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« Inventer, c'est penser à côté. » A. Einstein.
Outre la biologie, la physique, par ses liens subtils avec la cosmologie et les mathématiques, est la science qui nous entretient peut-être le plus des mystères de nos origines et de l'univers infini qui nous entoure. Ses découvertes, aussi obscurs et impénétrables soient son langage et ses problématiques, sont aussitôt portées à la connaissance de tous et font la « une » de la plupart des médias. Cela montre en fait que l'activité scientifique, même quand elle s'attache à décrire des mondes à des années-lumière de notre vie commune et ordinaire, c'est aussi de cette vie-là, la nôtre, dont elle parle peu ou prou, et c'est dans celle-là qu'elle puise une part essentielle de sa raison. C'est probablement cela que Galilée a compris lorsque le Saint Office a exigé de lui l'abjuration de ses spéculations. A lire les échanges entre Galilée, les jésuites et son ami Urbain VIII (ex-cardinal Barbareni), qui suivaient avec intérêt et même quelque jubilation ses travaux, on prend conscience que les termes sur lesquels nombre d'historiens fondent la querelle qu'on lui fit, à savoir si la Terre tourne ou non autour du Soleil, n'avait au fond que peu d'importance au regard des vraies raisons pour lesquelles ce vieux savant fut « questionné ». Ce n'est d'ailleurs pas l'héliocentrisme (exposé dans les Dialogue sur les deux grands systèmes du monde -1632) qui motiva son procès. La «révolution galiléenne» était prise dans les contradictions géostratégiques (économiques et politiques: entre le nord de l'Europe réformée et l'Europe du sud catholique, entre la bourgeoisie commerçante, financière et industrielle naissante et la noblesse finissante) qui allaient emporter le continent pendant les siècles suivants dans de graves conflagrations qui n'avaient que peu à voir avec les lois de la physique et les controverses cosmologiques. La révolution galiléenne n'est interprétable, en tant que ?révolution?, que dans ce cadre historique . Dans un contexte bien différent, en ce début du IIIème millénaire, la confirmation de l'existence du boson de Higgs, de la « particule de Dieu » (ainsi désignée par de nombreux médias) nous entretient aussi, plus qu'on ne le croit, à la fois de l'ordre du monde des particules et de l'ordre de notre monde. C'est de ce double dialogue entremêlé dont il est question ci-après. Cette expérience, au-delà de son intérêt strictement scientifique, révèle d'autres facettes de la recherche scientifique fondamentale qu'on s'abstient généralement d'associer à ses résultats, notamment ceux qui touchent à des enjeux économiques considérables, des rivalités internationales feutrées et des mises en scène médiatiques où la connaissance rigoureuse est sacrifiée sur l'autel d'une vulgarisation de mauvaise qualité . 1.- Quid du boson de Higgs ? Il s'agit d'une particule (initialement, un « champ ») imaginée par le physicien écossais Peter Higgs dans les années 60. C'est la seule pièce manquante du « modèle standard » qui décrit les interactions entre particules, au niveau quantique. Elle participe de la grande unification des interactions en physique entre les quatre forces connues : la gravitation, les forces forte et faible, et la force électromagnétique, se basant en partie sur l'idée que deux de ces quatre forces fondamentales, la force faible et la force électromagnétique, sont de même nature. Tout le problème est de démontrer que ces phénomènes ne sont pas ontologiquement différents mais des manifestations différentes d'un même phénomène, ce à quoi contribuaient les recherches de Higgs mais, bien avant lui, de nombreux autres physiciens, de la symétrie galiléenne (qui a mis fin à la physique aristotélicienne) à la chromodynamique quantique, en passant par Lagrange, Maxwell et Albert Einstein. Ce boson aurait été détecté (avec une certitude de 99,9999%) à la suite des collisions provoquées dans le Large Hadron Collider (LHC) ce début juillet. Tout le problème est de savoir à « quel genre » de boson de Higgs les physiciens auraient affaires. Mais à cela, les recherches futures s'y attelleront. Cette confirmation expérimentale n'est pas la fin d'une quête, elle n'en est qu'un début fertile en nouvelles hypothèses et autres surprises réservées par la sérendipité. Sans doute nombre de physiciens pressentis devront attendre que le Comité Nobel soit raisonnablement convaincu que la nature a épuisé toutes ses surprises à ce sujet? Le LHC est un anneau de 27 km de circonférence, situé à 100 mètres sous terre de part et d'autre de la frontière franco-suisse. Des collisions (enregistrées par quatre détecteurs géants) atteignent des énergies de 7 téraélectronvolts reconstituant les conditions des premiers instants qui ont suivi le Big Bang, il y a 13,7 milliards d'années. Pour cela, deux détecteurs dits « généralistes », Atlas et CMS, ont été placés sur le trajet des deux faisceaux de protons lancés en sens inverse à une vitesse proche de celle de la lumière. Les collisions frontales, jusqu'à 600 millions par seconde, ont lieu au sein de ces détecteurs qui font le tri entre l'immense majorité des événements sans intérêt et ne retiennent qu'une centaine par seconde, dont ils conservent les caractéristiques susceptibles de révéler l'existence du boson recherché. 