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Le colonialisme est un totalitarisme,
autrement plus violent que tous les autres "ismes"
qui ont dominé l'histoire du monde au cours des deux derniers siècles, et qui
ont causé tant de malheurs à l'humanité, et dont les conséquences sont loin
d'avoir été effacées des mémoires et dépassées par les évolutions récentes.
Passer sous silence la violence coloniale, est-ce de la décolonisation ? Cette assertion peut apparaître exagérée, d'autant plus que les anciennes puissances coloniales ont réussi à faire table rase de leur passé de violence extrême contre les peuples qu'ils ont dominés et exploités pendant plus de trois siècles. Elles se sont forgées une image de bienveillance, de générosité et d'humanitarisme, se transformant en ardents défenseurs des droits de l'homme et des principes généreux qui les sous-tendent. De plus, les dérives despotiques des gouvernements nationaux qui ont succédé à la domination coloniale n'ont pas pu contribuer à redorer le blason des anciennes puissances, au point où est apparu, chez certains membres des intelligentzias nationales, un révisionnisme flirtant avec l'idée de réhabilitation du colonialisme, sous une forme plus ou moins voilée. Il n'en demeure pas moins que le colonialisme est, dans son essence, dans son idéologie, comme dans sa pratique, un totalitarisme dont l'objectif fut d'écraser les peuples vaincus, culturellement, si ce n'est physiquement, pour qu'ils acceptent de survivre exclusivement pour servir les intérêts de la puissance occupante. Les peuples colonisés, privés même du droit d'exister, si ce n'est par la bonne grâce des colonisateurs, se sont vu, peu à peu, imposer une vision du monde justifiant leur servitude et expliquant la perpétuation de la domination étrangère, et la violence extrême dont elle s'accompagnait. La narration du passé, un enjeu vital Dans ce système totalitaire, où la culture et la langue du peuple conquis étaient peu à peu étouffées au profit de la culture et de la langue du peuple dominateur, la narration du passé du peuple soumis a joué un rôle majeur. Toutes les puissances colonisatrices ont mobilisé leurs meilleurs cerveaux pour l'écriture d'une histoire des peuples soumis qui leur dénigre toute historicité (cf. " Les Siècles obscurs de l'Afrique du Nord, de Emile-Félix Gautier), ou qui lui enlève toute cohérence, en la présentant comme une série d'évènements sans ordre, ni logique, et dont l'aboutissement ne pouvait être que l'asservissement à des envahisseurs. Les historiens coloniaux, à l'érudition certaine mais fortement réduite par un biais idéologique, ont su construire une histoire des peuples colonisés, qui ne pouvaient que les pousser à accepter comme une fatalité inscrite dans leur propre passé leur déchéance et la domination dont ils étaient l'objet. Les historiens coloniaux ont même réussi à imposer aux populations indigènes instruites aussi bien leurs héros que leurs ennemis. L'enseignement de l'histoire dans le système d'enseignement officiel établi par les administrations coloniales marginalisait l'histoire nationale des peuples indigènes au profit de l'histoire du colonisateur. Une sorte de lobotomisation sans chirurgie a été pratiquée sur l'enfant indigène comme de l'adulte, coupés de leurs racines historiques, et soumis à une vision du monde où ils n'apparaissaient que comme des êtres dont l'utilité historique était subordonnée au rôle que voulaient bien leur faire jouer leurs colonisateurs. La décolonisation de l'histoire est à peine entamée Il a fallu de grands efforts de la part de la très peu nombreuse élite intellectuelle en Algérie -ce modèle de colonie totalitaire- pour échapper au carcan qu'avait placé la puissance coloniale sur la mémoire historique du peuple algérien. Finalement, peu à peu a été reconstituée une vision de l'histoire de notre pays, qui non seulement justifiait la lutte pour la renaissance du peuple algérien, mais servait également de ferment aux efforts de reconstruction de notre histoire. Car il s'agit bien de reconstruire cette histoire, non de la considérer simplement comme un rejet critique de l'historicisme tressé par les centaines d'historiens coloniaux. L'objectif doit être de la reprendre à partir de sources d'informations originales, parfois déjà exploitées par ces historiens coloniaux, mais lues et interprétées selon leurs propres perspectives. La reconstruction de l'histoire nationale, une œuvre jamais achevée La reconstruction de l'histoire de l'Algérie, dans une perspective strictement nationale, est une œuvre immense, sans aucun doute jamais achevée, car il s'agit de passer en revue et de placer sous une perspective nouvelle, tous les évènements, heureux ou tragiques, qu'a connus le territoire que recouvre l'Algérie, et son peuple, toujours renouvelé par les apports ethniques, mais permanent dans certains de ses traits. Les temps antiques, tout comme le Moyen Âge et les temps modernes ne sauraient échapper à cette repossession, tant règnent, dans notre histoire, les distorsions, les falsifications, les omissions volontaires comme les oublis et les zones obscures. Il n'y a rien qui ne puisse donner lieu à une réécriture possessoire, que ce soit l'histoire linguistique du pays, les institutions caractérisant chacune des périodes révisées, la situation économique au cours des siècles, les systèmes monétaires, les méthodes d'éducation, les mœurs, l'histoire religieuse, les relations internationales, etc., etc. Il ne s'agit pas