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La prise de la
smala de l'Emir Abdelkader par les militaires français s'est passée le 16 mai
1843 à Taguine, une localité steppique située à 150
kilomètres au sud de Médéa. Cet événement secoua ardemment la région et tout le
pays. Il s'agissait de l'anéantissement de la résistance populaire qui faisait
face au colonialisme depuis que les Français ont pénétré en Algérie.
L'extinction de la smala est un épisode décisif dans la colonisation de la France de l'Afrique du Nord. La résistance populaire menée par Abdelkader a duré 13 ans. Elle était une menace permanente pour la présence des Européens en Algérie et un obstacle qui obstruait férocement leur expansion territoriale. Les accrochages entre les résistants autochtones et l'armée française étaient tragiques. On ne comptait plus les morts, on ne mesurait plus les terres brûlées. Abdelkader, proclamé émir des croyants à l'âge de 24 ans, avait causé de grosses difficultés pour plusieurs officiers de haute renommée pendant sa lutte obstinée contre l'avancée des nouveaux occupants. Il a réussi à mobiliser presque toutes les tribus du pays et à les soulever à chaque fois contre l'arrivée des soldats étrangers. Le mouvement de la résistance d'Abdelkader prit forme d'une véritable révolution nationale. Lui, il incarnait les qualités honorables du mérite d'un grand chef d'Etat. Le registre guerrier de l'Emir comprend d'innombrables épreuves de lutte armée et de diplomatie. Il englobe plusieurs batailles victorieuses, des traités, des trêves de paix et des périodes de défaites et de désarroi. Ce chef était en quelque sorte l'emblème qui représentait l'aspiration de toute la nation autochtone. Après les chutes successives des bastions importants du mouvement de la résistance de l'Emir, en l'occurrence les cités de Miliana, Médéa, Taqdemt, Mascara, Mazouna, Mostaganem et Tlemcen, Abdelkader opta pour un repère mobile afin de rassembler tous les autochtones qui lui faisaient allégeance et de continuer son combat. La smala était donc une ville ambulatoire faite de toiles, de tentes, de guitounes et de diligences. En fait, ce rassemblement en mouvement constituait le dernier souffle de la résistance populaire et l'ultime vestige du supposé Etat algérien. Ainsi, après avoir été le chef d'un Emirat constitué des parties centrale et occidentale d'Algérie, l'Emir est réduit à une escapade continuelle à la limite du Sahara. La smala était impressionnante. Elle a traîné pendant deux ans dans les régions présahariennes de l'Algérie avant d'être découverte et effacée dans la bataille de Taguine. C'était une vraie ville qui se déplaçait dans les contrées qui n'étaient pas encore atteintes par l'avancée des Français. 40 mille personnes vivaient dans cette cité mouvante, surveillée de loin par plus de 400 cavaliers et de près par des centaines de tirailleurs. Les habitants y étaient divisés en quartiers positionnés d'une façon schématique intelligente selon l'importance des locataires. La guitoune de l'Emir Abdelkader était au centre du campement, les lieutenants et les proches de ses amis et de sa famille étaient installés autour de lui. Chaque tribu avait son propre espace, son douar. La smala drainait dans sa marche, entre autres, des familles bédouines, des noirs d'Afrique, des artisans, des commerçants, des juifs et aussi des prisonniers français. La ville nomade changeait de lieu à chaque soupçon de danger. Elle était ravitaillée en vivres par les butins arrachés à l'ennemi et par les contributions diverses rapportées des tribus. En plus des combattants et des hommes de service, cette ville itinérante contenait des femmes, des enfants, des vieux, des malades et des blessés qui revenaient des combats avec de diverses lésions. A chaque départ de la smala ailleurs, elle laissait un petit cimetière derrière. La smala était un camp de repli pour les résistants, sa forme flexible était une technique pour esquiver et dérouter les contingents français toujours engagés dans sa poursuite. Le terrain est difficile, aride, accidenté par endroits avec des djebels et des collines qui vont en vagues à perte de vue jusqu'au grand désert. Le climat est chaud. Le plus grand souci est l'eau. Les sources d'eau sont rares, les petits oueds qui faufilent entre les reliefs mamelonnés sont asséchés par cette saison de début d'été. Aïn Taguine, la source de Taguine, est un point d'eau vital qui croise le passage de toutes les caravanes qui circulent dans le Sahara. C'est là que les escadrons français ont intercepté la smala, par hasard selon certains témoignages, d'autres avis prétendent que ce guet-apens est le fait d'une trahison. La présence de la smala à Taguine était une halte de repos et de ravitaillement en eau. Sa destination initiale était les Djebels Amor, une région plus sûre dont l'accès est difficile pour les étrangers. Le destin a voulu que cette halte momentanée soit la fin d'une grande cabale révolutionnaire. 