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L'objectif était
la planification de l'économie sous la direction de l'Etat auquel incombait le
rôle de protéger les intérêts du capital contre lui-même et contre le peuple en
nationalisant l'un et l'autre après le décès par mort violente du «laisser
faire». Les ?'Etats providence?' modernes sont en grande partie des produits de
la guerre, c'est-à-dire des efforts des gouvernements pour apaiser les soldats
et leurs familles. Aux Etats-Unis, la guerre civile (1861-1865) conduisit à
instaurer les ?'pensions de veuves'' qui furent les ancêtres de l'aide sociale
aux familles et à l'enfance et les premières retraites sont également apparues.
Les premières pensions d'invalidité ont été versées aux soldats de la guerre
d'indépendance (1775-1783). La construction du circuit économique se fait en
distribuant du pouvoir d'achat (des salaires, allocations, pensions) et des
droits sociaux (welfare) à la population militarisée
(prolétariat industriel et prolétariat militaire) en échange du strict contrôle
du droit de grève par les syndicats (Taft-Harley Act
1947).
L'Etat providence accomplit le rêve du biopouvoir, le Welfare moderne ne naît pas uniquement entre l'économique et le social d'un droit à la sécurité étendant à la société entière une logique «assurantielle» d'entreprise contre tous les «risques» inhérents à l'activité productive (accidents du travail, chômage, maladie, retraite, etc.). Il est aussi le produit de la guerre totale, et tout d'abord comme compensation pour l'engagement de la population et du prolétariat industriel dans l'effort de guerre. L'Etat social fut en partie le produit des guerres mondiales, le prix acquitté pour la chair à canon, la contrepartie de l'impôt du sang, arraché par la lutte, le ?'coût'' à mettre dans la balance des armes pour les ?'décideurs politiques''. Les théoriciens sont unanimes à reconnaître qu'il faut élaborer une théorie critique radicale des concepts de «guerre» et de «politique» tels qu'ils sont présupposés par la formule de Clausewitz : la guerre est/n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens. Foucault fut le premier qui a problématisé le renversement de la formule de Clausewitz en restituant la réalité de la «guerre civile» comme la condition d'intelligibilité effective des relations de pouvoir. Pour Foucault, la «guerre civile» est la matrice de toutes les stratégies du pouvoir, et par conséquent également de toutes les luttes contre le pouvoir. Donc, c'est l'inverse qu'il faut concevoir, la politique est la continuité de la guerre. La «guerre civile» est «l'état permanent» du capitalisme. La guerre civile n'a donc rien à voir avec la fiction hobbesienne de l'individualisme exacerbé de la «guerre de tous contre tous» projetée dans l'état de nature. Il s'agit toujours au contraire d'affrontements entre des entités collectives qualifiées, comprendre : « la guerre des riches contre les pauvres, des propriétaires contre ceux qui n'ont rien, des patrons contre les prolétaires». La guerre civile est le processus même par lequel se construisent les collectivités nouvelles et leurs institutions. La division, le conflit, la guerre civile, la statis structurent et déstructurent le pouvoir, ils forment «une matrice à l'intérieur de laquelle les éléments du pouvoir viennent jouer, se réactiver et se dissocier». «L'affirmation que la guerre civile n'existe pas est un des premiers axiomes de l'exercice du pouvoir». L'économie politique est la «science» par excellence de cette dénégation. Elle se veut double dénégation, négation de la guerre et négation de la souveraineté : l'intérêt économique et l'égoïsme individuel remplacent les passions guerrières, tandis que l'autorégulation de la main invisible rend inutile et superflu le souverain. Dans l'idéologie libérale, le capitalisme n'a besoin ni de la guerre, ni de l'Etat. «L'exercice quotidien du pouvoir doit pouvoir être considéré comme une guerre civile : exercer le pouvoir, c'est d'une certaine manière mener la guerre civile et tous ces instruments, ces tactiques qu'on peut repérer, ces alliances doivent être analysables en terme de guerre civile. Le point de vue de Clausewitz est celui de l'Etat, dans l'inversion de la formule, l'Etat n'est pas l'origine ou le vecteur des relations de pouvoir. Dans le schéma clausewitzien l'Etat étatise la guerre, il mène la guerre à l'extérieur de ses frontières pour augmenter sa puissance d'Etat, dans un cadre réglé par la constitution du droit international à l'initiative des Etats. Là encore, on voit comment ce principe de Clausewitz a eu un support, un support institutionnel précis qui a été l'institutionnalisation du militaire. L'existence d'un dispositif militaire permanent, coûteux, important, savant à l'intérieur du système de la paix». (Michel Foucault, Sécurité, Territoire, Population, op.cité p.111). L'irréductibilité de la guerre sociale à la lutte des classes qui la pacifie conditionne l'analyse du pouvoir politique comme guerre. Il y a une différence de nature entre les relations de pouvoir (disciplinaires, de sécurité et de gouvernementalité) et les