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La Croix d’or de Trump

par Barry Eichengreen*

SINGAPOUR – Il y a maintenant des dizaines de tentatives de psychanalyse de la nomination de Judy Shelton à la Réserve fédérale par le président américain Donald Trump. Certains insistent sur la fidélité de Shelton en tant que conseillère au début de la campagne de Trump. D’autres soulignent sa conversion en une « adepte des faibles taux d’intérêt ». D’autres encore mettent en évidence son plaidoyer en faveur de l’étalon-or pour protéger la politique monétaire américaine d’une Fed peu fiable.

Ces interprétations passent toutes à côté d’un élément important : Shelton est une promotrice des taux de change fixes. Sa croyance envers la vertu des taux fixe est de l’herbe aux chats pour une administration qui considère que la manipulation des devises est une menace pour mener à bien sa guerre commerciale.

L’équipe Trump veut comprimer le déficit commercial des États-Unis et améliorer la compétitivité des produits manufacturés nationaux en utilisant les tarifs pour augmenter le prix des marchandises importées. Mais un tarif de 10% compensé par une dépréciation de 10% des devises étrangères par rapport au dollar laisse les prix relatifs des importations américaines inchangés.

Les pays qui cherchent à maintenir la compétitivité de leurs exportations ont un intérêt évident à encourager ces ajustements monétaires, ou au moins à ne pas s’y opposer. En fait, ils n’ont pas vraiment à faire quoi que ce soit pour que leurs monnaies chutent lorsque les États-Unis appliquent des droits de douane. Le déficit du compte courant des États-Unis n’est que la différence entre l’investissement et l’épargne des États-Unis, que les tarifs ne modifient en rien. Si le compte courant ne change pas, le prix relatif des biens nationaux et étrangers ne le peut pas non plus. Ainsi, le taux de change doit évoluer, de lui-même, pour compenser le tarif.

Ainsi, le défi pour l’équipe Trump est d’obtenir que les autres pays changent leurs politiques pour empêcher les variations de valeur de leurs monnaies. C’est tout le sujet des demandes répétées de stabilité des taux de change et la fin des « manipulations monétaires ».

Considérez l’appel de Shelton l’an dernier pour un nouveau système de Bretton Woods. L’objectif, comme elle l’a décrit, serait d’établir un « mécanisme cohérent pour maintenir la stabilité du taux de change entre les monnaies nationales », le même but que celui qui avait été fixé à l’origine lors de la Conférence de Bretton Woods en 1944.

Or, en l’absence d’une conférence mondiale – un anathème pour Trump – la façon d’y arriver est la même que sous le régime de l’étalon-or du 19ème siècle. A l’époque, la première puissance, la Grande-Bretagne, avait fixé unilatéralement le prix en or de la monnaie nationale. D’autres pays, se rendant compte des avantages que ce système accordait à la Grande-Bretagne, avaient suivi son exemple. Lorsque plusieurs pays avaient fixé le prix intérieur de l’or, les taux de change entre leurs monnaies ont effectivement été fixés. Aujourd’hui, l’idée est évidemment que si les Etats-Unis se déplacent d’abord, « préventivement » comme le dit Shelton, d’autres pays suivront.

Derrière cette présomption, cependant, se trouvent un certain nombre de failles logiques. Tout d’abord, les autres pays sont peu enclins à stabiliser leurs taux de change, que l’étalon-or soit restauré ou non. Ils comprennent que les différentes conditions économiques justifient l’adoption de différentes politiques monétaires, ce qui exige que les taux de change puissent évoluer.

En second lieu, l’or n’est plus un point d’ancrage stable. Le prix en dollars de l’or a fluctué de 900 dollars en 2009 à 1 900 dollars en 2011 et est de retour à 1 500 dollars aujourd’hui. Si la Fed fixe le prix de l’or en dollars, cela ne permettra pas de fixer son prix relatif – c’est à dire, le prix de l’or par rapport aux prix des autres biens et services. Pour que le prix relatif de l’or double, comme il l’a fait entre 2009 et 2011, les prix à la consommation devraient chuter de moitié, correspondant à une déflation catastrophique.

Le prix de l’or par rapport à l’inflation IPC a été moins volatile au 19ème siècle, mais cela reflète l’importance des mines d’or. Lorsque le prix de l’or a augmenté par rapport aux prix des autres produits de base, plus de ressources ont été allouées à l’exploitation minière. Davantage d’or a été extrait en conséquence, provoquant la diminution de son prix relatif. Plus précisément, les autres prix ont augmenté, puisque l’or supplémentaire a soutenu une augmentation inflationniste de la masse monétaire.

Aujourd’hui, après un siècle d’augmentation de la production des autres biens et services, l’exploitation de l’or représente une part beaucoup plus limitée du PIB mondial. La capacité de stabilisation de l’industrie minière est plus faible, ce qui rend le prix de l’or plus volatile.

On pourrait arguer que la volatilité du prix de l’or reflète l’instabilité financière, ce qui induit les investisseurs à se précipiter vers l’or en tant que valeur refuge, et que l’étalon-or produira un environnement financier plus stable. Mais il n’y a aucun fondement historique à cette notion. Les crises financières ont été un phénomène récurrent sous le régime de l’étalon-or. Ce n’est pas un mystère: devoir stabiliser le prix de l’or limite sévèrement la capacité des banques centrales à agir en tant que prêteur de dernier recours aux systèmes financiers en difficulté. L’instabilité en a été la conséquence fréquente.

En bref, les arguments en faveur d’un étalon-or et des taux de change fixes comportent de graves lacunes. Mais il y a un bon côté à cette histoire, pour ainsi dire: rien de la sorte ne va se passer, gouverneur Shelton ou non.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont
*Professeur d’économie à l’Université de Californie, Berkeley. Son dernier livre s’intitule The Populist Temptation: Economic Grievance and Political Reaction in the Modern Era