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Tlemcen offre cette fois une des coutumes les plus ancrées dans la mémoire de la tribu des Ouled Ourieche. Encore intacte, la stèle du marabout de Sidi Tahar témoigne de son passage à Tebouda, à deux encablures de Sebdou, où depuis le XVIIe siècle est organisée la waada. On raconte que même l’Emir Abdelkader avait assisté à plusieurs waadate sur ces lieux où la population a su garder ce patrimoine culturel. Fantasia, jeux traditionnels, folklore et autres activités commerciales agrémentent cette manifestation, célébrée chaque année en pleine saison d’automne.
Dès jeudi après midi, les gens commençaient à dresser leurs campements au lieu saint de Sidi Tahar. Des centaines de tentes sont montées et les notables accueillaient les cavaliers venus des quatre coins de l’Oranie (Aïn Témouchent, Sidi Bel Abbès, Maghnia, Ouled N’har, Ahl N’gad, Saïda, Mascara, Relizane). Le rassemblement a eu lieu la veille, bien avant le coup d’envoi de la manifestation qui a débuté vendredi et qui durera jusqu’ samedi tard dans la soirée. Le baroud accompagnait les cavalcades. Les chevaux, richement harnachés, avec leurs cavaliers habillés de gilets brodés d’or, burnous au vent, bien campés sur des selles décorées, se lancent au triple galop, soulevant un nuage de poussière auquel se mêlent les volutes de fumée et l’odeur de la poudre sortant des canons évasés des tromblons et autres arquebuses antédiluviennes. C’est la fête. Chevaux, musique, poussière et mélange d’odeurs, c’est la fantasia, la communion entre l’homme et la nature. La chevauchée est en fait bien organisée. Les cavaliers attendent en ligne au bout du terrain. Sur un ordre du chef de file, ils s’élancent au triple galop puis, sur un autre signe du chef, ils déchargent ensemble leurs fusils de façon que le spectateur n’entende qu’une seule et même détonation avant l’arrêt des chevaux. Cette fantasia, comme toutes les fantasias, draine des milliers de personnes. Il s’agit en fait, selon un anthropologue que nous avons rencontré, d’une manifestation équestre qu’on retrouve dans diverses régions d’Afrique du Nord. Cette tradition berbère, pratiquée dans tous les pays du Maghreb, consiste à simuler un assaut militaire de cavalerie. Selon notre interlocuteur, le but de l’épreuve est de terminer la course en tirant un coup de fusil en l’air, au même moment, pour n’entendre qu’une seule détonation. C’est alors l’intensité des «youyous» des femmes qui désigne les vainqueurs. LE CHEVAL, PARTIE INTEGRANTE DE LA VIE SOCIALE Dans la vie des Ouled Ourieche, comme c’est le cas dans d’autres tribus que compte la wilaya de Tlemcen le cheval fait partie intégrante de la vie sociale de la tribu. Dans cette tribu, on a toujours, depuis des siècles, monté les chevaux sans mors. Seule une cordelette autour du cou pouvait servir à ralentir ou à diriger la monture. La tribu a depuis longtemps compris que le cheval possède un mental exceptionnel, calme et explosif à la fois. Lymphatique au repos, il bouillonne dès qu’on le sollicite, c’est un faux tempérament froid allié à une véritable intelligence. Utilisé pour la fantasia, de «fantasiyya», terme arabe malgré sa consonance hispanique, qui signifie ostentation, le cheval comme le fusil sont les symboles de la virilité, de la puissance et de l’autorité. Dans ce jeu équestre, l’exercice est de montrer la parfaite maîtrise de sa bête qui exécute les ordres, se dresse, tourne en volte-face, ou esquisse des pas de danse. Plus de 156 cavaliers appartenant à plusieurs factions et tribus étaient présents pour célébrer ce mawssim connu sous le nom de waada. Les autorités locales se sont impliquées dans l’organisation pour le bon déroulement de cette waada et ont installé l’éclairage et des citernes d’eau contrôlées par la commission d’hygiène. Un service d’ordre encadré par les éléments de la Gendarmerie nationale et de la garde communale veillait au grain.Toute traditionnelle qu’elle soit, cette manifestation est cependant un bon atout touristique, donc économique. Aussi, les notables et les habitants de Sebdou, considérée comme étant la capitale des Ouled Ourieche, s’efforcent-ils de protéger ce legs avec l’organisation de festivals équestres qui contribueraient au maintien du cheval et de la culture équestre au sein de la société. LE FOLKLORE, EL GOUAL ET LES JEUX TRADITIONNELS, UN TRIO INCONTOURNABLE Lors de cette manifestation, le spectateur peut aussi découvrir les jeux de société qui existent encore grâce aux ligues, dont celle du jeu de bâton. Les combats entre les joueurs maniant avec dextérité le bâton sont saisissants. Le mawssim est également l’occasion de présenter des danses populaires dont les figures, tableaux, mouvements et rythmes