|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
«Je crois que
notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C'est la civilisation qui
marche sur la barbarie. C'est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans
la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c'est à nous d'illuminer le monde
(?)*.
Ce fut ainsi que s'exprimait Victor Hugo au général Bugeaud durant la première moitié du XIXème siècle, plaidant nettement en faveur de la colonisation de l'Algérie par la France. Ce sont donc ses notes récupérées, plus tard, par sa femme Adèle qui l'affirmèrent ou le confirmèrent. Face au fait colonial, l'éminent philosophe et le grand homme de Lettres est-il pris en défaut ou à son propre piège ? Face à la droite concurrente et très menaçante, François Mitterrand, cet auteur de pas moins de sept ouvrages, devait, lui, croire dur comme fer en ce slogan « Changer la vie », adopté par le Parti Socialiste Français (PS) en 1972 ! Pourquoi alors Victor Hugo, cet auteur, entre autres, du best-seller des « Misérables » devait-il en exclure le combat de ces autres misérables algériens, si indigènes de leur état-civil et condition sociale, qui luttaient autrefois de toutes leurs forces contre l'occupant français ? Et pourquoi aussi, François Mitterrand, devenu alors président de la République française devait-il, lui également, en 1981, abolir la peine capitale au profit des Français alors qu'il avait même refusé la grâce, en tant que ministre de la Justice durant la décennie cinquante du siècle dernier, à des héros de la Révolution algérienne qui furent aussitôt exécutés, en dépit des sollicitations et des médiations qu'il recevait d'éminentes personnalités du monde de l'art et des lettres de ces plumes françaises de qualité, tels André Malraux et Albert Camus ? ? Si, au plan de la belle littérature, Victor Hugo est ce grand monument qui a marqué de son empreinte et grande intelligence la culture française de son temps et celle plus universelle du monde entier, sur la question de la colonisation de l'Algérie, l'homme de lettres a eu un tout autre visage ou si étrange comportement qui n'honore nullement cette probité intellectuelle qu'il affichait si aisément dans ses succulents vers et autres magnifiques écrits. Même son attitude clairement affichée en faveur de la libération de l'Emir Abdelkader après son emprisonnement par Louis-Philippe, à un moment où la liberté lui était promise par ses geôliers, ne pouvait tout de même pas le dédouaner aux yeux des Algériens mais aussi devant l'Histoire de l'humanité. La fameuse phrase qu'il devait prononcer à cette occasion : « Si la parole de la France est violée, ceci est grave. » ne lui accorde ou concède, en revanche, sur ce plan précis que peu de crédit, dès lors qu'il envisageait que la France peuplerait la Mitidja, ce grand plateau au milieu de l'Afrique, où s'installeraient des colons civils qu'appuieraient aux troupes françaises en nombre suffisant. Pour illustrer le tout, il prit pour comparaison une lance dont « la manche serait le civil et le fer serait la troupe ; de façon à ce que les deux colonies se touchassent sans se mêler », faisait-il encore remarquer. En 1862, dans le chapitre des Misérables où il dresse le bilan du règne de Louis-Philippe, Victor Hugo revient encore sur sa parole trahie à l'Emir Abdelkader et, dans sa liste de « ce qui accuse » le souverain, il ajoute la violence de la conquête de ce pays : « L'Algérie trop durement conquise et, comme l'Inde par les Anglais, avec plus de barbarie que de civilisation, le manque de foi à l'Emir Abdelkader. » Cette condamnation n'en fut, par conséquent, que très discrète, plutôt à la limite du discours politique très hypocrite, devait-on s'en rendre compte avec du recul. Ramenée ou confondue avec ses autres déclarations très colonialistes, faites par lui-même au crépuscule de sa vie, le 18 mai 1879, lors d'un banquet commémoratif de l'abolition de l'esclavage, l'intervention de ce grand homme de Lettres devait dissiper tous les probables doutes. Notamment lorsqu'il affirmait : « L'Asie a son histoire, l'Amérique a son histoire, l'Australie elle-même a son histoire, qui date de son commencement dans la mémoire humaine ; l'Afrique n'a pas d'histoire ; une sorte de légende vaste et obscure l'enveloppe [...]. Les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples libres, la France et l'Angleterre, ont saisi l'Afrique ; la France la tient par l'ouest et par le nord, l'Angleterre la tient par l'est et par le midi. Voici que l'Italie accepte sa part de ce travail colossal. [...] Au XIXème siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au XXème siècle, l'Europe fera de l'Afrique un monde. ** » Que vaut donc la parole violée de la France au sujet de la promesse faite mais finalement non tenue à l'endroit de l'Emir Abdelkader contre cette toute dernière affirmation : «Au XIXème siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au XXème siècle, l'Europe fera de l'Afrique un monde» ? Et que vaut aussi, sur un autre plan, cette abolition de la peine de mort destinée à tous les citoyens français contre ce très catégorique refus de grâce manifesté avec une si grande arrogance et grand mépris -afin de leur sauver la vie- à ces héros de la Révolution algérienne, qui luttaient courageusement de toutes leurs forces pour l'indépendance de leur pays ? Dans le premier comme dans le second cas, il est donc question de barbarie d'un peuple et de civilisation d'un autre. Ainsi, la colonisation de l'un serait-elle assimilée à de la civilisation par celui conquiert un quelconque espace alors que la lutte pour l'indépendance de ce même pays conquis par le premier n'est que sauvagerie et barbarie ?! Aussi, l'invasion des pays d'Afrique n'est-elle pas aussi vue ou perçue que sous cet angle où le « Blanc en fasse du Noir un homme » ?! Le résultat logique obtenu, un siècle plus tard, n'est-il pas que « L'Europe ait fait de l'Afrique un monde » ?! Le siècle des lumières de ce continent ne lui commandait-il pas de faire l'impasse sur cette sombre occupation de cet autre du sud de la Méditerranée ? Devant tant de déclarations flamboyantes et tendancieuses ou d'actions discriminatoires et très sélectives qui défient l'évidence même quant à la considération accordée à ces nations jadis colonisées par leurs bourreaux, anciens gouvernants et autres hommes de lettres ou de cour, la seule logique historique se trouve être vraiment impuissante à convenablement dénouer l'écheveau, dès lors que ces derniers se sont soustraits de leur devoir de dire la vérité pour trahir à jamais toute une mémoire collective. Faut-il, pour autant, considérer séparément et très différemment ces deux hommes ? Sinon admettre qu'ils soutenaient apparemment le même raisonnement et leur seule nation ? Au sujet des causes défendues, de par leurs œuvres ou fonctions, l'Histoire les juge, cependant, comme justement très partiaux ou très injustes à l'égard des autres ! Qu'on juge donc, à notre tour ! Pour Victor Hugo, «Ce fut ce peuple éclairé qui va trouver un autre peuple dans la nuit, c'est la civilisation qui marche sur la barbarie» dans cette perspective de l'éduquer et de le civiliser; la suite ou la conséquence à en tirer se situeront, elles, dans le même prolongement de cette action. Pour François Mitterrand, il est question de ce même raisonnement, repris aussitôt bien autrement à son propre compte, plus tard, assez fantastiquement paraphrasé par Charles de Gaule grâce à cette citation reprise par son ministre de la Culture André Malraux : « L'Algérie restera française comme la France a toujours été romaine » ! A vrai dire, de Victor Hugo à François Mitterrand, en passant par Charles de Gaule, le raisonnement de la France coloniale au sujet de l'Algérie n'a pas tellement changé ; bien que deux longs siècles se soient déjà écoulés et qu'une toute nouvelle génération, côté français, est désormais au pouvoir. En d'autres termes, celui qui n'a pu réserver ne serait-ce que juste quelques lignes griffonnées à la hâte à la douloureuse misère que vivait le peuple algérien dans sa longue quête de retrouver au plus vite son indépendance et sa liberté dans son ouvrage intitulé Les Misérables, ne peut toutefois restituer toute cette vérité dont est investi tout homme de lettres qu'il fut. Lui manquait-il vraiment du courage pour le faire ? Ou encore de la sincérité dans ses propos et actes ? Quant à François Mitterrand qui avait choisi, lorsqu'il fut élu à la tête du Parti socialiste français (PS) au milieu des années soixante-dix du siècle dernier, ce subtil slogan «changer la vie», bien avant même de sauver la vie aux condamnés à mort de la justice française en abolissant sous son règne et septennat la peine de mort dans son pays, ne pouvait-il pas faire juste un clin d'œil à ces prisonniers algériens que le régime au sein duquel il officiait allait sous peu les exécuter ? Les prenait-il juste pour de vulgaires terroristes ? De simples fellagas ? Ou encore de très dangereux criminels ? Pourquoi donc ce premier socialiste élu président de la République française au suffrage universel, le 10 mai 1981, s'était-il tu ou muré dans son silence près d'un quart de siècle auparavant lorsqu'il s'agissait de sauver des vies humaines à des Algériens (ces autres sujets français de l'époque coloniale !) pour ensuite déclarer au soir de son élection : « Les Français ont choisi le changement que je leur proposais (?) ? N'avait-il alors rien à proposer à ces indigènes dont le sort n'était autre que la guillotine ? Déjà, en date du 10 décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte, le premier président français, ne soutenait-il pas : « Je saurai remplir les devoirs que le peuple m'imposera ? Je jure fidélité à la République (?) » Aussi, toutes ces différentes déclarations ne font nullement référence au triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité », principes autour desquels ont été pourtant fondées la République et la Démocratie françaises. « Rester fidèle à la République » est-il si incompatible avec la liberté des autres ? A-t-on cette présence d'esprit que « le changement proposé aux nôtres » peut également par ricochet être valable ou se propager aux autres ? « La France a-t-elle finalement illuminé le monde ?» comme le souhaitait jadis Victor Hugo ? Comment donc ce génie humain qui a pu si intelligemment transformer la nutrition en gastronomie, le besoin sexuel en sentiment amoureux, le combat en stratégie, l'instinct grégaire en politique, l'eau en lumière, le bois en mobilier, la pierre en statue, le sable en produit de la fonderie, la terre en Paradis, l'image visuelle en peinture, l'abri en architecture, le son en musique, le langage en littérature, le robot en contremaître, le mouvement en voyage, puisse laisser les peuples du monde se distancer et leur séparation si profondément ou démesurément se creuser dans le temps sans que son apport ne daigne pour autant y remédier ? Où en est-on donc dans ce rapport de la barbarie avec la civilisation des peuples du monde, des siècles après ces premières invasions ? Chez les peuples autrefois opprimés, la colonisation reste la principale cause de leur sous-développement qui dure encore dans le temps ! Et pourtant, au sein de l'autre camp, on dit toujours être partis chez le voisin d'à-côté ou celui plus lointain dans l'optique de le civiliser. De l'éduquer, au moins ! Qui dit vrai ? Et qui ment ? L'histoire n'a-t-elle pas déjà répondu à la question ? (*) - Note d'Adèle Hugo écrite alors qu'elle songe à donner une suite à Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, qu'elle a fait paraître en 1863, in Victor Hugo, ?uvres complètes (sous la direction de Jean MASSIN), Club français du livre, Victor Hugo, (**) - «Discours sur l'Afrique», op. cit., vol. Politique Paris, 1967-1970, tome VI. |
|