2.- La science-spectacle. Les scientifiques se prêtent volontiers à la mise en scène de leurs activités, d'autant plus volontiers, qu'ils savent désormais le supplément de crédit que confère une large communication de leurs travaux en période de contrainte budgétaire sévèrement sélective. Les médias sont prompts à amplifier ces images exotiques de la science en cours de fabrication vers le public profane. Toutefois, la communication scientifique relayée par ces mêmes médias, a pour revers l'usage immodéré d'expressions inappropriées ou approximatives, ce qui brouille quelques fois l'information pour un auditoire non initié. La proximité avec le grand public éloigne de la fidélité aux faits et dissipe la quête d'explications rationnelles et vérifiables. Non seulement ces expressions n'apportent que peu de savoir, mais les métaphores et analogies utilisées pour leurs vertus pédagogiques , induisent des erreurs de raisonnement et renvoient confusément le vulgum pecus à des catégories incertaines, polyréférentielles ou polysémiques obscurcissant sa compréhension des phénomènes considérés. Les manchettes des premières pages barrées de gros titres prennent le pas sur la portée réelle et les enjeux des faits. Sans doute, les liens originaux qui lient les sciences physiques aux mathématiques (en l'occurrence : « théorie des cordes », « lagrangien », « champs de jauge »?) expliquent les difficultés de la vulgarisation de ces connaissances. Bien que beaucoup se méfient de ces manières, on peut déplorer que des scientifiques bardés sans doute des meilleures intentions (une « concession inévitable à la mise en valeur de la recherche scientifique »), apportent leur concours à une communication altérée de leur savoir qui contourne les conditions méthodologiques, véritablement enrichissantes, de sa production. Ainsi, toujours à propos du boson de Higgs, on découvre des formules toutes faites, tirées du langage ésotérique à l'usage du sens commun, entonnées à la manière d'une campagne mercatique : - « Chaînon manquant » expression empruntée à un cheminement darwinien dévoyé, ressassé depuis le XIXème siècle . - « Le Graal cherché par les scientifiques du CERN » (Le Figaro, mai 2006) - « Un anneau de Babel » (Le Monde du 16 mai 2006, à propos du LHC) - « La masse est dite » (ci-contre la « une » de Libération du J. 05 juillet 2012). - « La Particule de Dieu enfin dévoilée » annonce le Figaro du J. 05 juillet. Pas moins ! L'Académie Pontificale des Sciences sait ce qu'il en coûte d'apporter le crédit de la science profane en appui à la foi et de mêler sans précaution les registres. Le cas récent du « Saint Suaire » fait office de piège dans lequel l'Eglise se garde à nouveau de tomber . Chacun se souvient du tapage médiatique fait à propos de neutrinos qui violeraient les principes de la Relativité (« expérience Opera » en septembre 2011). Conclusion erronée car précipitée, due à de simples erreurs techniques de mesure entre le Cern (Genève) et Gran Sasso (Italie) distant de 732 km. Entre-temps, la planète médiatique avait fêté bruyamment l'événement, alors que la plupart des journalistes, des lecteurs ou des auditeurs n'avaient qu'une très faible idée de la nature de cette particule ou de la portée des bouleversements théoriques que sa vitesse supra-luminique hâtivement postulée pouvait entraîner. Seule importait la « défaite » d'Einstein dans un pugilat infantile où, en une sorte de compétition impitoyable entre quincailliers et gladiateurs, dans un régime normal qui gouverne le monde, tout se mesure à coup de performances, de records, de vainqueurs et de vaincus. Les réussites de l'industrie électronique et la mise à la disposition du plus grand nombre de machines informatiques « intelligentes », facilement utilisables, induisent en erreur. Jamais la plus grande compétence dans l'usage des objets ? aussi sophistiqués soient-ils, et ils le sont de plus en plus - ne cautionne ni ne présume de la moindre pétition de connaissance « réfutable ». Selon un