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Où
que vous alliez en Espagne, n'importe quel discours officiel que vous écoutiez
dans ce pays, vous ne pouvez éviter la grande référence culturelle des
Espagnols, leur fierté séculaire. Le rayonnement de Don Quichotte, de Miguel de
Cervantes, dépasse certainement la péninsule ibérique
et même le monde hispanique, pourtant bien vaste. Ce monument de la littérature
est devenu un socle de la culture universelle. Il est l'un des livres les plus
édités et les plus lus dans le monde.
Prix académiques, places, rues et édifices, pas une ville n'échappe au nom de Cervantes ou de son héros, « L'ingénieux noble Don Quichotte de la Manche », le titre du livre en espagnol. Curieusement, si un écrivain ou un scénariste proposaient aujourd'hui une histoire équivalente à un éditeur ou à un producteur, elle n'emporterait même pas une publication pour un roman de gare ou un téléfilm de série B. Car l'histoire est des plus curieuse, voire ridicule. Un Hidalgo, seigneur sur ses terres, pétri de romans de chevalerie à l'eau de rose de l'époque, voulut imiter ses héros en allant défendre l'opprimé et les princesses dont l'honneur serait bafoué. Il entraîne avec lui son célèbre valet, Sancho Panza, aussi fantasque que lui, qui ne croit pas un seul mot de son maître, le pense totalement fou, mais va pourtant abandonner épouse, terre et maison pour rejoindre et servir le seigneur qui s'est mis en tête une mission totalement délirante où seuls les mauvais coups sont à prendre. Le pauvre Sancho, sur son âne, suit son maître en étant la risée des lecteurs durant des siècles. Moi je le pense beaucoup plus sympathique et intelligent que cela. Lorsque son épouse ne cessait de lui répéter qu'il avait perdu la tête à vouloir suivre une chimère pareille, sa réponse fut étonnante «Oui, mais au moins, lui, me promet d'être le roi d'une île qui sera la mienne en récompense de mes loyaux services». Sancho avait compris que sa vie de misérable n'était pas bien plus raisonnable que le rêve d'une promesse, même s'il n'était dupe de rien, effrayé par la folie de son maître. Mais voilà, ce livre écrit au début du 17ème siècle, portant sur une histoire invraisemblable, totalement burlesque, eut une considérable renommée dans toute l'Europe. Il est aujourd'hui le chef-d'oeuvre que nous connaissons. C'est cela le miracle de Don Quichotte et par définition, un miracle est toujours inexpliqué. Il faut rajouter que « La langue de Cervantes» est considérée comme la référence absolue de la langue espagnole, son étalon dans l'excellence académique. C'est d'ailleurs ce plaisir que nous ne pourrons jamais atteindre dans ses sommets car, la plupart d'entre nous ne lirons que des traductions. Cela suffira à notre immense plaisir vu la qualité exceptionnelle de cette oeuvre, vraiment pas comme les autres. Bien entendu, chacun aura compris que cette histoire est une critique féroce des croyances aux mythes de la chevalerie des siècles passés. Cervantes ne se privera pas d'une critique tout aussi sévère de la caste nobiliaire au pouvoir qu'il traitera avec un ridicule qui s'est avéré des plus efficace. Si un jeune lecteur a l'intention de jouir de cette fantastique expérience de lecture, je lui conseille de ne pas être horrifié par le « pavé », en deux volumes de plus de cinq cents pages chacun. Une fois la première centaine de pages passée, il arrive à chaque fois à peu près les mêmes ennuis à ce chevalier de pacotille. Et pourtant, le génie de Cervantès n'ennuie jamais par ses répétitions. Au delà de cette centaine de pages symbolique pour tout jeune lecteur, il lui suffit alors de lire un chapitre de temps en temps, sans crainte de hacher la compréhension générale. C'est l'une des raisons pour lesquelles je le propose aux jeunes Algériens qui redoutent les oeuvres longues, comme tous les jeunes du monde entier. Ce sera souvent le cas dans cette chronique hebdomadaire de l'été. Un avertissement avant le début de la lecture, Don Quichotte est associé aux moulins à vent qu'il va combattre comme les méchants ou les dragons qu'il faut terrasser au nom de sa noble mission de chevalier. Pourtant, cet épisode célébrissime qui collera à jamais à l'oeuvre et au personnage, n'est qu'un très court passage, en tout début du premier tome. C'est en fait une image qui symbolisera toutes les autres conquêtes de ce chevalier insensé. « Se battre contre des moulins à vent », l'expression restera définitivement dans notre langage courant. C'est exactement l'effet que cela vous fera, à moins que cela ne soit déjà fait, de découvrir la fameuse phrase de Shakespeare « To be or not to be » au détour d'une page de Hamlet. Une phrase qui pourtant sera associée, elle aussi, à l'oeuvre et à l'identité de l'auteur durant des siècles, aujourd'hui encore, plus que jamais. Elle n'aura été prononcée que furtivement et si vous ne l'attendiez pas par sa notoriété, vous ne vous en apercevriez même pas en lisant le livre. En revanche, comme il a été le cas dans les autres articles de la rubrique, ne jamais se laisser emporter par une idolâtrie façonnée par la légende. J'argumenterai pas les deux points suivants. Don Quichotte est, nous l'avons dit, un OVNI sorti de nulle part pour prendre l'une des premières places de la littérature mondiale. Ce n'est pas pour autant qu'il est nécessaire d'apprécier ses autres livres sans s'être forgé une opinion en toute indépendance d'esprit. J'ai personnellement une opinion très réservée sur la qualité des autres écrits. Pour moi, Cervantes n'a écrit qu'un seul roman de ce niveau, c'est déjà un exploit. Il vous appartient de me contredire en toute liberté pour les autres si vous en ressentez l'opinion contraire. Mais, comme toujours, avant de débattre, il faut lire. Le second point est de ne jamais se laisser prendre par une légende autour d'un personnage qui serait devenu mythique. On a voulu effectivement bâtir une légende autour d'un personnage qui n'a sans doute eu qu'une vie d'errance, pas plus ni moins que d'autres. Un bras gauche amputé, pour le militaire qu'il était durant la bataille de Lepanté, c'est sans doute assez fréquent pour les conditions du siècle de Cervantès. Sa captivité à Alger par les barbaresques, avec son frère et quelques compagnons d'infortune, sont aussi des faits d'une grande banalité à cette époque où les rançons étaient monnaie courante pour ceux qui s'aventuraient dans de si lointains voyages. On peut en conclure que Cervantès était dans l'errance, comme le fut dans une moindre mesure son père chirurgien, et par conséquent dans l'aventure permanente mais que cela n'a aucun rapport avec le plaisir de lecture que l'on a de l'oeuvre en elle-même. Je salue cependant l'excellente initiative de remise en état de la grotte, à Alger, où aurait été prisonnier Cervantes, sans certitude aucune comme toute la légende de sa vie. C'est une initiative très positive pour nos jeunes Algériens dès lors qu'ils ont lu l'oeuvre en toute indépendance. Ils pourront alors visiter le lieu de captivité de ce grand auteur sans tomber dans l'idolâtrie mais dans la recherche légitime de la compréhension d'une partie de sa vie, s'il existe un éventuel rapport avec son oeuvre. Courez lire ce monument de la littérature mondiale, faites-vous une opinion personnelle, positive ou négative, un roman est toujours une découverte, une surprise mais certainement toujours un grand bonheur de culture pour votre esprit. Il existe tellement de moulins à vent à terrasser en Algérie, bien réels ceux-là ! * Enseignant |