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La question de
l'introduction de la langue de Shakespeare dans le système éducatif algérien
semble soulever des indignations bien suspectes en leur essence. Pour les
sciences du langage, l'introduction précoce de toute autre langue naturelle est
la bienvenue. Alors qu'est-ce qui suscite tant de craintes avec l'introduction
de cette langue naturelle qu'est l'anglais ? Qu'est-ce qui peut bien justifier
un tel rejet pendant que l'on applaudit à la perspective de généraliser une
pseudo-langue, soit tamazight ?
Il est un fait que depuis près de deux décennies, la grande majorité des articles scientifiques en France sont rédigés en anglais - y compris les grands colloques se déroulent en anglais. Compléter son arsenal linguistique avec la langue internationale la plus cotée est donc loin d'être superflu. Outre cet argument pragmatique, il y a le bien-fondé psycholinguistique qu'il faudrait intégrer également. Les sciences du langage considèrent, en effet, qu'une fois la langue 1 (L1 ou langue maternelle/de naissance) assise, tout apport d'une langue autre (L2) est non seulement possible, mais même souhaitable. La raison en est que le développement de L1 résulte de processus naturels dès lors qu'il y a interaction sociale. L1 se met en place sans apprentissage linguistique. C'est avec L2 que l'effort d'apprentissage intervient. Cependant, il y a un seuil dans la facilité d'acquisition des langues et ce seuil se situe autour de l'âge de la puberté. En deçà, il est possible à l'enfant d'acquérir autant de L2 que possible. C'est ce que l'on appelle l'apprentissage précoce des langues. Tout apprentissage des L2 repose sur un acquis neuronal (cellules du cerveau) que L1 aura, naturellement, balisé. C'est cette matrice qui permet d'intégrer d'autres langues. Et rien ne peut effacer cette disposition neurologique. Sachant cela, il est aisé de comprendre que toute introduction précoce d'une langue naturelle est non seulement souhaitable, mais saine. On parle ici de l'anglais, mais cela aurait pu être le mandarin, le russe, l'espagnol, etc. Ces mêmes repères scientifiques nous donnent, également, la clé des échecs dans l'implantation de langues autres que les langues natives: l'exclusion de la langue maternelle de l'enfant. C'est le rejet de la langue maternelle de l'enfant au profit d'une langue non native qui est source d'échec et non pas la qualité intrinsèque de la langue. Le statut natif/non-natif de la langue cible est donc déterminant. L'arabe classique qui n'a jamais pu devenir une langue native, est présentée comme la langue de substitution de L1 au lieu de venir compléter l'arsenal linguistique de l'enfant. C'est cela et rien d'autre qui est cause d'échec de l'arabisation. Partant de cela, la solution est donc bien simple et facile: enseigner en L1 les premières années de scolarisation (le temps d'apprendre à lire et à écrire), ensuite introduire les L2 (arabe, français, anglais, espagnol, etc.). On le voit, c'est à partir d'un bilinguisme positif (où L1 est toujours présente) que toute politique linguistique peut réussir. Ce n'est que sur cette base que les autres considérations (didactiques et pédagogiques) peuvent sérieusement être prises en charge avec de grandes chances de succès. Malheureusement les débats - notamment depuis que la perspective d'introduire l'anglais est sur le devant de la scène - tournent toujours autour de la guerre des L2 au détriment des L1 (darija, taqbaylit, tachawit, etc.). Comment être soi en s'évitant/s'excluant ? *Linguiste |
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