ici de tenter de présenter une historiographie de l'Algérie depuis l'indépendance et, en particulier, à partir du moment où s'est finalement constituée une élite de chercheurs qui, peu à peu, reconstruisent une vision de l'histoire qui place le peuple algérien dans une perspective autre que celle que le totalitarisme colonial a voulu lui imposer. La route est encore longue, et beaucoup reste à faire pour satisfaire le besoin de mieux connaître le passé de notre peuple, et le droit de choisir ses héros parmi les grands hommes et les grandes femmes qui ont contribué à cette histoire. Une nouvelle perspective globale de l'histoire de notre pays Parmi les historiens qui œuvrent pour la repossession de notre passé, il y en a un dont les travaux ont souffert d'un manque d'attention, dont les causes ne peuvent pas être trouvées dans la qualité de ses ouvrages, mais probablement dans l'originalité de l'approche méthodologique, et dans l'extrême érudition dont cette personne fait preuve en dévoilant certains aspects inconnus, ou peu connus de notre histoire. De plus, cet érudit a, sans doute, souffert du fait qu'il vient d'une discipline quelque peu éloignée de cette " histoire globale " si chère à l'école des annales qu'a inventée Fernand Braudel, l'auteur de l'ouvrage clef " La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II " (1949) Fatima-Zohra Oufriha, car c'est d'elle qu'il s'agit, a pourtant probablement réinventé, sans qu'elle en prenne conscience -mais c'est à elle de clarifier le débat qui ne pourra qu'être suscité sur sa méthodologie par une lecture attentive de sa déjà riche œuvre historique- la perspective globaliste de l'école des annales qui s'intéresse non seulement aux évènements et aux hommes qui en sont les héros ou les vilains, mais également aux mœurs, aux activités économiques, à la culture de l'époque et de la région dont elle explore l'histoire. C'est une perspective complexe que Mme Oufriha présente. Il ne s'agit pas seulement de retracer la longue liste des souverains de la dynastie des Zianides dont elle a fait l'objet de ses recherches approfondies. On ne trouvera certainement pas dans ses œuvres la découverte d'un évènement passé inaperçu chez ceux de ses collègues qui se sont intéressés au royaume zianide. Il ne s'est pas agi, pour elle, de nous faire revivre les drames des grands sièges qu'a subis la capitale de ce royaume, qui a joué un rôle fondateur dans la géographie politique de l'Algérie, et pendant plus de trois siècles, et malgré des retournements de situation qui ont failli le faire disparaître, a réussi à rester un foyer de rayonnement culturel et économique unique au Maghreb central, jusqu'à sa disparition finale au milieu du XVIème siècle. Les titres des ouvrages de Mme Oufriha reflètent cette perspective globaliste, si complexe et si riche, mais la seule reconstitution réaliste de l'histoire du passé, difficile, certes, à recréer, car elle exige une érudition sans faute, et un souci des détails qui comptent dans un large tableau reflétant la vie des contemporains dans toute sa richesse. Voici les principaux de ces titres : - Tlemcen, capitale musulmane, le siècle d'or du Maghreb central, Dalimen 2011, - Tlemcen au XVIème siècle, La Vie économique et sociale, ENAG 2016, - Au Temps du Royaume des Zianides, La Décolonisation de l'histoire, ENAG 2016, - Au Temps du Royaume des Zianides, La Vie culturelle, ENAG 2016, - Au Temps du Royaume des Zianides, La Vie économique, ENAG 2016. Du fait de leur richesse et de la profondeur de leurs analyses, ces ouvrages se prêtent mal au résumé en une ligne, car chacun d'entre eux mérite un long compte rendu critique qui ne peut trouver sa place que dans des publications académiques, cette présente contribution visant modestement à attirer l'attention de la lectrice et du lecteur qui s'intéressent quelque peu à l'histoire de leur pays et voudraient avoir entre les mains des ouvrages qui ne sont pas une simple narration d'évènements plus ou moins lointains, mais qui présentent une image vivante d'une société longtemps disparue, mais qui, d'une manière ou d'une autre, a contribué à faire de nous ce que nous sommes. En conclusion C'est d'une véritable reconstruction-repossession de notre histoire que nous avons besoin, non d'une simple décolonisation, car l'historiographie coloniale continue, de manière plus ou moins subreptice, à formater notre vision de notre histoire, et à nous empêcher de mieux appréhender notre passé, si tourmenté et si riche. Même nos héros nous ont été imposés par l'histoire coloniale. Nous avons besoin d'une histoire authentique, qui ne peut être que le fruit des efforts de ceux d'entre nous qui acceptent d'embrasser le sacerdoce qu'implique la volonté de consacrer sa vie à la recherche historique. Parmi les historiennes et historiens qui ont tenté l'aventure difficile de restauration de notre histoire, la professeur Fatima-Zohra Oufriha apporte une perspective globaliste qui rejoint la vision de l'histoire de la fameuse école des annales, dont l'ambition est de tenter de restituer, dans toute sa complexité humaine, l'histoire d'une période. Il serait heureux que, dans une perspective de repossession de notre histoire, l'exemple de l'approche de Mme Oufriha, qui a levé beaucoup de zones d'ombres couvrant l'histoire de la dynastie zianide, si importante dans la géographie politique et l'évolution culturelle et économique de notre pays, soit suivi pour d'autres villes importantes et d'autres siècles de notre histoire. |