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Suite
et fin
Nous vous livrons ci-dessous la suite de la conférence de Yasmina Khadra que nous n'avons pas pu malheureusement donner dans notre édition du lundi 18 juillet, où deux pages ont été consacrées à cet évènement, et ce naturellement en raison de contrainte d'espace. Yasmina Khadra : Il y a des sujets qui m'interpellent. Je ne peux pas rester comme ça... Je ne peux pas prendre ma plume et dire je vais commencer par la fin. Il y a des gens qui commencent par une phrase et ne savent plus où ils vont. Si je n'ai pas la chute, si je n'ai pas la fin, tous les personnages, enfin tout, je ne peux pas commencer. J'aurais le sentiment de tricher. D'entrée, il faut que j'aie une certaine assurance d'aboutissement de mon œuvre. Et, moi, je change de styles aussi. C'est d'ailleurs ça qui m'a rendu suspect en France, car ils n'arrivent pas à comprendre comment un écrivain algérien ait autant de succès en littérature française et surtout de richesse et d'aisance dans le changement de styles... D'ailleurs, il y a eu un panel d'écrivains, des experts de haut rang qui avaient disséqué Morituri, les Agneaux du Seigneur et Pour l'amour d'Elena. Ils sont arrivés à ce constat sans appel que celui qui a écrit Morituri n'a rien à avoir avec les Agneaux du Seigneur qui, lui, n'a rien à avoir avec celui qui a écrit Pour l'amour d'Elena. C'est comme ça que la polémique a commencé : qui a écrit quoi ? C'est un vrai combat ! Le modérateur : Le 24 août prochain, on aura entre nos mais votre dernier roman intitulé Les Vertueux, dont vous qu'il est votre préféré et de loin. Yasmina Khadra : Je suis fan de ce roman. Pourquoi ? Ah mon Dieu ! Je crois que j'ai franchi un cap avec ce roman. Tout ce que j'ai cherché depuis que j'ai commencé à écrire, je l'ai obtenu dans ce roman. J'y ai mis trois ans. Ma femme était fatiguée de me voir tout le temps face à mon ordinateur. Je vous assure, il ne faut pas passer à côté de ce livre. Je vous le jure ! Même s'il y a des gens qui ne nous lisent pas qu'ils aient ce livre à la maison, ne serait-ce que pour leurs enfants. Je suis devenu fan de moi-même à cause de ce livre. On peut peut-être parler un petit peu de ce roman. Ça parle d'Algérie durant la première moitié du 20e siècle. Ça commence en 1914 et ça finit vers la fin des années 1950 et c'est l'histoire d'un Algérien qui se retrouve embarqué dans une aventure à laquelle il ne s'attendait pas. Il n'y était pas convié. Il revient chez-lui à la fin de la première guerre mondiale. A travers ce personnage, j'ai voulu ce tout ce qu'a connu l'Algérie durant cette période. La guerre, l'humiliation, la misère... Enfin, je n'en dirai pas plus. Il ne faut pas dévoiler ce livre, ça sera criminel de ma part. Mais je suis sûr de ne pas vous décevoir. Le modérateur : J'ai eu le privilège de lire ce livre avant tous les autres et ce qui est frappant, c'est ce va-et-vient entre le passé et le présent. C'est quelque chose que vous connaissez et sur laquelle vous travaillez depuis si longtemps à travers plusieurs romans et autres textes sous votre signature. Il y a aussi cet investissement dans les lieux de mémoire. A la description que vous faites d'Oran par exemple Hammam Es'Saa et autres. Tous ces toponymes cités relèvent d'une connaissance extraordinaire... Yasmina Khadra : Non, il n'y a pas une connaissance extraordinaire d'historien, mais il se trouve que j'ai un amour pour Oran. Vous voyez, quand vous êtes en amour, vous voyez tout. Les qualités comme les défauts. Mais quand vous êtes dans la haine, vous ne voyez que vos propres noirceurs. C'est votre frustration qui est là, qui vous aveugle et qui vous empêche de déceler tout ce qui peut vous réconcilier avec l'être que vous détestez. Moi je suis un amoureux de l'amour, j'adore aimer. Et dans cet amour, on peut accéder à tout. Oran est une ville qui m'a toujours boudé. Avez-vous déjà vu une journée littéraire consacrée à Yasmina Khadra, ici ? Jamais au grand jamais. Est-ce que vous avez vu sur moi des articles en journaux depuis 15 ans ? Ils ne parlent jamais de moi. Ceci alors qu'Oran devrait être le vrai socle de ce qu'a réussi Yasmina Khadra. Le modérateur : Je crains que vous alliez fâcher le public venu ici nombreux pour vous... Yasmina Khadra : Attendez ! Vous n'allez pas me prendre dans ce petit piège. C'est comme en France, je me fais signer pour tous les gens qui sont très nombreux à me lire alors que je suis exclu par tous les organismes français. Ce n'est pas au public de faire des journées littéraires. Pas plus que ce n'est à lui d'écrire des articles dans les journaux. Pourquoi fâcher le public ? C'est une réalité. Lui, il n'y est pour rien. Le modérateur : Parce que le public est au centre de cette relation. Yasmina Khadra : On ne se comprend pas apparemment. Vous me parlez de ce public ? Est-ce que ce sont ceux-ci ici présents qui organisent des évènements, qui écrivent dans la presse ? Il y a beaucoup de jeunes qui aiment découvrir en eux une certaine vocation. Mais si on ne leur fait pas rencontrer de grands comédiens, de grands artistes, de grands écrivains, ils ne pourront pas. Je connais pas mal de jeunes qui ont découvert en eux une vocation grâce à une rencontre heureuse. Donc, ces gens quand ils écrivent, ils n'écrivent pas pour moi. Le public, il a besoin de cela. Les jeunes peuvent et doivent comprendre qu'ils ont de l'ambition. Moi quand j'étais jeune, j'avais mes écrivains références, que ce soit Benhadouga ou Tahar Ouettar, Kateb Yacine ou Mohamed Dib. Je voulais aller de l'avant et conquérir le monde. Je me disais : «si ces écrivains ont réussi à exporter la littérature algérienne au-delà des frontières de la terre algérienne, il n'y a aucune raison pour que je ne puisse pas le faire moi aussi. Un peuple, ça s'élève. Vous croyez que ce sont les politiques qui font les nations. Les gens qui font les nations, ce sont les artistes, les écrivains, les intellectuels...»... J'ai eu plein de conférences, rencontres littéraires et d'articles de presse sur moi à travers le monde. Mais ce n'est pas la même chose au Moyen-Orient. C'est terrible ! Je n'en reviens pas. Je ne sais pas trop. Il y a assurément une partie de la presse arabophone qui m'a toujours déprécié allant jusqu'à me traiter de traitre. Pour la seule raison que j'écris en français. Si à travers les médias, on incite les gens à ne pas me lire, alors ils ne me lisent pas. D'ailleurs, un seul de mes livres s'est vendu à Singapour plus que l'ensemble de mes livres dans le monde arabe. Mais, peut-être, c'est à nous, c'est à moi, d'aller convaincre et ça commence petit à petit à changer. Car si on reste verrouillé on a beaucoup de chance de rester grippé à vie. |