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Comme je le
rappelais déjà en 2013 à l'Agence France Presse - AFP- 4 août 2013 et à Radio
France Internationale 06 août 2013 «l'Algérie et les transferts illicites de
capitaux», il reste beaucoup à faire pour que nos responsables s'adaptent aux
arcanes de la nouvelle économie, où se dessinent d'importants bouleversements
géostratégiques mondiaux, croyant que l'on combat la fuite des capitaux à
partir de commissions et de circulaires, ignorant tant les mutations mondiales
que la morphologie sociale interne, en perpétuelle évolution.
1. Dans son programme, et récemment en ce mois de novembre 2021 par la voix du ministre de la Justice, le gouvernement dans l'axe de la moralisation de la vie publique, s'est engagé, à travers la réforme des services de l'État de poursuivre la lutte contre la corruption, le favoritisme et le népotisme. Pour cela, il prévoit le renforcement du dispositif mis en place pour la gestion des biens saisis, avec l'introduction de mesures particulières pour la gestion des sociétés objet de poursuites judiciaires, passant par la traçabilité dans la gestion des Finances publiques, la révision de la Réglementation des changes et des mouvements de capitaux vers l'étranger, et de favoriser le règlement à l'amiable au traitement pénal, que les accords à l'amiable concernent les personnes morales et non les individus mais sans aucune précision de cette délimitation extrêmement difficile. Ne devant pas confondre acte de gestion dont la dépénalisation est nécessaire, et corruption, le contrôle, sur le plan politique, passe par la démocratisation de la société. C'est dans ce cadre que le président de la République dans son récent interview à un quotidien allemand a précisé la réhabilitation de la Cour des Comptes, consacrée par la Constitution, organe suprême contre la dilapidation des deniers publics, en berne pour des raisons politiques, depuis de longues années, devant jouer non comme rôle de coercition mais de prévention, comme dans tous les pays à Etat de Droit, au moyen de recommandations opérationnelles pour les plus hautes autorités du pays. Mais ces déclarations ne sont pas nouvelles. Dans plusieurs rapports, la Banque d'Algérie faisait état de dizaines de milliards de dinars d'infractions de change (pénalités) constatées par les services des Douanes et les officiers de la police judiciaire. Précisons que la gestion des transferts et du contrôle des changes dépend de la Banque d'Algérie, et que le gouverneur de la Banque d'Algérie est directement sous l'autorité du président de la République et non du ministre des Finances. Donc, ces problèmes ne sont pas nouveaux, et ont été déjà soulevés par le passé, puisque les conditions de transfert de capitaux en Algérie pour financer des activités économiques et rapatriement de ces capitaux et de leurs revenus ont été prévues dans le Règlement de la Banque d'Algérie n°90-03 du 8 septembre 1990 (loi sur la monnaie et le crédit) puis par le Règlement n° 95-07 du 23 décembre 1995 modifiant et remplaçant le règlement n° 92-04 du 22 mars 1992 relatif au contrôle des changes et l'article 10 de l'Ordonnance 96-22 du 09 juillet 1996 relative à la répression des infractions à la législation des changes et des mouvements de capitaux vers l'étranger. Rappelons également que le 11 août 2012, le ministère des Finances, par un tapage médiatique, annonçait un décret exécutif numéro 12/279 portant institution d'un fichier national des fraudeurs ou contrevenants à la réglementation de change et mouvement de capitaux a été publié au Journal Officiel. Ce décret exécutif fixait pourtant les modalités d'organisation et de fonctionnement du fichier national des contrevenants en matière d'infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux et vers l'étranger. Devait être instituée auprès du ministère des Finances et de la Banque d'Algérie une banque de données dans laquelle serait enregistrée toute personne, physique ou morale, résidente ou non-résidente, ayant fait l'objet d'un procès-verbal de constat d'infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux vers l'étranger. Le Comité national et local des transactions, l'Inspection générale des Finances, les directions générales des changes de la Banque d'Algérie, des douanes, des impôts, de la comptabilité, l'agence judiciaire du Trésor, la cellule de traitement du renseignement financier et le ministère du Commerce étaient les structures et institutions qui peuvent accéder au fichier. Qu'en est-il de l'application de toutes ces ordonnances et décrets ? Y a-t-il une réelle volonté politique d'éradiquer cette grave maladie du corps social qui menace la sécurité nationale ? 