ont été transmis de génération en génération. L’autre spectacle est celui du goual, le conteur, qui, au milieu d’une ronde, déroule le fil de son histoire liant souvent le passé avec ses légendes et mythes au présent avec ses réalités. Le passé donne la leçon au présent à travers la morale et/ou le trait de sagesse que conclut l’histoire. El goual dans la société algérienne est le griot africain, l’aède romain ou le barde gaulois. Il se déplace parfois de ville en ville et de village en village. Il transporte avec lui des mythes et des légendes venues d’ailleurs. Il transmet la mémoire à travers les histoires qu’il met en scène et interprète lui-même. Selon les spécialistes en culture populaire, ses paroles sont pleines de sagesse. Son art est narratif, ancêtre de ce que nous appelons aujourd’hui le monologue. Il interprète seul tous les personnages nombreux et changeants de son récit. Le goual possède un vaste répertoire de contes populaires, de romances, de légendes et d’épopées. Il interprète les personnages les plus illustres comme les plus simples en fonction du lieu et de l’auditoire. Il s’agit d’un être mystérieux et professionnel avec son art de la narration et de l’exécution du récit qui dépend parfois du lien qui se crée entre lui et son public. Le goual a recours à diverses imitations, improvisations et plaisanteries. Et il intègre souvent de subtils commentaires d’actualité. Sa mission est éducative mais également divertissante. Il véhicule des valeurs et des idées. Ses contes peuvent susciter des débats à cause des critiques ironiques. LA WAADA, UN ESPACE CULTUREL, ET ECONOMIQUE Le mawssim, un lieu de convergence de toutes les tribus avoisinantes, est aussi un espace de commerce et de transaction économique. En effet, un souk est établi pendant la période festive. On y expose toutes sortes d’objets à valeur marchande, produits alimentaires, articles ménagers, cosmétiques, vêtements… Les artisans exposent leurs produits de sellerie, burnous, djellaba, tapis, etc. La majorité des produits sont madein Tlemcen. Au souk, riche et pauvre se côtoient. Ainsi, la waada est aussi le lieu de grande charité. La ziara dans la tradition reste cependant un acte de reconnaissance au saint homme, le protecteur de la tribu contre le mauvais sort, la sécheresse et autres calamités. Les visiteurs sont en majorité des femmes qui font un pèlerinage au marabout, certaines croyant encore qu’avec la bénédiction du saint, elles parviendront à trouver un mari, enfanter d’un garçon, éloigner une concubine, se prémunir contre le mauvais œil… La dernière journée de la ziara est marquée par le maarouf, un couscous géant, et la prière au cours de laquelle on implore Dieu d’accorder à la communauté un avenir meilleur et une année prospère. SEBDOU, FUTURE VILLE EQUESTRE Sebdou se découvre une passion pour le cheval depuis presque une année. La filière commence à générer un afflux de visiteurs, au niveau d’un terrain que les responsables comptent investir avec la création d’un hippodrome, au lieu dit Sidi Tahar, où un immense espace domanial est réservé depuis longtemps à la fantasia. Les notables de la ville, se donnent à l’équitation trois fois par semaine. Une quarantaine de chevaux y sont, et l’hypothèse d’une ville équestre n’est pas à écarter, comme c’est le cas de Tiaret. Les notables veulent faire revivre les anciennes traditions qui faisaient la fierté de Sebdou, capitale des Ouled Ouriache. La tradition tient à cœur la plupart des autochtones, même si elle reste une partie du passé. Aux yeux des habitants de Sebdou, elle est beaucoup plus qu’une simple mode, celle-ci ne pouvant survivre longtemps et n’étant pas transmise de génération en génération. La tradition en est différente en ce sens qu’elle transmet toute une culture, tout un rite qui caractérisent une région et même un pays. «Cette tradition fait partie de notre culture», nous dit-on. A Sebdou, on a compris que la plus noble conquête de l’homme est le cheval, qui, depuis la nuit des temps, était partout, en temps de paix comme en temps de guerre, avec ses qualités qui sont vantées et sa bravoure glorifiée. La tribu des Ouled Ouriache, qui possède un passé glorieux, raconté même par Alfred Bel dans la Revue africaine de 1913, dans laquelle il retrace l’histoire de cette tribu, depuis la légende des Beni Habib, des troglodytes qui habitaient des cavernes témoignant du passage des premiers habitants des Ouled Ouriache. Tout au long de l’année, les cavaliers des fantasias entretiennent leurs chevaux d’une manière spécifique, que ce soit pour les soins ou pour la nourriture. Ce qui n’empêche pas chaque cavalier d’avoir ses propres secrets qu’il conserve jalousement. |
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