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«Les doctrines
spirituelles de l'ennemi sont interprétées de manière restrictive et sous
l'influence de préjugés, et les faits eux-mêmes se trouvent modifiés, en toute
bonne foi, afin de répondre au besoin de l'interprétation. De cette manière, un
ensemble de croyances se constitue relativement à ce qu'un autre groupe
confesse. Une « vérité véritable » s'établit qui est en parfait contraste avec
ce que l'ennemi prétend croire ; mais l'ennemi n'est pas autorisé à se défendre
lui-même. Un tel enseignement sur un autre enseignement se répète alors ici ou
là et obtient confirmation par suite de répétitions sous des formes peu variées
»1
«Dessine-moi un prophète» 2 Ainsi commence la narration de l'Auteure Hela OUARDI C'est étrange comme titre, comme revendication, comme souhait, comme projet, comme défi. Je ne puis m'empêcher de penser aux mésaventures de Saint-Exupéry et de son petit Prince perdu dans l'immensité du désert et incapable de se représenter la réalité des choses sans avoir recours au dessin ; telle fut la première demande du petit prince, sa première exigence. La représentation d'une réalité passe forcément par le dessin, par l'image, et de manière implicite suggère comme solution au problème la désacralisation de cette obsessionnelle et indéboulonnable iconoclasme. (On va enfin faire descendre Mahomet de son « Cercueil flottant» et le déposer par terre à portée de nos regards profanes, à distance raisonnable de nos pieds, détruire le mythe. Ainsi pour l'auteur Hela Ouardi, cette image biaisée du prophète fut le fruit d'une construction imaginaire et mythique d'un passé inventé. Se réapproprier le droit de dessiner en toute liberté une réalité c'est corriger l'histoire, gommer ses imperfections. C'est aussi et surtout casser ce tabou insensé lié à une iconoclastie qui a servi à amplifier le mystère, le mythe et forger in fine la sacralisation et l'idéalisation d'un homme ordinaire. Dessiner ou redessiner permettra de restituer au personnage du prophète son image authentique, le libérer d'une «abstraction», de cette forme spectrale et fantomatique qu'on lui a imposé, dans laquelle on l'a enfermé depuis des siècles. Réinvestir le personnage de sa dimension humaine, accessible et familière, celle qui lui sied et qui probablement servira à libérer ses adorateurs. «Le problème des musulmans n'est-il pas que leur Prophète est devenu un homme sans ombre, un être déshumanisé, écarté de l'Histoire et de la représentation ? Et si la réforme de l'islam devait être non pas théologique mais esthétique» 3 Le Roman de Héla Ouardi ainsi que les ouvrages de ses mentors et maîtres à penser révisionnistes propose à ce lecteur derrière qui se dissimule et se recroqueville tout croyant , fidèle ou tout simplement toute personne néophyte, sceptique, hésitante et indécise, le choix cornélien entre la représentation mystifiée, mythifiée, idéalisée, sacralisée, d'un homme et d'une religion: des légendes dorées auxquelles on prête des visées politiques qui ont servi de soubassement à un Islam apocalyptique, criminogène et suicidaire, ou l'image d'un homme, mortel, enfin libéré, humanisé, dépoussiéré, démystifié, dés/idéalisé, désacralisé et pourquoi pas «dé/prophétisé», un bédouin lambda, particule insignifiante dans cette morne péninsule arabique. Un piètre personnage qui n'était pas prédestiné à fonder une religion censée essaimer hors de ce chaudron du Hedjaz, cet individu serait plutôt un homme qui cadrerait mieux avec la figue d'un apprenti sorcier dont l'invention religieuse était tôt ou tard prédestinée a «sortir de l'Histoire». 