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L'enseignement le plus significa-tif du nouveau gouvernement nommé par le Chef de
l'Etat, est sans aucun doute, le changement opéré à la tête de la diplomatie
algérienne. Changement jugé salutaire et accueilli avec soulagement par la plupart
des diplomates. Ils estiment en effet, que le retour de Ramtane
Lamamra, personnalité d'envergure internationale, au
poste de ministre des Affaires étrangères, ne manquera pas de provoquer une
montée en puissance de notre diplomatie qui a subi un véritable confinement
particulièrement depuis ces deux dernières années marquées par la crise
sanitaire.
A l'évidence, l'éviction de Sabri Boukadoum, résonne comme une volonté manifeste du Président Tebboune de stopper l'hémorragie des revers diplomatiques que ce ministre a enchaînés et de procéder à une réinitialisation du logiciel de notre diplomatie en vue de permettre à notre pays de jouer son rôle de puissance régionale incontournable, tant sur les dossiers du voisinage immédiat qu'au sein des instances régionales et internationales. L'on note d'ailleurs que le décharnement des actes d'une grande hostilité menés par le Maroc contre notre pays, coïncide avec l'état d'érosion et d'effacement de notre diplomatie. Ce qui a conduit parfois, le résident de la République Abdelmagid Tebboune et le Chef d'Etat Major, le Général de Corps d'armée, Said Chengriha, à monter au créneau, pour adresser des mises en garde sévères contre toutes tentatives ou actions de nature à porter atteinte aux intérêts supérieurs du pays, à son unité et à son intégrité territoriale. Dernière action hostile en date du Maroc contre notre pays, les propos tenus par son ambassadeur à New York qui sont d'une extrême gravité, attentatoires à l'unité nationale. La réaction, en deux temps, ciselée et cinglante assénée par Lamamra, avec en prime le rappel de notre ambassadeur à Rabat pour consultations, est un signe d'un grand retour de la diplomatie algérienne qui semble affirmer en filigrane, que plus rien ne sera comme avant. D'autant que la communauté internationale vient de découvrir, indignée et interpellée, le scandale Pegasus qui révèle la vraie nature de la monarchie marocaine, celle d'une véritable dictature et d'un État voyou, qui mobilise des moyens colossaux et sophistiqués non seulement pour bâillonner toute la société marocaine et porter atteinte aux libertés fondamentales, mais plus grave encore, qui n'hésite pas à espionner des États en violation flagrante des règles et principes qui régissent les relations internationales fondés notamment sur la confiance et le respect mutuel. D'autre part, notre diplomatie est attendue pour rebondir sur le dossier libyen sur lequel elle a perdu du terrain. Et pour cause, sans vision ni feuille de route et dépourvue manifestement «d'ingénierie», elle a multiplié les erreurs stratégiques et a compromis les gains diplomatiques arrachés par notre pays justement quand Lamamra en était le chef. Pour rappel, alors ministre des Affaires étrangères, il a contribué à la création, en mars 2014, du mécanisme des pays voisins de la Libye et son pilotage par l'Algérie. Une parfaite connaissance des exigences de la diplomatie multilatérale et une bonne dose de crédibilité auraient permis à notre diplomatie d'avoir une influence et de contribuer peu ou prou, au processus de dialogue entre les protagonistes libyens. Mais c'est ce qui a manqué le plus à notre diplomatie durant ces deux dernières années. Si elles avaient existé, ces deux conditions auraient permis en outre aux appels lancés par Boukadoum, pour abriter à Alger, les sessions de dialogue libyen, de trouver des échos favorables auprès des Libyens qui, faut-il le dire, continuent à sillonner toutes les capitales pour tenir leurs rencontres, excepté Alger. De même, l'existence d'une initiative algéro-tunisienne sur la crise libyenne a été évoquée à un moment. Mais une semaine après son annonce, les Tunisiens ont accueilli une réunion des Libyens sans penser associer notre pays. Ces dernières semaines, la crise libyenne a été au centre d'une activité diplomatique intense notamment lors du dernier sommet de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et à Berlin où les personnalités diplomatiques particulièrement turques et égyptiennes intensifient leurs consultations dans un jeu de distribution de cartes géopolitiques. Toutes ces rencontres et visites, reflètent des jeux d'alliances entre les acteurs régionaux et internationaux. Une feuille de route politique même fragile, est désormais en route, bien que la tâche demeure complexe et les obstacles nombreux. Il s'agit en effet de l'évacuation des combattants étrangers, le désarmement des milices qui ont proliféré dans le pays, l'unification des institutions et l'organisation infine des élections générales, à la fin de cette année, qui sont déjà compromises, après l'échec à Genève du Forum de dialogue politique qui a été incapable de dégager un compromis sur les modalités de leur organisation. Au Sahel, un autre pays voisin avec lequel nous partageons une frontière commune, le Mali, continue à connaître des ruptures anti constitutionnelles à répétition et va de crises politiques en transitions successives. Notre pays qui présidait sous l'autorité