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Le texte qui suit fait partie d'une série d'approches à venir, concernant
quelques aspects essentiels des évolutions en cours. Elles nous interpellent en
effet quant aux enseignements que chacun peut en tirer pour aborder les
situations grosses de mutations avec résolution et esprit de responsabilité. Il
s'agit de rendre les inéluctables transitions aussi peu dramatiques et
coûteuses que possible pour nos peuples et surtout leur assurer à terme les
débouchés les plus positifs et les plus durables. L'Algérie est plus que tout
autre pays sensible à cette problématique, après la «transition» non seulement
avortée depuis 1990 mais qui s'est avérée génératrice d'un des plus grands
malheurs de notre histoire nationale.
En Algérie comme dans toute la région, l'Historie n'a pas fini de nous dérouler ses ruses et surtout la logique profonde de sa «longue durée». Une logique qui, après des longues années de stagnation apparente, s'exprime aujourd'hui dans les fondements et les prolongements géopolitiques et géostratégiques des soulèvements populaires qui ont touché par vagues rapprochées plusieurs pays : Algérie, Tunisie, Egypte, Yémen, Jordanie. La liste n'est pas close, elle tend à se renouveler chaque jour. Avec du retard ou de l'avance, ainsi que dans des formes spécifiques à l'Histoire et aux particularités de chaque pays, toujours les comportements conscients ou inconscients des acteurs sociaux et politiques reflètent plus ou moins fidèlement les mêmes tendances lourdes au long cours, Les évènements d'envergure qui secouent cette vaste région habitée par d'ardentes aspirations à la liberté, à la paix et au bien-être, sont suivis avec passion et émulation dans l'espace géographique et géopolitique qui s'étend, «min al Atlassi ila-l-Khalidj», de l'Atlantique au «Golfe» (arabo-persique) tel que l'appellent souvent les media arabes. C'est le même espace que la stratégie de Bush, au beau milieu de la guerre d'Irak, d'Afghanistan et de l'enfer palestinien, vouait au projet américain du «GMO» (Grand Moyen Orient), tandis que Sarkozy l'intégrait dans le projet de l'UPM (Union Pour la Méditerranée) non moins resté dans ses limbes, cependant que des plans occultes imaginent des rallonges à cet espace en manigançant notamment la déstabilisation des pays riverains du Sahel Africain. Face aux séismes en chaîne sur les rive sud et orientale de la Méditerranée, les milieux occidentaux, longtemps sourds et incompréhensifs aux signaux les plus clairs, s'inquiètent et se perdent en conjectures, s'étonnant qu'il soit sorti quelque chose de ce monde arabe figé dans la «passivité et le fatalisme». Plus perspicaces ont été des analystes internationaux, tels ceux du site LEAP/2020 qui, interprétant avec sérieux les données objectives de la crise économique et financière mondiale, ont cru pouvoir estimer dans leur dernière livraison du trimestre dernier que la crise loin de s'atténuer, ne tarderait pas, dès le printemps 2011 à connaître des développements d'envergure pouvant aller jusqu'à des «dislocations géopolitiques». UN VRAI TOURNANT, que n'ont pas vu venir ceux qui tiraient à court terme des profits faramineux des statu quo anti-populaires et anti-nationaux. Les peuples qui en faisaient les frais dans la détresse, les révoltes, l'angoisse et la colère, aspiraient quant à eux à ce tournant depuis des décennies, en tâtonnant et sans trop savoir comment y parvenir. Les courants réellement démocratiques dans les diverses mouvances idéologiques ou identitaires, les militants socialistes notamment, ne lésinant pas sur les sacrifices moraux et matériels, continuaient sous les commentaires compassés et condescendants des «réalistes», à appeler à des luttes unies, longues et persévérantes, «semant dans le désert», comme le rappelait avec humour et conviction l'opposant tunisien en exil Moncef Marzouki, se rappelant la séculaire expérience des paysans du sud saharien. (site «socialgerie», article n° 345) Frappés par la simultanéité et l'extension des soulèvements de grande ampleur, des commentateurs ont parlé «d'effet dominos», de «contagion». Ils invoquent les déclics et les incidents déclenchants, le rôle effectif et «en temps réel» des grands moyens de communication (internet et télévision) etc. Cela comporte une part de vrai sans pour autant être l'essentiel. En vérité, au-delà des facteurs conjoncturels et des spécificités nationales, cette lame de fond a pris l'envergure, la puissance et l'ubiquité territoriale qu'on lui connaît dans le monde arabe, avant tout parce que dans cet espace, elle était devenue la réponse à la cause majeure et globale qui l'a générée et entretenue depuis des décennies : la politique cohérente, massive, de rapine et d'agression des cercles néolibéraux militaro-financiers d'Outre-Atlantique et d'Europe, une démarche aux effets sociaux et politiques de plus en plus insoutenables. Elle s'est exacerbée avec la cataclysmique crise financière des deux dernières