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BRUXELLES - Après quatre ans de négociations, les représentants des États-Unis et de l’Union européenne ont conclu le 8 septembre un accord transatlantique destiné à renforcer la protection des données.
Cet accord baptisé Umbrella Agreement met en place un certain nombre de garde-fous concernant le traitement et le transfert de données dans le cadre de la coopération judiciaire et policière, et répond aux préoccupations européennes vis-à-vis du respect de la vie privée. Cet accord prévoit notamment le droit des citoyens européens à accéder à leurs données, et à exiger la rectification d’éventuelles inexactitudes. Il fixe également des limites claires quant à la durée pendant laquelle ces données peuvent être conservées, et quant à la nature de leur utilisation. Cet accord – qui devra être ratifié par le Parlement européen avant de pouvoir entrer en vigueur – devrait susciter le plus grand enthousiasme ; or, les États-Unis ont immédiatement donné des raisons de douter de leur engagement. Le 9 septembre, dans le cadre de l’affaire Microsoft, et un jour seulement après le-dit accord, le département américain de la Justice a demandé à un tribunal fédéral à ce que les autorités américaines puissent bénéficier d’un accès direct à des données détenues par des entreprises privées à l’étranger, y compris en Europe. Quelle que soit la décision finale de la Cour, cette démarche sape d’ores et déjà la confiance. Elle constitue en effet une démonstration publique de la volonté des dirigeants américains de contourner les instruments de coopération existants entre l’Europe et les États-Unis. Ces actions risquent de miner les efforts visant à rétablir la confiance transatlantique et consentis depuis les révélations d’Edward Snowden relatives à l’ampleur de la surveillance américaine sur les gouvernements comme sur les citoyens européens. Si le gouvernement américain entend assurer la meilleure coopération avec l’UE, il doit accepter le fait que sécurité nationale et confidentialité des données ne sont pas incompatibles. Tout refus de procéder selon les voies légales convenues scellera le sort de l’Umbrella Agreement avant même sa ratification. Deux tiers des citoyens européens s’inquiètent de la manière dont sont traitées leurs données. Neuf sur dix souhaitent une protection de leurs informations personnelles, quelle que soit la localisation du serveur hébergeant ces données. Tant que le gouvernement américain continuera de solliciter unaccès illicite aux données européennes, plutôt que d’honorer pleinement ses engagements, il sera difficile pour le Parlement européen de consentir à l’Umbrella Agreement. Et si les règles, normes, et traités existants sont traités comme s’ils n’avaient aucune valeur, les droits des citoyens de l’UE ne deviennent alors rien de plus qu’une coquille vide. Les retombées d’un tel refus de reconnaissance des droits des citoyens pourraient se révéler dramatiques, mettant à mal la sécurité nationale, les échanges commerciaux bilatéraux, le partenariat stratégique transatlantique, ainsi que la nature de l’Internet lui-même. Le risque existerait alors de voir s’ériger des obstacles aux flux de données afin de répondre aux exigences de confidentialité formulées par la majorité des citoyens, au moment même où le monde a besoin d’une libre circulation des données. À défaut, le terrorisme devient plus difficile à combattre, et la révolution numérique risque de subir un revers. Heureusement, des solutions répondant à la fois aux contraintes de sécurité nationale et aux exigences de respect de la vie privée existent. Les tentatives du département américain de la Justice visant à contourner les accords existants sont d’autant plus discutables que les États membres de l’UE sont prêts à coopérer rapidement avec les États-Unis dans la lutte contre la criminalité, dès lors que les requêtes s’effectuent correctement. Les traditions constitutionnelles sont certes différentes de part et d’autre de l’Atlantique, elles n’en restent pas moins réconciliables, comme l’a démontré la conclusion de l’Umbrella Agreement. Un juste équilibre doit être trouvé. La protection des données ne doit pas faire obstacle à l’exécution légitime de la loi, de même que la sécurité nationale ne saurait être utilisée comme prétexte justifiant l’ingérence des autorités publiques dans les libertés personnelles. L’élaboration de mécanismes garantissant à la fois les droits des individus et l’intérêt public est indispensable à l’instauration de la confiance dont dépend l’économie numérique. Bien loin d’ébranler les efforts de lutte contre le terrorisme, la création de règles délimitant clairement le rôle des gouvernements et les droits des citoyens contribue à garantir l’échange rapide d’informations entre les pouvoirs publics. Exploitons les opportunités telles que l’Umbrella Agreement pour réaffirmer toute l’importance d’une circulation des données par-delà les frontières, pour fixer des mécanismes clairs de coopération transatlantique, ainsi que pour établir des voies légales et garde-fous appropriés permettant de veiller à ce que la vie privée des citoyens européens soit respectée. La définition claire d’un cadre mutuellement accepté garantira ainsi la mise en œuvre rapide de mesures visant à appréhender les menaces de sécurité lorsque cela est nécessaire – et seulement lorsque cela est nécessaire. C’est la raison pour laquelle il est si important de bâtir une confiance et une coopération transatlantique, et c’est pourquoi tout refus de la part des Etats-Unis de transcrire les déclarations en garanties légales risque fort de se révéler contreproductif. Traduit de l’anglais par Martin Morel * Membre luxembourgeoise du Parlement européen, et ancienne vice-présidente de la Commission européenne en charge de la Justice. |
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