affrontements stratégiques. Elle montre que guerre et pouvoir, tout en étant distincts, se trouvent dans un rapport de continuité et de réversibilité. Les relations de pouvoir sont de type gouvernants/gouvernés et désignent des relations entre partenaires, alors que les affrontements stratégiques opposent des adversaires. «Un rapport d'affrontement rencontre son terme, son moment final (et la victoire d'un des deux adversaires) lorsque aux jeux des réactions antagonistes viennent se substituer les mécanismes stables par lesquels l'un peut conduire de manière assez constante et avec suffisamment de certitude la conduite des autres.» (Michel Foucault, «le sujet et le pouvoir» T.II, p.1061). Les rapports stratégiques entre adversaires se substituent des relations types gouvernants/gouvernés. Les libéraux rêvent de voir les dispositifs de pouvoir fonctionner de manière automatique, sur le modèle de la main invisible d'Adam Smith s'imposant aux individus comme une nécessité dans le jeu de la liberté et du pouvoir. Mais ces «automatismes» sont d'abord les résultats de la guerre et de sa continuation par d'autres moyens, en sorte que la guerre couve toujours sous les relations disciplinaires, gouvernementales et de souveraineté. Une fois que les dispositifs de pouvoir assurent une certaine continuité, prévisibilité et rationalité à la conduite des comportements des gouvernés, il peut toujours se produire le processus inverse qui transforme les gouvernés en adversaires, puisqu'il n'y a pas de pouvoir sans des insoumissions qui lui échappent, sans luttes qui se jouent de la contrainte du pouvoir et qui ouvrent à nouveau la possibilité de la «guerre civile». « Et en retour, souligne Foucault, pour une relation de pouvoir, la stratégie de lutte constitue elle aussi une frontière», un seuil qui doit être franchi vers la guerre. L'exercice du pouvoir (disciplinaire, sécuritaire, gouvernemental, etc.) présuppose 1/ la liberté de celui sur lequel il s'exerce, et 2/que ce dernier soit bien «reconnu et maintenu jusqu'au bout comme sujet d'action», c'est-à-dire comme sujet de lutte, de résistance, d'insoumission». Si bien que ««toute extension du pouvoir pour soumettre», d'un côté, la liberté et, de l'autre, la subjectivité, ne peuvent que conduire aux limites d'exercice du pouvoir ; celui-ci rencontre alors sa butée soit dans un type d'action qui réduit l'autre à l'impuissance totale (une ?'victoire'' sur l'adversaire se substitue à l'exercice du pouvoir), soit dans un retournement de ceux qu'on gouverne et leur transformation en adversaires. Peut-être le plus important est-il de saisir que le pouvoir et la guerre, les relations de pouvoir et les relations stratégiques ne doivent pas être pensés comme des moments successifs, mais comme des relations qui peuvent continuellement se renverser et qui, en fait coexistent. «En fait, entre relation de pouvoir et stratégie de lutte, il y a appel réciproque, enchaînement indéfini et renversement perpétuel. A chaque instant le rapport de pouvoir peut devenir, et sur certains points devient, un affrontement entre des adversaires. A chaque instant aussi les relations d'adversité, dans une société, donnent lieu à la mise en œuvre des relations de pouvoir». (Foucault, Naissance de la Biopolitique). La réversibilité (entre gouvernants/gouvernés et adversaire/ennemi) détermine une «instabilité» qui n'est pas étrangère au capitalisme financier contemporain. La «crise» ne succède pas à la «croissance», elles coexistent ; la paix ne succède pas à la guerre, elles sont coprésentes ; l'économie ne remplace pas la guerre, elle institue une autre façon de la conduire. La «crise» est infinie et la guerre ne connaît de répit qu'en incorporant les dispositifs de pouvoir qu'elle sécurise. Il n'est plus question en définitive de renversement de la formule (la politique comme continuation de la guerre par d'autres moyens) mais d'une imbrication de la guerre dans le politique et du politique dans la guerre qui épouse tous les mouvements du capitalisme. La politique n'est plus, comme chez Clausewitz, celle de l'Etat, mais politique de l'économie financiarisée imbriquée dans la multiplicité des guerres qui se déplacent et font tenir ensemble la guerre de destruction (pandémique peut-être) en acte avec les guerres de classes, de races, de sexes, et les guerres écologiques qui fournissent l'«environnement» global de toutes les autres. La gouvernementabilité ne remplace pas la guerre. Elle organise, gouverne, contrôle la réversibilité des guerres (ami/ennemi) et du pouvoir (gouvernants/gouvernés). La gouvernementalité est gouvernemetalité des guerres, faute de quoi le nouveau concept, trop hâtivement mis au service de l'élimination de toutes les «conduites» de la guerre, entre inévitablement en résonance avec le tout-puissant et très néo-libéral concept de gouvernance. Gouvernementalité, c'est la naissance de la biopolitique. Le marché y récupère en effet son statut d'entreprise de négation de la guerre civile au fil d'une utopie néo-libérale. A suivre *Docteur en physiques et DEA en sciences du Management |
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