années et les situations sécuritaires «au bord du gouffre» créées par les menaces et les actes des cercles agressifs américano-sionistes. Comment les peuples, spontanément ou avec leurs organisations politiques, leurs instances étatiques, ont-ils déjà et vont-ils encore réagir ? Pour qui connaît les évolutions depuis un demi-siècle environ, il semble bien qu'ils ont tiré de nombreux enseignements des expériences passées. L'avenir sera forgé selon la façon dont les jeunes générations qui affrontent l'actualité avec leur dynamisme et leurs capacités propres, pourront intérioriser l'expérience acquise par leurs aînés, telle que accumulée et exprimée dans les débats intenses nationaux, régionaux et mondiaux largement diffusés par les moyens de communication planétaires. Dans le cas tunisien, cette rencontre a été particulièrement convaincante, dans le feu de l'action et de l'unité d'action, entre les anciennes et jeunes générations combattantes de la démocratie et de la justice sociale. Il me semble que l'élément central, déjà intériorisé ou en voie de l'être à plusieurs niveaux des sociétés et des champs politiques, est la prévalence du SOCIAL comme finalité et moyen du développement, En même temps est mieux apparu, mais reste à percevoir encore mieux, le rôle antisocial et antidémocratique joué par les multinationales et les organismes internationaux à leur service (FMI, Banque Mondiale, OMC) avec l'appui de leurs bras politique et armé dont l'OTAN et ses multiples relais, qui sont dans chaque pays du monde arabe le rempart des régimes et pratiques anti-démocratiques les plus régressives. Comme l'ont souligné plusieurs commentateurs, Benali est parti, mais ses maîtres, les dictateurs en chef, vont-ils continuer à tenir enchaînée la Tunisie par de nouveaux relais ? La prise de conscience de cette jonction de l'exploitation socio-économique et de l'oppression des libertés et des droits de l'Homme me paraît l'évolution la plus prometteuse pour le recul des mystifications idéologiques et identitaires grâce auxquelles les régimes oppresseurs ont pu survivre aux échelles régionale et mondiale. Ils ont souvent réussi à le faire en divisant les opinions nationales et populaires selon leurs sensibilités confessionnelles et culturelles, pour les empêcher d'envisager leur avenir selon l'évaluation objective des intérêts respectifs qui devraient les unir contre les dangers et les risques communs. C'est le moment de ne pas oublier à quel point le monde, jusqu'à ses derniers recoins, est à ce jour encore dirigé d'une façon implacable, non par les seules instances étatiques visibles et leurs représentants attitrés qui alternent au devant de la scène internationale, mais par une coalition formelle, occulte et restreinte qui, au plus haut niveau, élabore les stratégies et en contrôle l'application diversifiée. «Cette organisation qu'on a appelée «Triade» puis «Trilatérale» puis «club de Bilderberg», (est) infiniment plus puissante et plus efficace que le Forum de Davos, que le G6, puis G20, qui n'en sont que des applications et des mécanismes de «normalisation» de l'idée de gouvernance mondiale. Le «club de Bilderberg» peut convoquer à ses réunions de puissants ministres de la défense ou de l'économie, et décider quelles sont les grandes orientations à imprimer à la politique pour soumettre le monde aux intérêts de cette élite. Rockefeller en est le principal inspirateur.» (cf M. Bouhamidi dans la Tribune du 6 janvier 2011) Ce même David Rockfeller, après avoir exprimé sa reconnaissance aux grands media et publications américaines pour avoir rempli leurs promesses de coopération «discrète» au club de Bilderberg, soulignait en 1991 à Baden-Baden : «La souveraineté supranationale d'une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux est assurément préférable à l'autodétermination nationale pratiquée dans les siècles passés.» (ibidem) Comment s'étonner alors que, face à cette coalition de l'ombre pour la déstabilisation et le dépeçage des nations par les armes et les divisions identitaires, face à l'oppression des peuples, au pillage de leurs ressources, à l'exploitation à outrance de leur force de travail et de leurs détresses sociales, les peuples de notre région aient relancé leurs efforts pour joindre toutes leurs ressources, leurs moyens d'action et leur courage afin de mettre à la porte les valets et les pratiques des comploteurs impérialistes ? C'est le premier pas, dans des situations et par des voies nouvelles, avec des moyens nouveaux, vers la réalisation démocratique, pacifique et dans l'unité d'action, des objectifs fondamentaux assignés il y a cinquante ans à la guerre de libération nationale. Face au désarroi dangereux des oppresseurs et affameurs mondiaux et de leurs relais locaux, il appartient aux peuples et à leurs organisations de donner à leurs légitimes «intifadhat» un élan ascendant de résistance nationale et de solidarité internationale et un contenu démocratique et social de plus en plus conscient. |