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3.2 L'argumentation de la
partie algérienne :
La revendication algérienne, quant à la restitution des archives qui appartiennent de droit au peuple algérien, s'est basée et se base essentiellement sur : 1. Les principes reconnus par les pays membres du Conseil International des Archives dont la France et l'Algérie font partie : - Respect des fonds : « est un principe fondamental de l'archivistique, qui consiste à laisser groupées, sans les mélanger à d'autres, les archives provenant d'une administration, d'un établissement ou d'une personne physique ou morale donnée : ce qu'on appelle le fonds des archives de cette administration, de cet établissement ou de cette personne ». (34) - Provenance territoriale : ce principe dérive du respect des fonds selon lequel les archives doivent être conservées dans les services d'archives du territoire sur lequel, elles ont été produites... » (35) 2. Les résolutions des instances internationales : - Actes de la VIème Conférence internationale de la table ronde des archives (Varsovie 16-20 mai 1961) relatifs aux archives dans la vie internationale. Droit international des archives. Collaboration internationale en matière d'archives. Les archives des organisations internationales. (36) - Rapport de la XVIIème Conférence internationale de la table ronde des archives, Cagliari (1977) (37) : relatif à la constitution et reconstitution des patrimoines archivistiques nationaux - Actes de la 20ème Conférence générale de l'Unesco (1978) (38) - Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de biens, archives et dettes d'Etat faite à Vienne le 8 avril 1983 (39), dans la section 2, relatives à des catégories spécifiques de succession d'Etats, article 28, alinéa a et b stipule : « que dans le cas d'un Etat nouvellement indépendant comme ce fut le cas de l'Algérie en 1962 : - a) Les archives ayant appartenu au territoire auquel se rapporte la succession d'Etats et qui sont devenues, pendant la période de dépendance, des archives d'Etats de l'Etat prédécesseur passent à l'Etat nouvellement indépendant; - b) La partie des archives d'Etat de l'Etat prédécesseur qui, pour une administration normale du territoire auquel se rapporte la succession d'Etats, doit se trouver sur ce territoire passe à l'Etat nouvellement indépendant; 3.3 Les conséquences du «rapt» sur la partie algérienne : - Préjudice « mémoriel » puisqu'une grosse partie de sa mémoire pour une période cruciale de son histoire est toujours sous domination française. - Agression dans sa souveraineté, dans la mesure où ce pays qui avait accédé à son indépendance depuis 60 ans, n'est pas libre de décider librement de son patrimoine documentaire. C'est la puissance qui a colonisé le pays qui en dispose librement. A titre d'exemple, il faudrait savoir que les responsables du Centre des Archives d'Outre-mer, conformément à la législation nationale, exigent parfois des ressortissants algériens de se faire munir de dérogations spéciales pour accéder à certaines catégories d'archives au moment, où les ressortissants français y accèdent en toute liberté. - Héritage en 1962, d'un fonds d'archives déstructuré et sous forme d'épave. - La recherche historique sur le plan national est relativement freinée et exige de la part des Algériens, des déplacements en série vers la France. - Incidences financières sur la bourse des chercheurs algériens et des étudiants en post-graduation qui se voient débourser des sommes considérables en frais de visa, transport, hébergement, temps perdu, etc. afin de pouvoir terminer leurs travaux de recherches comme en fait part Nabil Bouaita, juriste, spécialiste des questions de droit international.(40). Et tout cela, sans oublier que les chercheurs ou étudiants algériens sont souvent amenés à se voir refuser l'accès à certaines catégories d'archives qui nécessite une dérogation pour les étrangers. 3.4 Les propositions algériennes : Afin de sortir de cette impasse, l'Algérie a fait légitimement des propositions à la partie française, lors des négociations ayant réuni les deux parties dans les années 80. Celles-ci ont été reproduites (41) telles qu'elles ont été énoncées par leurs auteurs (1980-1981). Elles se résumaient à l'époque à ce qui suit : A)- « La création d'une commission mixte permanente. Elle serait composée d'experts en archivistique des deux pays ». (42) B)- « Etablissement d'un calendrier de restitution des archives en 3 phases » : B1)- « Dans la première phase, il serait restitué à l'Algérie les archives classées (ayant subi un traitement au préalable), qu'elles soient pourvues ou non d'instruments de recherches, et les documents pris par l'armée française à l'occasion d'opérations militaires entre 1830 et 1962. ». B2)- Dans la seconde phase, seraient restituées à