2. L'Algérie a été destinataire de plusieurs rapports internationaux concernant la fuite des capitaux qui constitue une atteinte à la Sécurité nationale. Ces sommes sont issues de diverses opérations liées à la corruption, l'évasion fiscale et aux opérations délictuelles réalisées en Algérie. Mais ces transferts illicites ne tiennent pas compte des différentes commissions versées à l'étranger par des groupes internationaux en échange de contrats publics ou de surfacturation de produits et services pour les opérateurs privés/publics , ni des sommes transférées légalement par les multinationales implantées en Algérie pour contourner les lois économiques et souvent placées dans des paradis fiscaux ou par l'achat ?immobiliers à travers le monde sous des prêtes noms. Bien que la présomption d'innocence soit reconnue par la Loi, pourtant image désolante de l'Algérie avec tous ces noms d'Algériens, souvent mis en index dans la presse internationale pour malversations ou de biens détenus à l'étranger. Comme conséquence, une véritable crise de confiance entre l'Etat et le citoyen à qui on demande des sacrifices avec l'actuelle rigueur budgétaire. La lutte contre ce fléau qui menace la Sécurité nationale passe forcément par plus de moralité, le renouveau du système d'information au temps réel, une coordination sans faille de toutes les institutions de contrôle dont certaines dépendent de l'exécutif étant juge et partie, donc non crédibles, un véritable management stratégique lié à un véritable Etat de droit. Sans vision stratégique, le risque est le retour à une économie administrée où l'Etat voudrait tout contrôler bureaucratiquement, sans la mise en place de mécanismes économiques transparents. Le problème qui se pose pour l'Algérie est donc beaucoup plus profond et interpelle toute la politique socio-économique de l'Algérie et son adaptation au nouveau monde, étant, par ailleurs, liée à bon nombre d'accords internationaux, afin de se prémunir de litiges inutiles et coûteux, tout en préservant ses intérêts propres. Il y a urgence de mécanismes de contrôle démocratiques, devant éviter des procès qui se terminent en queue de poisson, discréditant la Justice algérienne. Les montants des surfacturations se répercutent normalement sur les prix intérieurs (les taxes des douanes se calculant sur la valeur du dinar au port surfacturé) donc supportés par les consommateurs algériens. Les transferts de devises via les marchandises sont également encouragés par les subventions généralisées mal ciblées, bien que servant de tampon social, source de gaspillage étant à l'origine des fuites des produits hors des frontières que l'on ne combat pas par des mesures bureaucratiques. D'une manière générale, la gestion administrative (flottement administré) du taux de change du dinar a intensifié les pratiques spéculatives. Les surfacturations dues à l'utilisation de la distorsion du taux de change entre l'officiel et le marché parallèle est difficile à combattre s'expliquant par l'incohérence de la politique du taux de change du gouvernement et ne constitue pas un acte de corruption pour la majorité des ménages algériens, face à une allocation de devises dérisoire, moins de 150 euros se portent demandeur sur le marché parallèle, soit pour se soigner ou acheter face à la restriction des importations des matières premières pour certaines entreprises privées. 3. Comme j'ai eu à le souligner dans maintes contributions depuis des années, malgré l'importance de la dépense publique entre 2000/2021, nous avons assisté à la faiblesse du suivi et de contrôle des projets avec la multiplicité des ministères qui se télescopent alors que s'impose un grand ministère de l'Economie. Nous assistons à la désorganisation du commerce intérieur et extérieur , avec la dominance de la sphère informelle qui contrôle des pans entiers de l'économie et entre 6000, à 10.000 milliards de dollars hors banques, tissant des relations dialectiques avec la logique rentière avec des structures oligopolistiques, quelques centaines de personnes contrôlant une grande partie de cette masse monétaire où tout se traite en cash ont accentué la mauvaise gestion et les surfacturations. Les assainissements répétés aux entreprises publiques et les réévaluations montrant la non-maîtrise de la gestion des projets où selon les données officielles du Premier ministère (source APS), l'assainissement du secteur public marchand durant les 25 dernières années a coûté au Trésor l'équivalent de 250 milliards de dollars et le coût des réévaluations entre 2005/2020, 8.900 milliards de dinars, environ 66 milliards de dollars dont plus de 80% sont revenus à la case départ. Je réitère la proposition que j'ai faite en 1983 lorsque je dirigeais les départements des Etudes économiques et des Contrats, en tant que haut magistrat, premier conseiller à la Cour des Comptes, chargé du dossier surestaries, pour la présidence de l'époque, (programme anti-pénurie) d'une structure, chargé d'un tableau de la valeur en temps réel, qui n'a jamais vu le jour car dérangeant les forces rentières. Car, ces transferts illicites de capitaux ne peuvent se faire sans la complicité extérieure. Les importations de biens et services (rubrique souvent oubliée 10/11 milliards de dollars par an entre 2010/2019 où les délits sont plus faciles) sont évaluées à environ 980 