|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Monsieur le ministre,
De nouveau, nombre de revues universitaires viennent d'être classées C (Décision n°1478 du 26 août 2019). Alors qu'elles sont, du point de vue de la grande majorité de la communauté universitaire, loin de répondre aux éxigences scientifiques et académiques minimales. Au même titre que la quasi-totalité des revues classées, lors de la session qui l'a précédée (juin 2018). Cette nouvelle salve traduit, de facon détonante, la démarche prévalant dans cette opération de classement épisodique et le niveau attendu de ces revues à travers la plate-forme dénommée ASJP (Algérian Scientific Journal Platfom). Une machinerie lourde et grinçante, entièrement dédiée au recueil de quelques prolégomènes de recherche proposés par des doctorants, dans le seul but de décrocher le sésame, sous forme de publication, exigée pour la soutenance de toute thèse de doctorat. Tant et si bien, que nombre de ces revues « classées » se sont transformées en faire-valoir, éloigné de toute considération scientifique et ne contribuant, aucunement, à faire avancer le savoir d'un iota. La direction générale de la Recherche scientifique et du Développement technologique, est la première à en faire le constat, reconnaissant publiquement depuis la création de cette plate-forme, que dans toutes les opérations de classement, la forme prime le contenu. Les critères exigés pour ledit classement sont, totalement, étrangers à toute considération scientifique ou académique.Seule la mise en forme de la revue aspirant au classement est prise en considération. Au point de friser, parfois, la caricature. Une sorte d'entreprise cosmétique, à large échelle, sans le moindre interêt scientifique mais dont l'impact négatif est lourd de conséquences sur, au moins, un double plan : 1- Depuis l'instauration de cette plate-forme, il n'existe plus de comités de rédaction, véritable cheville ouvrière d'une revue, remplacés par de virtuels éditeurs associés et de brumeux rewievers, à qui l'éditeur en chef dicte, dans la plupart des cas, le contenu du rapport d'appréciation, pour tel ou tel article, déjà pré-sélectionné et parfois assorti d'une promesse de publication écrite. Ouvrant droit à nombre de gratifications. I- Des sommités scientifiques, reconnues internationalement, sont tenues de se soumettre, aux meme titre que les apprenants, au passage obligé de la moulinette ASJP et attendre le verdict confus de quelques rewievers, scandaleusement incompétents, pour être publiés. Le statut de rewiever, réclamé avec insistance par beaucoup étant, dans la majorité des cas, juste un plus, sur un CV, pour l'avancement de la carrière. Cette pratique récurrente conforte, tout en l'aggravant, la configuration actuelle de l'Université algérienne, en donnant à lire les velléités de sa laborieuse et introuvable « recherchabilité ». Tout en mettant en exergue son incapacité à résoudre sa triple disparité : I- La séparation de corps, au sens physique du terme, de l'enseignement et de la recherche, au sein de l'Université elle-même. Alors qu'en toute logique, ils sont supposés se sustenter mutuellement, s'enrichir et se complémentariser. La réalité des faits montre qu'enseignement et recherche évoluent, depuis plusieurs années, en forme de ciseaux, rendant l'écart entre les deux lames de plus en plus ouvert. Ce qui est fort préjudiciable à la cohérence et à la cohésion d'un enseignement universitaire se nourrissant de découvertes et d'avancées épistémologiques. Ces revues béatifiées s'inscrivent en droite ligne de cette première séparation qui revet l'allure d'une abyssale béance. II- La pléthore exponentielle de structures institutionnelles qui se juxtaposent ou se côtoient sans se fréquenter. Un agrégat d'isolats budgétiphages (centres, laboratoires, unités de recherches, projets...) où très souvent les programmes, les thématiques, les sujets et les problématiques se chevauchent, se télescopent, se répètent avant de s'évanouir, sans produire la moindre connaissance à laquelle ils sont censés devoir leur existence. Des structures de recherche séparées de la moindre volonté de rechercher une amélioration de la connaissance dans le renouvellement du mode d'appréhension du réel. Une paresse de l'esprit institutionalisée. Comme le sont ces revues dites scientifiques se sustentant copieusement de la pensée balbutiante du tout venant, en situation d'apprentissage. III- La séparation de l'univers de la Recherche dite scientifique en Algérie avec l'observance d'un code déontologique minimal. Cette séparation, qui ne relève pas forcément du registre moral, revêt la forme d'un déficit éthique drastique. Ce déficit habitant durablement, la plupart des institutions ou structures, dites de recherche, à présent prolongé par la multiplication des revues dites scientifiques, dont certaines transformées en fonds de commerce, sans le moindre impact épistémologique, mais obturant lourdement le processus d'objectivation de la conscience critique et, par conséquent, la bonification du savoir académique. Cette triple séparation, à présent nourrie par une vaste entreprise d'ornementation cosmétique, aux relents buraucratiques, constitue une triple infirmité majeure, contrariant fortement l'émergence d'une Université algérienne conforme aux exigences universelles. Croyez, Monsieur le Ministre, en l'expression de l'entière considération due à votre fonction. * Professeur, Université Oran 2 |
|