe du XIXe siècle et grande figure de la révolution de 1848, déportée en Algérie. Peut-être à Batna précisément, car le pénitencier de Lambèse fut construit par des prisonniers, dont des déportés parisiens de 1848. Michèle Riot-Sarcey trouvera leur trace sur un tag de l'époque, gravé sur la pierre, parmi les antiques inscriptions latines: «Transportés de 1848».

Pour mieux nous imprégner du destin de femmes telles que Pauline Roland, Michèle Riot-Sarcey nous renvoie à son livre: La Démocratie à l'épreuve des femmes. Trois figures critiques du pouvoir, 1830-1848 [Désirée Véret, Eugénie Niboyet, Jeanne Deroin], paru chez Albin Michel en 1993. Dans un compte rendu saluant la parution de cet ouvrage, Philippe Régnier cite Jacques Rancière: «Une histoire de la vie politique qui ne soit pas celle de l'Etat mais des formes et des chances d'apparition de sujets sur la scène de communauté», et Philippe Régnier d'ajouter: «S'agissant du XIXe siècle du moins, le livre de Michèle Riot-Sarcey apporte opportunément de quoi illustrer cette exigence et combler cette lacune». En sortant de l'oubli, chez nous-mêmes, une actrice de notre émancipation telle que Fatiha Hamoud, l'historienne nous montre la voie, à la fois dans l'action et dans la réflexion critique, pour réinventer l'utopie de la liberté.

Michèle Riot-Sarcey mène justement des recherches sur les utopies, elle a publié «le Réel de l'utopie» en 1998 chez Albin Michel, «le dictionnaire des utopies» chez Larousse et «1848, la révolution oubliée» (La Découverte, avec Maurizio Gribaudi). Son dernier ouvrage, «le Procès de la liberté» (La Découverte) a obtenu le prix France culture le Monde en 2016.

Au terme de son cycle de conférences en Algérie, Michèle Riot-Sarcey nous a remis pour Le Soir d'Algérie, un article co-signé avec Kamel Chabane, «un ancien étudiant aujourd'hui enseignant dans le secondaire. Très engagé dans l'enseignement de l'histoire et la relation au passé, il a co-signé l'article destiné, dans un premier temps, aux lecteurs français. Et qui mieux qu'un professeur du secondaire pour apprécier dans la réalité du quotidien les réactions des élèves à l'actualité politique en lien avec le passé conflictuel ? Kamel est né en France de mère française et de père d'origine algérienne. Ses deux parents sont aujourd'hui décédés».

Ce partage traduit sans nul doute un souci cardinal dans la démarche de chercheure de Michèle Riot-Sarcey, défaire patiemment les fils ténus et inextricables d'un passé commun, en retrouvant les liens d'influences, de parentés et de filiations, qui continuent de tracer les cheminements et façonner le rêve de l'émancipation.

* Docteur en histoire de l'université Paris-VIII

Notes:

1 Et non pas «Hocine Beraïdi», comme il est signalé dans un article exploitant les Mémoires de Lakhdar Bentobal qu'on ne veut décidément pas rendre au public, systématiquement contraint chez nous à subir une «lecture dirigée» de la mémoire du peuple. (Voir : «Le 1er Novembre 1954, La nuit rebelle», Editions La Tribune. Alger. 2004. Page 76.).