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C'est
la fin de la saison des pluies. La rue Taboule en
plein centre de Kinshasa est complètement défoncée. Les fourgons de transport
public, d'une vétusté étonnante, lourdement chargés, plongent dans la boue et
en sortent miraculeusement sans laisser un seul boulon.
Curieux phénomène que ces fortes pluies qui se déversent sur la capitale de la République démocratique du Congo (RDC) presque à une heure précise de la journée. C'est en général en fin d'après-midi, entre 16h et 17h, que le ciel prend une couleur sombre profonde et les vents commencent à agiter cette verte végétation avec ses multiples arbustes et ses bosquets fleuris qui, plantés un peu partout, donnent à la ville un air de propre et de fraîcheur? Mais les eaux laissent des marques indélébiles dans les rues et les quartiers. « C'est la rue Taboule, le nom d'un grand chanteur de la rumba, elle est toujours dans cet état alors que la maison du gouverneur est juste là, tout près, » nous dit le chauffeur qui nous faisait visiter Kinshasa au lendemain d'une bourrasque où le tonnerre avait fait vibrer les vitres des bâtisses. C'est une rue sur les abords desquels s'alignent des commerces multiples, des pièces détachées pour les véhicules, de l'alimentation de tout genre, mais surtout des articles ménagers en plastique que le Congo produit lui-même avec pour certains d'entre eux, des couleurs vives qui rappellent, si besoin est, qu'on se trouve au cœur de l'Afrique. C'est aussi un endroit par lequel passent ou marquent leur arrêt, les nombreux transports publics qui débordent de voyageurs. Ce sont pour la plupart de vieux tacots dont les chauffeurs ne craignent aucune panne. Ils n'hésitent pas à « plonger » leurs véhicules -ont-ils d'ailleurs d'autres choix ?-, dans les crevasses bien profondes de la rue remplies d'eau boueuse aux odeurs nauséabondes et en ressortent miraculeusement indemnes, sans crevaison ni panne de moteur. A la sortie de Kinshasa, un mouvement incessant de foules tente de se frayer un bout de place à bord d'un fourgon ou bus de transport public pour pouvoir rejoindre son quartier. Il est très difficile de circuler pendant que les milliers de piétons se faufilent entre les innombrables véhicules pour traverser la rue et courir dans tous les sens. Des robots qui réglementent la circulation Dans la capitale congolaise, il est inutile de vouloir comprendre le sens du trafic routier. Chacun fait ce qu'il veut, ce qu'il peut. Au niveau de carrefours immenses, les véhicules viennent de tous les côtés, aucune priorité n'est respectée. Au milieu de ce manège infernal, un policier, habillé en bleu pétrole avec un gilet orange, sur la tête un casque qui lui arrive au nez, d'un bleu clair rayé d'une bande orange bordée de deux autres rouges. « S'il arrête une voiture, c'est pour soutirer de l'argent à son conducteur, mais pas pour avoir fait une infraction, » nous explique notre guide. Au bon milieu de plusieurs autres carrefours, il y a des robots qui réglementent la circulation. Comme si le Congo n'avait pas assez de chômeurs? « Les responsables préfèrent mettre les robots surtout pour diminuer des pratiques de corruption généralisées par les policiers, » dit-il encore. «Ce sont des familles entières qui viennent tôt des quartiers périphériques pour travailler à Kinshasa et repartent en fin de journée, » nous fait savoir notre accompagnateur. «Kinshasa compte près de douze millions d'habitants dont six ou sept vivent dans ses quartiers Est,» explique-t-il. Ici, la vie semble n'avoir cédé que l'amertume de la pauvreté et les galères sans fin. Dans ces milieux en quête de survivance, le gagne-pain est infiniment négligeable. En fin de journée, tous ceux qui étaient venus le matin, remontent dans des transports qui ressemblent à un amoncellement de ferrailles à force de leur vétusté, pour rentrer chez eux. Ils grimpent même sur les toits ou alors sortent leur tête des portières en gardant un seul pied à l'intérieur. Matede, N'Djili, Massina, Kingasani, la vie dans ces quartiers mal famés ne fait aucun cadeau à tout ce monde qui ne se repose jamais. Il y a une dizaine d'années, le gouvernement congolais a demandé à des étudiants en économie de lui mener une enquête sur la pauvreté. « L'Etat avait saisi la quintessence des problèmes mais de là à réagir? les populations attendent toujours? », affirme notre accompagnateur. 