4 «Abattement psychologique, Dépression profonde, Grande déception, abandonné, sujet à un Abus de faiblesse et absence d'autorité, sujet à une Tentation de suicide lors de la révélation, Trahi par ses meilleurs compagnons ,Victime de plusieurs tentatives d'assassinat dont la dernière aurait été exécutée alors que le prophète était déjà à l'article de sa mort , cloué dans son lit et agonisant. En résumé un personnage malchanceux, malmené de son vivant et avec une poisse qui le poursuit jusqu'à ses derniers instants, il rend l'âme, sa dépouille est désertée, putréfiée.»5 Comment un croyant normal peut-il concevoir ou se contenter d'un pareil scénario digne des tragédies grecques, imaginer une calamité pareille pour un prophète qui reçoit sur son lit de mort les deux anges les plus gradés (Gabriel et Azrael) qui viennent le rassurer et lui annoncer que Dieu est disposé à exaucer tous ses vœux. Souffrir d'une déchéance pareille et être en présence de deux anges porteurs de tant de réconfort et d'espoirs, cela parait quelque peu biscornu comme situation. Mais tels sont les «Dessins» et «desseins» avec lesquels l'auteur voudrait qu'on reformate notre imaginaire collectif. Voilà les réelles représentations que l'on doit retenir de cet homme , telle est l'image glauque que l'auteur Hela OUARDI essaye de nous présenter à propos d'un prophète persécuté par l'histoire durant des siècles , tenu pour responsable de ce qui fut et de ce qui adviendra. Ce qui me parait sidérant dans la charpente narrative de l'auteure, c'est cette identité sémantique (Polémiques religieuses médiévales ? vocabulaire de l'Auteure) , fort malheureusement et le plus souvent le vocabulaire constitutif d'un paradigme spécifique dévoile l'intention et les arrières pensées du locuteur/narrateur . Je ne puis en alignant les termes sélectionnés par l'auteure Hela Ouardi dans son livre, ne pas y relever quelques similitudes frappantes avec une rhétorique polémiste médiévale qui avait au moins le mérite d'assumer son verbiage haineux et belliciste. L'auteur emploie une série de mots en parlant de la dépouille du prophète ( Charogne ? pourriture ? décomposition ? putréfaction ? nauséabond) 6Cette hyperinflation de représentations choquantes visent à traduire un Pathos insoutenable qui permet à la narratrice de faire d'une pierre trois coups , véritable coup de maître: 1)- Désacraliser, Dés/idéaliser, Dé/prophétiser Mahomet. 2)- Démontrer que cette fin pitoyable et tragique d'une personnalité somme toute ordinaire, un Anti-Saint 7 devait forcément clore un chapitre de l'histoire, une aventure malheureuse ( Un Islam chétif qui devait «négocier une fin de l'Histoire» «la fin misérable n'était que la confirmation de la vie maudite et damnable du Prophète» 8 Dans la littérature hagiographique chrétienne, l'absence de miracle, la puanteur qui se dégage de la décomposition d'un corps constituaient des signes qui infirmaient la Sainteté d'un homme. D'où cette aubaine et manie obsessionnelle à mettre en exergue cet épisode relatif à la mort du prophète afin de rappeler encore et toujours le caractère anti-saint, anti-prophète de Mahomet. Ainsi la résonance des mots qui se dégage de cette juxtaposition de termes macabres soigneusement exposés par l'auteur risque de dévoiler autre chose que le fait de puiser objectivement et impartialement dans une bibliographie profuse des citations dont elle laisse croire qu'elle ne fait que réutiliser pour les besoins de sa trame narrative. 3)- Démontrer l'attitude ignominieuse de cette fraternité légendaire (Es-Sahaba) , compagnons du Prophètes , dissoudre la gloire légendaire qui les entoure , et enfin leur attribuer ce vil désir de conquérir un pouvoir auquel ils avaient donné forme en manipulant l'Histoire, les témoignages et le dogme. On ne peut que rester surpris face à cette subtile conjugaison d'un style caustique, incisif et intentionnel [spectacle obscène et affreux de sa putréfaction - Muhammad tombe en pourriture- souffle de charogne? pour un amateur passionné de parfums raffinés] ?et d'un style compatissant [dépouille du maître à qui on refuse ce soin minimum qu'on doit à la dignité humaine] 09 Chose plus surprenante est cet exercice narratif fantasmagorique qui pousse l'auteur à transgresser certains