milliards de dollars. Si on applique un taux de surfacturation entre 10 et 15% , les transferts illicites de capitaux se situeraient entre 98 et 147 milliards de dollars soit entre 2 et plus de 3 fois les réserves de change estimées à mai 2021, à 44 milliards de dollars. Car s?il y a des corrompus, il y a forcément des corrupteurs. Car quelques centaines de grandes entreprises globalisées contrôlent 70% du commerce mondial, 75% du commerce de matières premières et 80% du commerce de la gestion et des services. Aussi, lorsque les échanges s'effectuent entre structures d'un même groupe multinational (filiales, fournisseurs, distributeurs?), le potentiel de manipulation des prix, des cours et de la facturation est naturellement multiplié. Pour se prémunir, l'Algérie doit se mettre en réseau avec les sociétés étrangères d'inspection ainsi qu'une collaboration étroite entre les services de renseignements qui se spécialisent de plus en plus dans l'économique, USA-Europe/Chine notamment où l'Algérie effectue plus de 80% de ses échanges. L'Algérie devra également collaborer avec le TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), ce service français chargé d'enquêter sur toute présomption de soupçon en matière de fraude financière étant en mesure de fournir toutes les preuves matérielles impliquant des Algériens dans ce genre d'opérations de transfert illicite de devises étrangères. Mais l'Algérie doit, avant tout, faire le ménage au sein de l'économie algérienne en mettant en place de nouvelles méthodes de gestion tant dans les administrations (méthode de rationalisation des choix budgétaires) que dans les entreprises (comptabilité analytique). La direction de la Douane algérienne, a demandé par le passé, notamment à l'Europe et à la Chine naïvement, de leur communiquer les tarifs, pour dénoncer leurs opérateurs qui sont également complices de surfacturations, une utopie. Or, il faut s'attaquer à l'essence de la réforme du système financier qu'aucun gouvernement via le ministre des Finances depuis l'indépendance politique n'a pu réaliser car enjeu énorme de pouvoir, et nécessitant la mise en place d'un système d'information reliés aux réseaux internationaux permettant des interconnexions, ministère des Finances (banques- douanes- fiscalité), les ports / aéroports, et les entreprises publiques /privées et ce, pour lutter contre les surfacturations et les trafics de tous genres, produits de mauvaises qualités ou périmés, ayant constaté parfois des produits dans les conteneurs ne correspondant pas aux déclarations. En résumé, il y a urgence pour l'Algérie de s'adapter aux importants bouleversements géostratégiques mondiaux, car l'on ne combat pas la fuite des capitaux à partir de commissions et de circulaires. Un mauvais développement accroît l'insécurité. Il appartient au gouvernement de mettre en place des mécanismes de régulation transparents car la lutte efficace contre les transferts illicites de capitaux suppose des mécanismes démocratiques de contrôle et une bonne gouvernance loin des mesures bureaucratiques autoritaires. En préconisant l'adoption d'un mode de règlement à l'amiable garantissant la récupération des biens détournés, des précisions du gouvernement s'imposent. Comment récupérer les montants, faute de traçabilité, dans les paradis fiscaux, en bons anonymes dans les bourses, et souvent mis sous le nom d'étrangers qui sont régis par la loi de leurs pays. Ayant consulté des experts juridiques au niveau international, c'est presque un exercice difficile pour ne pas dire une impossibilité, d'autant plus que cela nécessite que l'Algérie ait signé des accords de réciprocité et une collaboration sans faille tant des pays que des institutions internationales. Exceptés les biens notariés mis aux noms d'Algériens supposant d'ailleurs des procédures judiciaires complexes, il convient de se demander combien le gouvernement a récupéré ces dernières années, ne devant pas confondre les biens acquis par le ministère des Affaires étrangères, propriété de l'Etat qui peuvent être vendus. Rappelons-nous les fonds du FLN dans certains comptes spéciaux, durant la guerre de Libération nationale dont une grande partie n'a jamais pu être récupérée. L'Algérie ne peut continuer dans cette voie suicidaire, face à l'absence de morale, au risque d'une aggravation du déficit budgétaire, de l'épuisement de ses réserves de change, d'une accélération du processus inflationniste et donc de tensions sociales. A l'avenir, ne devant pas paralyser l'économie en redonnant confiance aux investisseurs nationaux et étrangers créateur de valeur ajoutée, devant éviter le mythe le juridisme à travers les codes d'investissement alors que le blocage est d'ordre bureaucratique, ne devant pas confondre corruption et acte de gestion qui doit être dépénalisé afin de ne pas bloquer l'initiative des managers, c'est par la mise en place des mécanismes transparents que l'on évitera que les pratiques du passé ne se reproduisent plus. *Professeur des Universités, Expert international |