sondage Gallup mené en 1999, il y aurait encore 20% d'Américains pré-galiléens convaincus que la terre est au centre de l'univers et que le soleil tourne autour. Ces proportions, en augmentation régulière, sont confirmées par diverses enquêtes à propos de phénomènes exigeant des connaissances élémentaires en sciences naturelles, enseignées au collège. Les réponses en Allemagne ou en Grande Bretagne ne sont guère différentes. La baisse tendancielle de la formation scientifique de la majorité de la population, observée depuis de nombreuses années ? notamment à travers le choix des études des lycéens et des bacheliers qui se détournent des sciences exactes et des sciences naturelles, de la rareté des émissions scientifiques de qualité dans les différents médias « chauds » ? explique pour une part le recours à ces métaphores approximatives et aguichantes qui ne s'embarrassent pas d'exactitude. Les enjeux scientifiques à propos des interactions et des forces que l'on cherche à unifier via des formalismes complexes, échappent à un journalisme préoccupé de sensationnalisme et qui n'a qu'une vision approximative de l'intérêt véritable de la particule en question. Cela rappelle ?toutes proportions gardées- les conditions (par Pauli en 1930) de la découverte du neutrino. D'autres questions pertinentes qu'on prend généralement soin d'éviter sont tout aussi préoccupantes. On les retrouve à propos de ces recherches sur le boson de Higgs. 3.- Science, tactique et stratégie : Le nerf de la guerre. Il est encore beaucoup trop tôt pour supputer les conséquences des résultats ainsi obtenus au CERN sur les recherches à venir. Cependant, derrière l'excitation autour des résultats, pointe l'excitation autour du parti que les uns et les autres estiment pouvoir en tirer, notamment en terme de publications, de prix et de crédits de recherche à distribuer. Le LHC est le produit d'une coopération multinationale ouverte à des programmes de cherche qui dépassent largement l'espace de la seule Europe . Beaucoup de physiciens européens dénoncent (à raison ?) l'inéquitable situation dans laquelle ils se trouvent face à leurs collègues d'outre-atlantique : 800 chercheurs américains, qui représentent aujourd'hui le contingent national le plus important au CERN. Le LHC a coûté environ 4 milliards d'euros. Or les Etats-Unis n'ont financé que 6% de sa construction et ne participeront pas à ses coûts de fonctionnement, supportés par les Etats membres. La forte présence nord-américaine autour du LHC s'explique par la fermeture du Tevatron, l'accélérateur de particules américain. Le Tevatron était un accélérateur de particules circulaire (6.3 km) du Fermilab à Batavia dans l'Illinois aux États-Unis. C'était le deuxième plus puissant collisionneur au monde, derrière celui du CERN qui mobilise des niveaux d'énergie trois fois et demie supérieurs à ceux de son homologue américain. Sa construction est achevée en 1983, mais malgré toutes les améliorations qui lui ont été apportées au cours des années 1990, le Tevatron a mis un terme à ses expériences le 30 septembre 2011, faute de crédits et de la trop forte concurrence du LHC. Avant cela, stimulés par la découverte par les Européens des bosons W et Z, les Américains avaient lancé la construction d'un collisionneur de 90 km (le Superconducting Super Collider, SSC) abandonné en pleine construction en 1993, toujours faute de crédits. Au CERN, la situation paraît d'autant plus injuste que les physiciens américains semblent les mieux placés pour identifier le boson de Higgs dans la montagne de données produites chaque année par le LHC, soit « l'équivalent d'une pile de CD haute de 20 kilomètres ». Ils pourraient profiter de leur supériorité dans le traitement de données et de l'expérience acquise avec leurs accélérateurs, aujourd'hui hors course, pour gagner la course aux prix majeurs de la discipline. Ainsi, seraient-ils mieux placés que leurs confrères européens pour exploiter les perspectives ouvertes par cette découverte majeure. Cet avantage ne suffirait toutefois à réduire l'angoisse chronique exprimée outre-Atlantique, par les scientifiques qui craignent que la construction du LHC en Europe ne compromette durablement leur suprématie en physique des particules. On observe une appréhension similaire dans l'astronautique américaine. En dehors des projets rentables à très court terme (capsule Dragon de SpaceX, encadrée par la Nasa) ou des projets qui relèvent de la défense nationale (avion spatial X-37B piloté par le Pentagone, qui a achevé sa mission le 17 juin dernier), les Américains sont directement sous la dépendance de l'astronautique civile européenne et surtout russe, au