85 millions d'habitants, «seuls 30% qui travaillent» Le plus gros indicateur dans le pays de Kabila est que « la République démocratique du Congo compte près de 85 millions d'habitants, seuls 30% travaillent, nombreux sont qui instruits, diplômés, exercent des petits métiers pour pouvoir nourrir leur familles, » nous explique un économiste. « La population a doublé, ne faites pas beaucoup d'enfants, il y a trop de problèmes (?), respectez le planning familial, mais qui m'écoute ?!, » avait lâché devant des journalistes, Olibe Lembe Kabila, épouse du président de la RDC. Il fait chaud à Kinshasa. Le fleuve Congo qui la longe dégage une humidité qui la plonge dans une torpeur suffocante. « C'est la fin de la saison des pluies, arrive dans quelques jours la saison sèche, il fera encore plus chaud, » nous dit une jeune Congolaise. La région n'a que deux saisons, «l'hiver » avec ses fortes pluies presque tièdes et l'été avec ses chaleurs torrides. Le centre-ville, la Gombe, les constructions sont modernes avec des jardins verdoyants, les résidences ont des balcons fleuris, des piscines, des salles de sports, enfin, tout pour une vie agréable et facile. Le quartier résidentiel où se trouvent certaines ambassades est calme même si parfois, on remarque des vendeurs qui étalent leurs marchandises à même le sol, ou alors posent une table avec tous les ustensiles pour préparer et vendre des sandwichs ou le toufou, une pâte à base de farine de manioc enveloppée dans des feuilles de bananiers. «Ils les vendent aux employés qui ne peuvent pas aller loin pour acheter quoi manger,» nous fait savoir notre guide. L'on nous dit que certaines vendeuses sont les épouses des militaires qui sont en faction à quelques mètres pour surveiller les rives du fleuve Congo. « S'il y a quelqu'un qui veut les faire partir, les militaires disent que ce sont leurs femmes et que si elles vendent des sandwichs dans ces quartiers, c'est parce qu'on ne peut pas quitter nos postes de gardes,» note Gilles, un Congolais qui nous a expliqué pourquoi l'armée a dressé des tentes près des rives du fleuve et y a placé des sentinelles. « Le pouvoir craint d'avoir des personnes qui viennent de l'autre rive pour créer des problèmes chez nous, » dit-il. A l'autre rive, il y a le Congo Brazzaville. L'on dit que des éléments « mobutistes » de l'armée de la RDC ont déserté pour y trouver refuge. Le pouvoir en place craint beaucoup les adeptes de l'ex-président du Congo, Mobutu, mort et enterré au Maroc. Mobutu a été renversé par Laurent Désiré Kabila, père de Joseph, actuel président de la République. La nature a tout donné au Congo? Appelé Congo Belge, de 1908 à 1960, la RDC s'était aussi appelée Zaïre de 71 à 97. Située dans l'Afrique centrale, s'étalant sur plus de deux millions de km2, moins vaste que l'Algérie d'à peine quelques kilomètres, la RDC partage ses frontières ouest avec l'Angola (qui va jusqu'au Sud) et le Congo Brazzaville, à l'Est avec le Rwanda, la Tanzanie, le Burundi, l'Ouganda, au nord avec la République centrafricaine et le Soudan et enfin au sud avec la Zambie. La RDC abrite plus de 450 tribus aux dialectes divers mais a quatre langues nationales (lingala, tshiluba, swahili, kikongo) et le français comme langue officielle. « Lingala est une langue d'autorité, elle est ferme, on n'utilise pas SVP ou merci, d'ailleurs, les Belges