de Lamamra, la médiation internationale placée sous l'égide des Nations unies et pesait de tout son poids au Mali, s'est retrouvé relégué au rang de simple observateur des efforts de la CEDEAO. Et comble de l'ironie, c'est au moment où notre pays présidait la réunion du Comité paix et sécurité de l'Union Africaine sur la crise malienne, que le Mali a connu son 2e coup d'Etat. Avec son annonce du retrait de son engagement militaire au Mali pour certainement ne pas avoir à assumer un échec dans la zone d'influence traditionnelle de la France, à la veille des échéances présidentielles, le président français a décidé d'européaniser, en quelque sorte, le dispositif ?Barkhane', en intégrant les troupes françaises au sein de la force ?Takuba', unité des forces spéciales européennes à côté des forces de la Minusma et du G5 Sahel. Cependant, la militarisation de l'espace sahélo-saharien par des puissances extra-africaines, notamment après la décision de Washington d'envoyer au Sahel, 5.000 militaires, pourrait exacerber les tensions dans une région où la présence de forces militaires étrangères est déjà en surnombre, particulièrement en Libye. Dès lors, se pose la question de la nécessité d'engager, au niveau africain, des actions pour une réappropriation africaine de la question sécuritaire dans cette région, afin de préserver nos frontières des risques de vulnérabilité. Autre décalage de notre diplomatie, ces deux dernières années, celui-ci au niveau multilatéral africain où la lutte demeure acharnée et devient de plus en plus agressive pour gagner des espaces géostratégiques notamment, au sein de l'Union Africaine où les rentes de situation ne sont plus acquises durablement. Il y a lieu de noter en effet que pour la première fois dans les annales de la diplomatie algérienne et alors que notre pays est un gros contributeur au budget de l'organisation continentale, aucune candidature algérienne, n'a été présentée pour la présidence des huit commissions de l'Union Africaine. Pourtant, notre appareil diplomatique recèle de compétences avérées et reconnues. D'autre part, à propos du Sahara Occidental, notre diplomatie semblait par moments, tétanisée par la décision de Trump de reconnaître la souveraineté marocaine sur les territoires sahraouis et espérait que la nouvelle administration Biden revienne sur sa décision. Or, le président américain n'a affiché pour le moment, ni soutien explicite ou implicite à une souveraineté marocaine ni même au plan d'autonomie. Les Américains entretiennent, en l'occurrence, une ambiguïté «constructive» qui est le privilège des puissants. Par ailleurs, l'absence d'encadrement ou d'accompagnement diplomatique a lourdement impacté négativement certains dossiers cruciaux notamment, lorsque l'Egypte et les Emirats et non les Etats-Unis, comme le pensent certains, se sont mobilisés pour bloquer la nomination par le Secrétaire Général de l'ONU, de Lamamra, en qualité d'Envoyé Spécial pour la Libye. Un autre couac, lors des délibérations de l'Assemblée générale de la CAF qui s'est tenue à Rabat, l'ex président de la FAF a essuyé un double échec, particulièrement celui relatif au refus de l'AG de modifier des statuts, ceci uniquement pour empêcher la RASD qui est membre fondateur de l'Union Africaine d'avoir la possibilité d'être membre de la CAF. La délégation algérienne aurait dû tout simplement s'appuyer sur le précédent du Kosovo, pour torpiller le projet de résolution. La fédération de football du Kosovo dont le pays n'est pas membre des Nations unies, est ainsi bien membre de l'UEFA et de la FIFA et ce, conformément aux statuts de la FIFA. L'on note par ailleurs, qu'aucune action préventive n'a été entreprise par notre diplomatie, lorsque les institutions de l'Etat ont été les cibles des organisations internationales. De même qu'elle n'a pas réagi lorsque les États-Unis ont inscrit dans leur rapport annuel pour l'année 2020, l'Algérie dans la liste noire des pays qui pratiquent le trafic d'êtres humains comme l'Afghanistan, le Lesotho et le Nicaragua. Aujourd'hui, le contexte international est en ébullition avec le retour du soft power américain et le rebond du multilatéralisme après le traumatisme des années Trump et son piétinement du droit international. La tenue récemment du Sommet du G7 et celui de l'OTAN, augure de l'émergence de ce qui semble être un directoire mondial avec des nouvelles formes de conflictualité dominées notamment par la rivalité sino-américaine sur l'innovation technologique. Ceci étant, l'arrivée de Biden n'a pas changé fondamentalement la dynamique des relations entre les grandes puissances. Washington poursuit sa logique offensive contre la Chine pour l'empêcher de gagner le leadership économique mondial. Pékin désormais décomplexée, affirme ses objectifs et ses ambitions en Asie, en travaillant au renforcement de ses relations avec Moscou. L'Europe quant à elle, est à la recherche d'une véritable autonomie stratégique avec le souci de se frayer une ligne médiane entre les deux puissances, lui permettant de préserver les souverainetés nationales de ses Etats. Un contexte régional inflammable marqué par des turbulences et des crises où les puissances régionales et internationales se livrent avec acharnement y compris dans les pays voisins en crise, à