1300 soldats, entre cavaliers, fantassins, artilleurs et spahis, prirent part à la chute de l'agglomération mobile d'Abdelkader. L'Emir Abdelkader était absent lors de la bataille de Taguine, il n'a pas vu la smala qui tombe. Réfugié au Maroc, il revint quelques mois après, mais son armée était déjà dispersée et le soutien des tribus autochtones complètement abrogé. Seules quelques tribus kabyles étaient restées fidèles à leur premier engagement à son côté. Après quelques tentatives pour reprendre le combat, son action semblait être une aventure qui ne pouvait plus espérer de victoire. Affaibli et désespéré, l'Emir fera sa capitulation aux gouverneurs français le 8 décembre 1847. La prise de la smala marqua le début de la fin d'Abdelkader. Son existence était un rempart contraignant qui gênait l'expansion des Français dans le pays et les narguait en menaçant la sécurité des provinces dont ils avaient le contrôle. 300 baroudeurs arabes et seulement 9 militaires français périrent dans l'assaut de Taguine. 3000 personnes étaient capturées dans cette bataille. Des milliers d'autres prirent la fuite dans le désert dans la confusion des tirs. Les captifs seront conduits à Médéa. 300 d'entre eux seront gardés, ensuite transférés au pénitencier de Barberousse à Alger. Les autres, généralement des femmes, des vieux et des enfants, seront relâchés dans la ville. La prise de la smala d'Abdelkader est similaire à la chute de Grenade en Andalousie. Les Français, et même les autochtones partisans du colonialisme, se sont réjouis de la fin de la grande résistance. Pour eux, cette victoire est un grand pas pour « retrouver la latinité perdue », faisant allusion aux Romains qui ont colonisé cette terre pendant l'ère antique. Cette terre était donc un héritage légitime qu'ils devaient récupérer, tout inconvénient dressé devant cette alternative était une nuisance qu'il fallait éliminer. Le spectacle de l'arrivée des captifs à Médéa était épouvantable. Le cortège des prisonniers était macabre, leur nombre était accablant. Une véritable armée escortait le passage de cette immense foule de rescapés déchus. Il y avait des charrettes tirées par des animaux qui transportaient les vieux et les invalides. Le défilé contenait des dromadaires, des chevaux, des ânes et des mulets. 6000 têtes de bétail et de la volaille faisaient partie des gains ramenés par les soldats. Des caisses à dos de ces bêtes transportaient le butin acquis de cette prise. On y compte l'excellente bibliothèque de l'Emir, son armement, sa trésorerie, et tous les biens qui avaient de la valeur. Le frôlement des pas de l'immense passage des hommes et des bêtes froissait le silence des regards avec la traînée de leur bruit continuel et harassant. Le gémissement des blessés et les sanglots des enfants crispaient le roulement de la marche avec des appels de détresse répétés qui fondaient dans la totale indifférence. Le trot des chevaux qui piaffaient le sol accompagnait l'escorte autoritaire des cavaliers victorieux avec des danses arrogantes et des mouvements tellement indolents. Les guerriers influents de la smala étaient attachés les uns aux autres avec des cordes, ils avaient tous la tête baissée, certainement pour dissimuler le sentiment d'humiliation et de désolation qu'ils portaient dans leurs yeux. La foule qui suit derrière était visiblement consternée. Le tableau hétérogène des prisonniers dégageait une sensation de dommage et de frousse apparente dans leurs silhouettes étourdies par cette grande déchéance. Les autochtones de Médéa étaient présents pour assister à la parade sinistre de leurs coreligionnaires ébranlés par le mauvais sort. Attirés de loin par le gros nuage de poussière levé derrière la caravane funeste des prisonniers, les habitants des douars se sont empressés vers la ville pour examiner l'événement de près. Le rôle de spectateurs de cette scène abominable ne les délectait pas du tout, ils n'avaient même pas des larmes pour pleurer la disgrâce de leurs malheureux confrères. Les prisonniers arabes n'étaient pas atténués par la fatigue après la longue distance qu'ils ont arpentée à pied. Ils avaient l'habitude de parcourir les grands chemins difficiles et de supporter le climat et l'aridité des régions désolées. Ce qui les attristait était la défaite de Taguine, la disparition de la smala, la dissolution des familles, l'écrasement du mouvement de la résistance et la perte de l'espoir de concrétiser une nation autonome. Incendiée à la fin, la smala est laissée derrière comme une forêt en feu. Le grand rêve d'un Etat souverain s'évapore dans une dense fumée qui comble le vide pesant de l'Atlas saharien. Une déception amère s'abat sur toutes les tribus autochtones. Le mouvement de résistance mené par les combattants vaincus faisait la fierté des Algériens mal considérés par le régime colonial. Les tribus indigènes contribuaient secrètement à « l'achour », une sorte d'impôt exigé par l'Emir pour assurer la continuité des révoltes. La dernière défaite est synonyme de leur soumission totale aux exigences des nouveaux occupants. La smala était le centre de la résistance de tout un peuple, son écroulement ouvrira les portes à l'expansion et à la stabilité du colonialisme en Algérie. Il y aura certainement des générations futures qui refuseront l'occupation étrangère de leur pays. Ils sauront constituer d'autres noyaux de révoltes. Ils se soulèveront, lutteront, sacrifieront leurs biens et leur vie pour recouvrer la liberté. Mais, leur engouement patriotique n'aura jamais la verve et la motivation des résistants pionniers, car l'histoire ne répètera pas le choc du premier contact des indigènes avec la sauvagerie du colonialisme. *Ecrivain |