l'avaient adoptée pour donner des ordres aux armées, » nous renseigne Dr Tshionyi Kabanga. Le Congo est un pays riche. La nature lui a tout donné mais l'homme a été égoïste et ingrat envers elle. Diamants, or, cuivre, cobalt, caoutchouc et autres ressources minières enrichissent les sous-sols du pays mais ne profitent pas à la collectivité. Chinois, Britanniques, Autrichiens, Allemands, Belges et autres étrangers exploitent les mines. Le secteur évolue dans une totale anarchie, laissé en proie à des prédateurs et aux mafieux. « Trafics d'armes, de drogues, d'enfants, vous trouverez de tout notamment dans les régions de l'Est du pays, aux frontières avec le Rwanda. Des groupuscules armés habitent les forêts, pillent les mines et terrorisent les populations sur leur passage, » nous fait savoir notre guide. La faune et la flore occupent de vastes territoires au Congo. Le voyage dans le Bas Congo, au sud-est du pays, a été long. Kisantu est cette région où se trouve un fabuleux jardin botanique. Créé en 1900 par Justin Gilles, un jésuite belge, le jardin qui s'étend sur 225 hectares dont 80 aménagés, a été constitué en premier par une végétation ramenée d'ailleurs, de pays étrangers. « Le jésuite a voulu les acclimater et il a réussi, les arbres et les plants qu'il a ramené de plusieurs régions du monde ont poussé ici au Congo sans problème, » nous dit Richard. Il nous montre un mangoustanier, un arbre au fruit succulent ramené d'Indonésie et qui pousse aussi au Vietnam. Le kalis, ce fruit qu'on creuse pour en faire un? thermos pour le chaud et pour le froid. « On en fabrique aussi un instrument de musique, » nous fait savoir notre guide. Niste le crocodile et les impôts? Les arbres dont l'écorce sent la cannelle poussent un peu partout. Le Congo produit-il de la cannelle ? interrogeons-nous. « Non, on ne sait pas le faire, les arbres poussent tellement vite qu'on est obligé d'en enlever plusieurs, » indique-il. Au loin, des arbres blancs très élancés, d'autres millénaires, aux troncs larges et hauts jusqu'au ciel? Il ne faut surtout pas accrocher son regard à leurs cimes parce que le sol est jonché de chenilles, de millepattes et de fourmis rouges carnivores. « Un jour, ces fourmis ont attaqué un serpent, elles étaient tellement nombreuses qu'elles l'avaient complètement caché, on a été obligé de tuer le serpent, » raconte le guide. Les piqures des moustiques sont aussi dangereuses que celles des fourmis. « Avant de descendre de voiture, il faut mettre ce produit sur les bras et toute partie de la peau qui n'est pas couverte, autrement si un moustique pique, ce sont des cloques et non de simples rougeurs,» entendons-nous dire. Sur la rive d'un étang, un crocodile, la gueule ouverte, sans bouger, sans même cligner des yeux. Immobile. Silencieux. Raide comme mort. Nous pensions qu'il l'était tellement il a gardé longtemps sa gueule grande ouverte. Il s'appelle Niste, du nom du professeur qui l'a pêché dans la rivière de Inkisi dont les eaux se jettent dans le fleuve Congo. «Au début, il l'a gardé chez lui mais les impôts devenaient trop lourds à payer, il l'a alors ramené au jardin botanique, » indique notre guide. Niste a 40 ans d'âge. Il se faufile tout au long des herbes qui entourent l'étang et glisse doucement dans les eaux. Plus loin, dans une cage, sautille un chimpanzé. Solitaire. « Simon ! » l'appelle le guide. Il accepte de regarder l'appareil photo sans détourner la tête. Le voyage a duré trois longues heures. La route est tortueuse et fréquenté par de gros camions qui débordent de marchandises. « Ils viennent du port de Matadi qui s'ouvre sur l'océan atlantique, c'est le point le plus important pour le commerce, » note notre accompagnateur. Les camions sont vieux et déglingués. Leurs chargements tellement importants qu'ils crèvent souvent leurs pneus. Les véhicules de tourisme n'en subissent pas moins. Les