moment où les Chinois viennent de faire, en juin, une magistrale démonstration de maîtrise des rendez-vous en orbite. Les sciences fondamentales américaines ou les projets à rentabilité à long terme sont sous la menace de restrictions budgétaires (autrement plus âpres que dans l'Euroland) dans un contexte politique dominé par de puissantes lobbies, notamment évangéliques (soutenus par les républicains « apôtres » d'un néo-créationnisme militant ? enseigné dans de nombreux collèges ? au Texas notamment - au détriment de la théorie de l'évolution). Que cela ne fasse pas oublier cependant les rivalités internes à l'Europe. Toute l'histoire de la construction du LHC fut parcouru d'hésitations et d'« incidents », soigneusement et diplomatiquement « gérés », entre des pays et des équipes (Français, Anglais, Allemands, Suisses, Italiens?) qui, chacun de son côté, computait les coûts/avantages d'une opération pharaonique et dispendieuse dont personne ne pouvait garantir un jour le succès. Alors que le LHC était en construction, des voix s'élevaient pour regretter « cette ambition déraisonnable et inutile : le LEP (le grand collisionneur électron-positron qui avait fait ses preuves) était largement suffisant », argumentaient-ils. Comment dès lors ne pas comprendre l'enthousiasme général qui entoura la nouvelle de la détection du boson de Higgs. Ignorer ces volets de la science ainsi incarnée dans des institutions, des économies et des Etats, c'est passer à côté de la compréhension intime des enjeux dans lesquels elle est impliquée - parfois à son corps défendant ? quelles que soient les questions cruciales, strictement scientifiques disciplinaires en cause. 4.- La science est aussi une affaire de com' et d'ego L'hypothèse d'une « brisure locale de symétrie », le fameux boson, a été popularisée sous le nom de Higgs (initialement sur la base des travaux de Yoichiro Nambu, Nobel de physique 2008, université de Chicago). On ne connaît pas très exactement les circonstances de cette attribution, sinon que Steven Weinberg (Nobel de physique 1979) avait beaucoup usé de son influence pour qu'il en soit ainsi et que cette particule prît le nom du seul physicien anglais. Il y a évidemment quelques mérites à cela. Peter Higgs avait publié le 15 septembre 1964 un papier décrivant cette particule sous la dénomination de laquelle il passa à la postérité et en sera peut-être demain gratifié d'une distinction internationale très prisée? En gage de cette récompense, il fut accueilli sous les applaudissements ce 04 juillet par ses collègues au CERN. Mais ne retenir que le seul nom de Higgs ne serait pas exactement conforme aux faits. En août 1964, les physiciens Belges François Englert (né en 1932) et Robert Brout, (né le 14 juin 1928 à New York et décédé le 3 mai 2011), ont publié les premiers un article décrivant un mécanisme donnant une masse aux particules. Certes, les capacités de négociation du « Plat pays » sous la menace persistante d'une scission, ne sont guère élevées. Il faut noter cependant qu'en 2004, aux côtés de Peter Higgs, Robert Brout et François Englert ont obtenu le Prix Wolf, précisément (et singulièrement) pour leur contribution à l'hypothèse du « boson de Higgs ». Certes, Higgs fait référence en 1964 aux travaux de Brout et d'Englert. Mais c'est sous son seul nom que la particule est passée à la postérité pour le public et tout récemment à la faveur de sa confirmation au LHC. Toutefois, pour autant que nous le sachions, il ne semble pas que la moindre controverse ait agité ces chercheurs. François Englert et Peter Higgs ont été tous deux conviés à la conférence du CERN et associés aux félicitations de leurs confrères le 04 juillet. F. Englert a tenu à exprimer « sa tristesse que [son] collaborateur et ami de toute une vie, Robert Brout, n'ait pas pu assister à cette extraordinaire présentation ». En vérité, même sous l'appellation « Brout-Englert-Higgs », la référence de cette découverte ne reflète pas totalement la réalité historique. C'est à un groupe de chercheurs (certainement plus nombreux encore) que revient tout le mérite qui convient. Certains physiciens parlent du « mécanisme » de « Brout-Englert-Higgs-Hagen-Guralnik-Kibble » (BEHHGK, prononcé « Beck »), pour rendre hommage aux travaux de François Englert, Robert Brout, Peter Higgs, Gerald Guralnik, Carl Richard Hagen et Thomas Kibble, tous contributeurs à ces travaux. Précisons, si cela devait s'avérer nécessaire et dissiper tout malentendu à ce propos, que les acteurs se témoignent publiquement une courtoisie, une sympathie, une estime et même une amitié, en ces enceintes où règnent la bienséance et l'amabilité. Il tombe sous le sens