codes inhérents à la déontologie et à l'éthique littéraire : Passer de l'expectative, de la perplexité, de l'interrogation à La spéculation, l'extrapolation, la déduction, la suggestion ?voir à l'affirmation voilée d'une vérité fictionnelle. Selon l'auteure, une dépouille ignominieusement abandonné équivaut à confirmer ou laisser croire la préfiguration logique de toutes les intrigues politiques et à la course fratricide et permanente caractéristiques du Califat. Des le moyen-âge cet exercice de style avait déjà cours, dans l'Encyclopédie du moine dominicain Vincent de Beauvais le speculum historiale l'auteur présente des faits avec une telle habileté de manière à laisser le lecteur penser tirer lui-même ses propres conclusions alors que le clerc avait déjà tout suggéré. « Vincent de Beauvais met en évidence les traits les plus négatifs... Mahomet est présenté en antithèse constante avec ce qui est perçu comme le plus positif dans la religion chrétienne? Sous une apparence d'objectivité créée par la volonté de réduire les commentaires, le trait est peu à peu grossi de sorte que le lecteur se voit conduit aux conclusions attendues tout en ayant l'impression de garder sa liberté de pensée et de jugement.»10 Ce projet fourre-tout ( Déconstruction, Historisation, Désacralisation, Démythification» ne date pas d'aujourd'hui, il a 1000 ans d'existence. Il est pratiquement impossible d'en faire l'inventaire de cette encyclopédie qui a charrié au fil du siècles des centaines d'études et d'ouvrages hétéroclites colportant une littérature exclusivement propagandiste , violente et injurieuse de la part d'une Eglise profondément inquiète au sujet d'un Islam naissant et exponentiellement rayonnant qui constituait un rival , une sérieuse menace pour une foi chrétienne déjà fissurée de l'intérieur. « une telle littérature a les caractères fâcheusement abusifs de la propagande de guerre » 11 La méthode unanimement usitée sera la stigmatisation et la diabolisation du fondateur de cette nouvelle religion. Nous citerons à tire d'exemple un extrait des ces diatribes scélérates qui reflète l'état d'esprit de cette période honteuse: «Mahomet, trompeur du monde; faux prophète; ambassadeur du diable; précurseur de l'antéchrist; accomplissement des hérésies; et commencement de toutes les faussetés »12 A suivre *Universitaire Notes : 1- Daniel, Norman. Islam and the West. The Making of an Image, Edimbourg, 1960 ; 2e. éd. rev. Oxford, 1993. p. 2. 2- Hela OUARDI , « Les derniers jours de Muhammad », Enquête sur la mort mystérieuse d'un prophète , Ed. KOUKOU , 2018 , P.11 3-ibid. P.17 4-ibid P.19 5-Propos de l'Auteur Hela OUARDI ( dans son livre et lors de son passage émissions télévisées.) 6-Hela OUARDI , ibidPp.14-15 7-Bibliander, Machumetis ..., T. I, fol. â5/r. «L'homme Mahomet n'a rien d'extraordinaire; il n'a fait ni miracles, ni ne s'est attaché des hommes nobles et puissants ; mais il était d'une classe inférieure, voire du bas peuple: pourquoi donc adhérerions-nous à sa foi et prendrions-nous parti pour lui ?» Blaise Pascal, Chap. XVII - Contre Mahomet : 1669 / 1678 n° 1 p. 132et janvier 1670 p. 133 «La ReligionMahométane a pour fondement l'Alcoran et Mahomet. Mais ce Prophète qui devait être la dernière attente du monde a-t-il été prédit ? Et quelle marque a-t-il que n'ait aussi tout hommequi se voudra dire Prophète ? Quels miracles dit-il lui-même avoirfaits ? 8-Guy Cambier, édition de la Vita Mahumeti d'Embricon de Mayence, pp.31-32 9-Hela Ouardi , ibidPp.14-15 10-Michel Tarayre , L'image de Mahomet et de l'Islam dans une grande encyclopédie du Moyen Âge, le Speculum historiale de Vincent de Beauvais ,, pages 313 à 343. 11- Marie-Thérèse d'Alverny,La Connaissance de l'Islam en Occident du IXe au milieu du XIIe siècle, dans Settim. stud. Centro ital. stud. s. alto medioev., XII, Spolète, 1965, II, p. 577-602. 12-FIGUEROLA, Lumbre, RAH Ms. 9/36, f.245r Lumbre de foudre contre la secte machomética. |