passagers s'y entassent, quatre devant et cinq à l'arrière. Ceci sans compter quatre autres qui sont assis dans le coffre de la voiture, les pieds pendants. Sur le toit de la voiture sont chargés de gros sacs de charbon. Ces panneaux de signalisation «naturels» Des touffes d'herbes sont très souvent déposées sur une partie de la route. «C'est pour prévenir qu'il y a quelqu'un qui change la roue de son véhicule, qu'il est en panne, ou alors il y a un accident mais il n'y a pas de morts, » explique le guide. Mais comment on sait qu'il y a eu des morts ou pas ?, lui demandons-nous. «Ceux qui s'arrêtent habillent une croix d'une chemise ou d'une veste, et la placent sur les abords de la route, » répond-il. Les Congolais sont très religieux. A majorité chrétienne, ils n'hésitent pas à faire dans l'ostentatoire pour montrer leur religiosité mais aussi leur différence dans la pratique. Le Congo ne compte pas beaucoup de musulmans. « Ils sont divisés entre chiites et sunnites, » lance notre guide. Entre un village et un autre, le visiteur doit s'acquitter d'une taxe au profit de la fiscalité locale. Mais entre un point de péage et un autre, des policiers peuvent arrêter n'importe quel automobiliste pour lui exiger de l'argent. « Même si on est en règle et que nous n'avions fait aucune effraction, les policiers nous demandent de l'argent, ils rackettent tout le monde sur leur passage, » dit-il. La corruption fait rage au Congo. Luila, Kikola, Kisangulu, Somabata, ces villages déshérités que nous traversons ne profitent en rien des taxes imposées aux visiteurs. Leurs habitants vivent dans des taudis, ne bénéficient d'aucune commodité. Ni eau, ni électricité, encore moins des habitations en dur ou des services sociaux. Les Algériens ne vendent rien en RDC A l'ambassade d'Algérie à Kinshasa, il n'y a pas grand-chose à faire. La RDC est situé au centre de l'Afrique, bien loin d'Alger «Il y a à peine 30 Algériens au Congo, ils viennent travailler avec ces sociétés étrangères d'exploration minière en général, » nous avait dit l'ambassadeur. La balance commerciale entre l'Algérie et la RDC atteint au maximum 7 millions de dollars grâce en particulier, à l'exportation des textiles africains. Du côté algérien, seule la société ADAPA que dirige l'entrepreneure algérienne, Najjat Belbachir a élu domicile à Kinshasa et sillonne depuis le Congo en long et en large pour prendre des marchés de réalisation de grands projets d'infrastructures. Autrement, l'Algérie ne vend rien en RDC. Pourtant, le pays manque de tout. Les Congolais apprécient beaucoup les dattes? Mais il faut croire que l'esprit de Mobutu, un président qui était pro marocain jusqu'au bout des ongles, règne encore sur le pays. Kabila n'a pas changé grand-chose dans ce tableau? C'est le temps des papillons au Congo. Ils vont et viennent de partout, en plein centre-ville, jour et nuit. Ils volent même en temps de pluie. Le Congo s'apprête à vivre ses six mois d'été. Si l'eau coule dans la plupart des quartiers de Kinshasa, l'électricité, elle, joue tous les jours au yoyo. Des coupures intempestives alimentent le quotidien de ses habitants. Il faut croire que les climatiseurs ne sont jamais éteints même quand il pleut. Mais l'on reconnaît que les deux centrales qui existent ne suffisent pas pour une région aussi vaste que la capitale congolaise. A part le centre-ville de Kinshasa qui est aménagé, tout autour les rues sont poussiéreuses, les trottoirs inexistants, l'électrification publique est très faible. Même quand elle existe, elle est en veilleuse. C'est à peine si l'on peut voir des têtes bouger entre les milliers de véhicules et transports qui rentrent le matin très tôt dans la capitale et la quittent le soir. Un mouvement de foules où femmes, hommes et enfants, vieux et jeunes se côtoient dans une promiscuité infernale. |
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