l'Algérie les archives à classer (n'ayant pas subi un traitement) qui pourraient servir au développement économique, ainsi que celles communicables au public. B3)- Au cours de la 3ème phase, les archives plus récentes dont la communication au public reste subordonnée aux législations particulières des 2 pays, pourraient être remises progressivement. B4)- Durant les seconde et troisième phases, une convention particulière permettrait aux archivistes algériens de participer aux travaux de classement et d'inventaire. C)-Développement d'une coopération entres les institutions nationales des 2 pays. 4. Le contentieux vu par la partie française 4.1 Le système de défense français (43): afin de justifier sa position, qui n'était pas très enviable lors des négociations, la partie française avait fait appel à une notion/principe, connue sous le nom de « summa divisio », inventée par la France en tant que puissance coloniale en 1950, afin de régler le problème des archives qui l'opposait au Vietnam de Bao Dai (44). En effet, ce principe/notion tel qu'il est énoncé par les Français : « partage les archives en 2 groupes distincts », en théorie bien sûr : - Archives de souveraineté : qui doivent être conservées par la puissance colonisatrice appelée à quitter le pays où sont nées ses archives : Elles sont constituées par les papiers provenant des fonctionnaires d'autorité (Gouverneurs Généraux, Gouverneurs et résidents, Préfets, administrateurs) et de leurs cabinets civils et militaires ainsi que les services de l'armée et de la police. » - Archives de gestion : dont la propriété revient de droit au pays qui vient d'accéder à son indépendance. Ces archives comprennent les dossiers émanant des : administrations des finances, des domaines, et touchant, les transports, l'agriculture, le commerce et l'industrie. Encore faut-il être entre en mesure de faire cette distinction sans difficultés, au moment du conditionnement des archives (enliassage). Quoi qu'il en soit, il faudrait reconnaitre qu'en ce qui concerne les archives algériennes, ce ne fut vraiment pas le cas, quand on regarde la liste détaillé des documents transférés entre 1961 et 1962. Pour illustrer cet état de fait, nous n'avons pas trouvé mieux que ce que la délégation algérienne avait répondu à la délégation française, quand celle-ci avait avancé le principe de la « summa divisio » lors des négociations des années 80 : « Rendez nous les archives de gestion qui représentent 90% des documents transférés et négocions sur le reste, c'est-à-dire les 10% des archives que vous qualifiez de souveraineté » (45). Cela explique clairement qu'au moment du transfert, l'objectif ne se résumait pas à l'application du principe, derrière lequel se refugiaient les Français, mais surtout de dépouiller l'Algérie de sa mémoire, afin de l'aliéner à la France. 4.2 Les propositions françaises : Pour leur part, les français ont eux aussi formulé des propositions aux Algériens en vue de trouver une solution au contentieux. Leurs propositions ont été reprises par Gérard Ermisse dans son article sur l'actualité du contentieux archivistique algéro-français(2004) (46) : A)- Fournir à l'Algérie les microfilms (3573 bobines= 107590 mètres de film.) à la place des originaux, en sachant que ceux-ci restent sous la propriété des français. Parmi les microfilms prêts à être fournis, on peut citer ce qui suit : - les archives techniques et documents antérieurs à 1832 -des dossiers des bureaux indigènes de la division d'Alger et d'Oran (plus de 1000 bobines) - des archives du consulat de France et de l'agence des concessions d'Afrique (Série A, soit 35 bobines) - des documents « historiques » de série X dite des « dons et acquisitions », soit 33 bobines - d'archives provenant du Gouvernement général : archives dites espagnoles (série C), dossiers ponctuels (en série E) correspondance politique et affaires indigènes (série H). Il faudrait reconnaitre que cette suggestion est bien tentante à plus d'un titre, mais elle pose deux petits problèmes assez difficiles à surmonter : - Primo : est-ce que l'Algérie en tant que pays souverain, attelé depuis des décennies au principe de n'accepter aucune autre solution à ce contentieux que celle de « la restitution des originaux », accepterait la remise de copies ? Seul, l'avenir est à même de nous éclairer, là-dessus. - Deuxio : même dans le cas où cette suggestion serait acceptée pour une raison ou autre, est- ce que ces microfilms seraient remis aux Algériens, gracieusement ou moyennant finance ? Or, il est vraiment difficile d'imaginer que les Algériens accepteraient de payer en devises les copies microfilmées des archives qui leur reviennent de plein droit. Mais, toujours est-il, qu'il serait bien hasardeux de se prononcer catégoriquement sur ce sujet en sachant que la diplomatie