des luttes féroces pour préserver et gagner des zones d'influence géopolitique et des espaces géostratégiques ne laissant aucune place à l'amateurisme, à la mollesse diplomatique ou à l'improvisation. Dans cet environnement tendu, les signes d'une nouvelle géopolitique arabe voire méditerranéenne apparaissent notamment avec l'établissement des relations diplomatiques de certains pays arabes avec l'entité sioniste où les acteurs notamment régionaux se déploient dans de nouvelles stratégies d'alliance pour se positionner et gagner des zones d'influence, même au prix de la déstabilisation des États. Le Proche-Orient a connu ces dernières semaines deux événements importants alors que les négociations sont en cours pour le retour des États-Unis à l'accord avec l'Iran sur son programme nucléaire. Il s'agit de l'élection du nouveau Président iranien, et l'arrivée d'un nouveau Premier ministre israélien pour un mandat de deux ans, au terme duquel il devra laisser la succession à son ministre des Affaires étrangères. Chef de file de l'extrême droite religieuse, proche des colons, Bennett prône une ligne dure contre l'Iran et ne manquera pas de pousser son gouvernement à durcir davantage sa politique étrangère, envers ce pays et en évidence, envers les Palestiniens. Tout dépendra des résultats des négociations en cours à Vienne où l'espoir de convaincre Téhéran d'étendre la portée de l'ancien accord pour y inclure le programme de missiles balistiques, s'estompent progressivement. Le retour des Etats Unis à l'accord nucléaire, qui semble être pour le moment, le scénario le plus probable, peut ouvrir la voie à un règlement pacifique de nombreuses crises régionales. Cependant, si les négociations de Vienne échouent, cela conduira à pérenniser la situation de crise dans la région et les États-Unis ne manqueront pas de mobiliser de nouveau leurs alliés notamment du Golfe pour relancer les fortes pressions sur l'Iran voire même sur l'axe de résistance dans son ensemble y compris, la résistance palestinienne. S'agissant du vieux monde arabe, il se meurt et semble menacé d'éclatement. Dans l'attente de l'émergence d'un nouveau monde, l'Egypte, renforce davantage sa domination exclusive et abusive sur la ligue arabe pour continuer à l'instrumentaliser dans le sens de ses intérêts sans considération aucune, pour les appels lancés pour des réformes structurelles devenues impératives. Le comble de la dérision atteint par cette ligue, est d'avoir rejeté le projet de résolution palestinien appelant à la condamnation des accords de normalisation de certains pays arabes avec l'entité sioniste. D'autre part, frisant le ridicule, la Ligue arabe continue dans ses résolutions et depuis des années, à rendre un «vibrant hommage» au Roi du Maroc pour son rôle à la tête du Comité ?Al Qods', alors que tout le monde sait que le souverain marocain oppose depuis 2014, un veto à toute réunion de ce Comité. Pour l'histoire, l'ambassadeur de Palestine à Rabat fut même déclaré à l'époque, persona non grata, pour avoir simplement «osé», dans une déclaration à la presse, inviter le Maroc à réunir ledit Comité. Face à ces vastes zones de turbulences internationales, avec ses enjeux et défis majeurs, le ministre Lamamra, qui jouit d'un profond respect et d'une grande crédibilité dans les cercles diplomatiques mondiaux, ne devra pas manquer d'entreprendre une véritable remontada diplomatique, terme connu par les amateurs de football, pour reconstruire un secteur stratégique largement laminé par les effets de la marginalisation de ses compétences. Secteur qui devra renouer avec une diplomatie active, réactive et d'influence pour permettre à notre pays de retrouver sa crédibilité et son rôle d'acteur-clé d'équilibre et peser de tout son poids dans la solution des crises régionales. Connu pour jouir d'une grande capacité d'anticipation et d'une vision de prospective stratégique, Lamamra saura certainement percevoir les évolutions et les développements géopolitiques et géostratégiques, pour les accompagner et tenter de les infléchir dans le sens des intérêts de l'Algérie. La voix de notre pays devra ainsi cesser d'être inaudible dans une région considérée comme notre profondeur géostratégique où les risques d'instabilité aux frontières sont importants et où les rapports de force se redéfinissent brutalement. En somme, Lamamra, avec une équipe aguerrie et racée, des routards de la diplomatie, aura à engager une œuvre titanesque de reconstruction diplomatique, dans un double contexte interne et international plutôt défavorable. La diplomatie n'est pas un luxe, ni un exercice de style, mais une vraie épreuve difficile, le modus operandi de la politique étrangère d'un pays, pour faire face aux défis multiples, aux menaces et aux événements de plus en plus complexes à l'ère de la libre communication et des réseaux sociaux où l'on est déchiqueté en deux minutes et où l'amateurisme, le bricolage et le souci de créer et de consommer de la fausse actualité, ne sont plus permis. L'éminent professeur Charles Chaumont, disait au sujet des règles et principes qui régissent les relations internationales que le «droit international n'était que la cristallisation juridique des situations de domination». *Consultant, Spécialiste en relations internationales |