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Il y a l'idéologie et il y
a la pierre. Quand la pierre est adossée à un culte, à une adoration, elle
cesse de devenir pierre pour se transformer en idéologie. Quand la pierre est
étudiée en tant que pierre, elle devient l'objet d'une science, d'une étude
rationnelle et elle rend possible l'histoire et l'archéologie. Donc rend
possible la destruction de l'idéologie qui se présente, non en tant
qu'idéologie, mais en tant que «vérité».
Pourquoi l'idéologie et pourquoi la pierre ? Parce que l'idéologie est postislamique et que la pierre est préislamique. Aussi, parce que l'idéologie est postcoloniale et que la pierre est précoloniale. En gros, ce qui intéresse la doxa «scientifique» et «académique», en Algérie, c'est tout ce qui possède une légitimité ayant la coloration du FLN et le goût de la religion islamique. Tout ce qui est extérieur à cette binarité n'a aucunement le droit au chapitre, n'a guère le droit d'être énoncé. Pour le dire d'emblée, ce qui n'est ni «nationaliste» ni «islamique» n'appartient pas à «notre histoire». Notre «histoire», c'est l'hagiographie fictive qui commence, au VIIe siècle, avec l'arrivée des «valeureux chevaliers Sauveurs, venus d'Arabie pour enseigner et propager la bonne foi, la bonne religion et les bonnes mœurs aux barbares d'Afrique du Nord, perdus et égarés dans le Péché». Pourquoi suis-je en train de raconter tout cela ? Un universitaire algérien, Jamel Belgacem, enseignant de Littérature comparée à l'Université de Jijel-Tassoust et auteur de plusieurs ouvrages sur la philosophie berbère d'expression latine, a découvert, non loin sa région natale, au sud de Bir el-Ater à Tébessa, un impressionnant site archéologique comportant à la fois des ruines puniques, des bains, des mosaïques et des monnaies romaines, des calligraphies arabes, etc. Avec l'aide de qui ? D'archéologues, pourrait-on dire a priori. Non. Lui, qui n'est guère archéologue de formation, a pu capter les scintillements de ce trésor antique, qui jaillissent des entrailles de la terre de la province de Numidie avec un groupe de gens, sans formation professionnelle dans le domaine archéologique et académique, mais munis d'une conscience qui dépasse celle de certains universitaires et de certains responsables de la Culture, censés veiller et valoriser ce patrimoine qui concerne non seulement la Nation algérienne, mais l'Humanité toute entière. De fait, la question de l'oubli s'impose : pourquoi oublie-t-on telle chose et non pas telle autre ? L'existence de fragments de méditerranée, d'hellénisme, d'Occident, de philosophie et de littérature gréco-latine brouille et ruinent le discours doxique de l'idéologie. L'existence de ces fragments rendent des énoncés tels que «le Maghreb arabe, l'Algérie arabe, l'Algérie seulement et uniquement islamique, les Berbères vivaient dans des grottes avant l'arrivée des Arabes,?etc.» totalement caduques, voire délirants. Pour ces différentes raisons, on organise l'oubli. Un philosophe païen numide, pourfendeur de la religion étrusque contre le christianisme, comme Félix Capella est l'apocalypse totale aux oreilles de la doxa ; un théologien de Annaba (Hippone Regius), aussi philosophe et Père de l'Eglise chrétienne est un blasphème absolu que les auteurs de manuels scolaires doivent excommunier ad vitam aeternam ; un prêtre chrétien catholique à Mila (Milev), Saint Optat de Milève en l'occurrence, qui écrit au IVe siècle, sur le sol de l'actuelle Algérie, deux Traités contre les donatistes, qui, à leur tour, sont les incitateurs d'un christianisme nord-africain, émancipé de la tutelle romaine, est l'antithèse absolue du «Tout Islam», du «Tout Arabe». C'est pour ces raisons que l'universitaire de Jijel, Jamel Belgacem, ne reçoit point de réponse aux lettres et aux communiqués adressés au ministère de la Culture. Il ne reçoit point de réponse parce ? et comme le jugent d'aucuns ? qu'il est préférable de pérenniser l'anesthésie, l'endormissement, l'amnésie. Donc l'oubli. La détresse et la révolte intellectuelle de Jamel Belgacem est une chose avec laquelle je compatis entièrement. Le même sentiment de détresse et de révolte me hante quand, dans les plus prestigieuses librairies parisienne, j'y trouve Les Noces de Philologie et de Mercure de Félix Capella, édités en neuf tomes aux prestigieuses Editions des Belles Lettres, rangés et exposés soigneusement pour des lecteurs attentifs et soucieux de Culture avec un grand «C» et non pas, comme chez «Nous», au Sud confessionnel, intéressés par les débats de sourds autour de la «Vraie Religion», par les fatwas et les excommunications, par l' «Identité arabe» intangible et fétichisée. L'arabité et l'islamité, ? comme la berbérité, l'africanité, la francité, la méditerranéité ?, sont des composantes inhérentes à notre Culture, à notre Histoire. Seulement, elles n'expliquent pas tout. Elles font partie du Tout. Elles ne sont pas le Tout. Remettons-les à leur place ! La Renaissance avait et a encore du sens parce que ses initiateurs, courageusement et lucidement, se sont tournés vers la pierre et la sculpture grecque. Afin de pouvoir remédier à notre échec civilisationnel, essayons, ensemble, de nous tourner vers les pierres qui maintiennent debout, encore aujourd'hui, les amphithéâtres de Tipaza, de Timgad, de Djemila, de Carthage et de Leptis Magna. |
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