est parfois pleine de surprises. B)- Considérer les archives que se partageraient les deux pays comme étant un patrimoine commun, dont la propriété resterait toujours acquise aux français au même titre, que ce qui avait été fait à Dakar pour les archives de l'Afrique Occidentale Française (AOF) en application des recommandations de Charles KESCKEMETI (47). D)- La constitution d'une mémoire nationale sous forme virtuelle (48) à l'exemple de ce qui s'est fait avec la Pologne selon G.Ermisse et C. Martinez. En effet, sur la base d'un exemple vécu, ils expliquent comment « la mémoire polonaise » a été reconstruite à partir de sources conservées à « l'extérieur de la Pologne », et en tirant avantage de ce qu'offre la numérisation des documents. Sauf que les deux initiateurs de la proposition oublient, tout simplement, que les conditions historiques des deux pays ne sont pas identiques. Il faudrait signaler que si la Pologne avait définitivement perdu ses archives, lors de la deuxième guerre mondiale et qu'il ne lui reste plus que celles conservées hors de ses frontières, l'Algérie par contre a été victime d'une spoliation des siennes. Ses archives ne sont pas détruites, bien au contraire, elles sont en possession de la puissance qui les a enlevées, volontairement et avec préméditation. Il faudrait signaler toutefois que ces propositions ont été intégralement reprises par B. Stora dans son rapport sur « les mémoires de la colonisation et de la guerre d'Algérie ». A suivre *Archiviste /Enseignant retraité de l'enseignement supérieur/Enseignant contractuel - Université d'Oran Ahmed Ben Bella Notes 33- BADJADJA A. et HACHI O. Idem. p. 6 34- DUCHEIN Michel. Le principe de respect des fonds en archivistique : principes théoriques et problèmes pratiques. p.72 (pp.71-96) 35- Dictionnaire de terminologie archivistique, Direction des Archives de France, 2002, p.29 36- BAUTIER, Robert-Henri. Les archives dans la vie internationale. Rapport général de 6ème CITRA (Varsovie 16-20 mai 1961),DAF, 1963 37- Constitution et reconstitution des patrimoines archivistiques nationaux, fascicule 3, Appendice 2, tableau historique des accords sur les transferts d'archives. 38- UNESCO, GENERAL CONFERENCE ; 20th .Actes de la conférence. Unesdoc.unesco.org/images/0011/001140/114032F.pdf 39- Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de biens, archives et dettes d'Etat faite à Vienne le 8 avril 1983. 40- BOUAITA Nabil. L'histoire des archives et les archives de l'histoire algérienne in Algérie Actualités n° 843 du 110-16 décembre 1981 : « ... Quel est le nombre de chercheurs algériens payant personnellement de la moitié de leur de leur salaire mensuel pendant plusieurs années de leur recherche universitaire en France ? Quel est le nombre de sociétés d'engineering facturant en millions de devises des études de faisabilité de projets algériens en exploitant le plus simplement du monde, nos archives expatriées. » Cité par Akbal Mehenni. Le contentieux archivistique algéro-français. Op. cit., p.50 41- BADJADJA A.et HACHI O. Synthèse du contentieux archivistique algéro-français. Op.cit. p.8 42- Il semblerait, en toute apparence que cette proposition est effective depuis le début des années 2000 et que la dite « commission » est toujours, en activité comme l'avait attesté le communiqué conjoint du CIHN, en 2016. 43- ERMISSE Gérard. Actualité des contentieux archivistiques. Op. cit. p. 52-56 44- Bao Dai, dernier empereur du Vietnam, a été installé par les Français en tant que président de la République de Vietnam en 1949. Il est entré dans l'histoire de la décolonisation comme l'exemple du dirigeant fantoche 45- Abdelkrim BADJADJA. A propos du contentieux archivistique algéro-français. Clarifications et mises au point au sujet des vérités occultées. Op.cit. p.22 46- ERMISSE Gérard. Actualité du contentieux archivistique algéro-français . Op.cit. p.62-63 47- KESCKEMETI Ch. Et VAN LAAR E.: « Au cas où un fonds d'archives ou un ensemble d'archives résulte de l'activité d'une administration dont la succession est entre l'Etat prédécesseur et deux ou plusieurs Etats successeurs, on devra recourir à la solution réaliste que constitue le concept de patrimoine commun. L'application de ce concept signifie, sur le plan pratique, que le fonds est conservé physiquement intact dans l'un des pays concernés , où il est considéré comme partie intégrante du patrimoine archivistique national avec toutes les responsabilités en matière de sécurité et traitement... Il faut accorder à l'Etat qui partage ce patrimoine commun des droits égaux à ceux de l'Etat qui en assure la garde. » Accords et conventions : modèles bilatéraux multilatéraux relatifs aux transferts d'archives, Paris : 1981, UNESCO-PGI 48- ERMISSE G. et MARTINEZ C. Archives, Archivistes et archivistique. Op.cit. p. 95 |