que ce n'est pas tout à fait de cela dont il est question ici. Nous persistons à douter d'un paisible « gouvernement des savants », consensuel et rassurant, loin de toute compétition nationaliste, étrangère à toute rivalité égotique. Une patrie des chercheurs dominée par un seul sentiment d'appartenance à une corporation d'élite, un « patriotisme instrumental » tel que le décrivent les décideurs et les architectes des Grands Projets dans leur communication « diplomatique ». Ecoutons Michel Spiro, alors directeur de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (élu président du conseil du CERN en 2009) : « Il y des chercheurs français dans chacun des grands appareils du LHC, mais ils ne se mêlent guère entre compatriotes. Ils se reconnaissent bien davantage dans la collaboration à laquelle ils participent. Chacune est organisée comme une démocratie autonome, avec son porte-parole élu, son assemblée du peuple des chercheurs où tout peut être discuté, son gouvernement. » (Le Monde, 16 mai 2006) L'idée de gouvernement de savants est un mythe récurrent dans l'histoire des utopies politiques immatures. De la « République » de Platon au « Catéchisme positiviste » de Comte. L'ordre politique des hommes ? on peut le déplorer - n'a que peu à voir avec la rationalité scientifique, tout au moins sous les paradigmes posés par les sciences exactes et les sciences de la nature ainsi qu'il en fut au XIXème siècle mécaniciste ou organiciste. On aurait tort cependant de l'imputer à crime aux seuls savants. L'usage des méthodes scientifiques, hors des espaces où elles ont démontré leur pertinence et leur validité, procède le plus fréquemment de non scientifiques fascinés par ce vaste pan de la culture qu'ils ne maîtrisent pas, seulement pressés d'en asservir et d'exploiter l'image sociale. Tout cela en fait montre à quel point l'idée (régulièrement démontée) du savant génial et solitaire, du « professeur Nimbus » isolé dans son laboratoire, uniquement déterminé par ses recherches, est une image d'Epinal qui demeure tenace dans l'imaginaire populaire qui puise ses références dans un environnement culturel désuet, esquivant les conditions concrètes de la production scientifique et des complexes cheminements de son évolution. Il est vrai que, plus que par le passé, l'époque transfigure la puissance créative individuelle et entretient le déclin de l'œuvre collective. Alors même que la recherche scientifique montre tous les jours à quel point ce que les découvertes (en particulier celle dont il est question dans ce papier) sont le fruit d'un travail d'équipe. La validation expérimentale de l'existence du « boson de Higgs » nous offre l'occasion de confirmer que l'activité scientifique, par-delà les découvertes qui nous éclairent sur les lois qui gouvernent la nature (et notre nature), ne peut s'abstraire des dimensions sociale, économique et politique au sens premier du mot. Le chercheur se trouve confronté aux contraintes spécifiques de son métier et de son domaine de compétence. Il ne peut davantage ignorer les enjeux qui ? nolens volens ? les surplombent, en orientent les choix et en cadrent les moyens. C'est encore plus vrai en période de disette budgétaire et de crise financière. Au moment où les Etats et les universités comptent les liards. Dans un monde désormais dirigé par des normes strictement libérales, ni contribuables ni marchés ne consentiraient à investir des milliards d'euros pour aider une infime corporation de chercheurs à savoir au juste ce qui s'est passé une fraction de seconde après un « événement primordial », objet de spéculations abstraites, dans la vie d'un univers de 13,7 milliards d'années. Galilée n'avait pas chance : sa réfutation du modèle ptolémaïque est arrivée à une époque où le Vatican et les royaumes catholiques faisaient face à de graves périls combinés : le schisme protestant, les révolutions bourgeoise et industrielle qui allaient balayer toute l'Europe. Aujourd'hui, les chercheurs n'encourent plus les risques d'hérésie, mais ils doivent se concilier l'industrie cinématographique, financière ou militaire : Hors de Hollywood, de Wall Street ou du Pentagone, point de salut. C'est dans ce cadre péremptoire de l'instrumentalité à usage restreint qu'évolue la science contemporaine, dans la diversité complexe de ses missions. Les ressources de la connaissance pure et désintéressée sont à peu près aussi difficiles à trouver qu'un? boson de Higgs. Entre 3.3 en France pour 1000 habitants et 5.6 au Japon, tous chercheurs de toutes disciplines confondus. Rapport d'information du Sénat n°316 (2008-2009), 1er avril 2009. * UFR de Physique et Ingénierie, Université de Strasbourg |