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Entre orientalisme et occidentalisme: L'islamophobie en Europe encore et toujours?

par Mahmoud Ariba *

2ème partie



Quand on sait en outre le nombre de fois où ces émissions sont destinées à être rediffusées en boucle, d'une chaîne à une autre en sus de la chaine-mère, l'on ne peut évidemment qu'être amené à présumer d'avance tous les incalculables dégâts collatéraux qu'elles peuvent occasionner et engendrer en semant - comme si de rien n'était- les germes de la méfiance, du doute, du repli sur soi et de la peur irraisonée de l'autre. De plus, pour «accrocher» le téléspectateur, concurrence oblige, le risque de voir ce genre d'émissions faire, à dessein, dans le sensationnel est souvent nettement accru pour ratisser large dans les graduations de l'audimat. Il ne fait aucun doute non plus que de telles pratiques ne sont pas sans effets xénophobes puisqu'une mère de famille (d'origine égyptienne), enceinte de surcroît, s'est vue récemment froidement assassinée en Allemagne -en plein tribunal- parce que tout simplement son bourreau ne supportait pas de la voir habillée comme elle l'entendait. Dans d'autres cas, des familles se voient même refuser l'accès à un logement, un emploi ou l'enseignement en raison du mode d'habillement adopté.

Dans le même temps ces médias, qui, n'ont pas manqué de se faire remarquer par un silence plus que troublant et suffisamment éloquent suite à un acte aussi odieux, ne se gênent pourtant guère de monter au créneau au quart de tour contre tel ou tel pays arabe pour peu que l'idée viendrait à l'un d'entre eux de songer à prendre des dispositions comme celles, par exemple, interdisant l'importation de boissons alcoolisées, d'équipements ou véhicules d'occasion. En ne manquant pas, ce faisant, de souligner «les répercussions néfastes» de semblables mesures sur le trafic portuaire de telle cité du Sud de la France et en ne se privant pas non plus de commentaires serrés sur une loi de finances souverainement décidée et enclenchée. Confirmant par là que seuls les intéressent au premier degré les réserves en devises alignées pour payer rubis sur ongle des listes de commandes voulues toujours croissantes et diversifiées; non pas la circulation des personnes proprement dite, qui, elle, semble déjà donner l'urticaire à bien des messires. Et autres damoiseaux requinqués derrière les jalousies fumées des nouvelles fortifications ayant pignon sur rue. Pour autant, et avec l'incertitude frappant désormais à la porte de bien des économies de l'hémisphère Nord, l'on ne dédaigne plus, quitte à transgresser frontalement une orthodoxie longtemps revendiquée becs et ongles en la matière, faire les yeux doux en direction des «bas de laine arabes» aux fins d'attirer en Europe même des investissements sous le label déclaré et/ou subitement normalisé de «finance islamique». Sans parler d'émissaires désignés pour aller sur place, le cas échéant prêcher la bonne parole et défendre des intérêts fondant comme beurre au soleil?

 Plus globalement, tout se passe donc comme si depuis que l'orientalisme a pignon sur rue (et dont il n'est nul besoin de resouligner ici, au passage, les multiples imbrications/intrications, les entrelacs superposés ou juxtaposés, les redondantes accointances et autres connivences calibrées le reliant tant explicitement qu'implicitement - comme un fourreau d'épée- à la trame constitutive ayant donné lieu à la veine/synoposis maculée, celle-là même qui fut à l'origine du projet colonial et de la formalisation du discours en dérivant) , le monde arabo-musulman tout particulièrement n'en finissait pas de faire bien malgré lui l'objet de toutes les supputations tarabiscotées et descriptions imaginables; le plus souvent sommaires, réductrices, farfelues et, bien entendu, abusivement tronquées.

Si au début du siècle dernier, conjoncture oblige et en l'absence prouvée de moyens d'investigations comparables à ceux présentement disponibles, ce furent d'abord des approches visiblement hésitantes, encore approximatives, éparses et parcellaires, il ressort que les choses semblent avoir bien évolué depuis puisque c'est quasiment une autre étape qui est maintenant abordée : des approches à grande échelle et avec un nombre impressionnant de productions et publications, de toutes sortes, de tous gabarits et de toutes natures, qui, aujourd'hui bien plus qu'hier, ne se font aucun scrupule à abuser de stéréotypes, clichés plats, présupposés et autres idées préconçues. Le «marketing» en la matière allant parfois jusqu'à imposer d'embaucher quelques plumes autochtones qui, dans un excès de zèle manifeste façon « goumiers/sherpas de service», ont pour particularité avérée de focaliser, concentrer et exagérer davantage l'attention (comme dans un accès d'amertume mal contenue) sur les non-dits, les «faux-pas», les » impairs», les «couacs» ou «fausses-notes» (selon une terminologie intentionnellement activée et diligentée illico presto à l'occasion ) en provenance de leurs sociétés d'origine, avec le secret espoir d'y gagner au change et s'assurer ainsi les faveurs de leurs sponsors attitrés pour «services rendus». D'autres «grooms», venus à la «littérature» en pagayant comme des forcenés n'en finissent pas d'exécuter, pour les mêmes fins, roulade sur roulade et déclamer parallèlement mille et une formules satinées avec l'espoir de pouvoir sans doute décrocher - un jour probable- la timbale d'un «Médicis» ou «Goncourt» délavé, octroyé/concédé pour les mêmes états de services.

Ainsi, comme du temps de la funeste et handicapante domination coloniale, l'Occident a pris coutume de mobiliser et caporaliser comme bon lui semble des «commis/porteurs» -allaités au sein «guigne» de la francophonie-, pour charger sur/dans leurs têtes ses encombrants et embarrassants fardeaux idéologiques et donner ainsi -le croit-il-, plus de «mordant» ou de «croquant» à ses vieilles et ridées thèses/litanies distillées et diffusées, en non-stop, aux quatre vents.

 Sans répit et s'en tenant quasiment à un même lancinant discours aigri et envahissant, ces mêmes souches occultes s'interrogent -en vrac- sur les causes de la recrudescence de la pratique religieuse dans le monde musulman et consacrent, subséquemment, de longues et troublantes «analyses /spaghettis» tantôt au renouveau de cette même pratique religieuse, tantôt à la montée de fondamentalismes, mouvements dits intégristes ou autres radicalismes, dont certains pourtant ont été (c'est archi-connu) élevés et gavés sous le giron direct de «chamans» , et autres «gourous», ordonnés aux puissances colonialo-impérialistes. Comme si l'obscurantisme était décidément une tare invariablement accolée, adossée, au seul monde arabo-musulman ; et que, dans le même temps au détour de ces longues analyses, biaisées ou convexes, l'histoire du monde occidental se trouvait soudain définitivement absoute ou prestement dédouanée de ses querelles amplifiées, ses sombres épisodes sanglants autant que de ses terrifiantes, brutales phases d'innommables inquisitions et autres furieux fanatismes. Aurait-on, par hasard, si vite oublié au prix de quels douloureux, pénibles et terrifiants déchirements s'est progressivement et péniblement édifiée l'Europe à travers ses diverses et successives mutations historiques? Et, en définitive, au prix de quelles violences guerrières extrêmes s'est opérée l'intégration/unification de celle-ci ? Aurait-on aussi prestement oublié les «époques où la religion chrétienne exerçait son autorité sur l'ensemble de l'Occident»? Comme si cette même Europe n'avait pas connu non plus en son propre sein des phases éminemment agitées, fébriles et troubles, dominées par de forts et bruyants fanatismes (guerres de religion, persécution des Protestants par les Catholiques, noria de bûchers, gibets et autres potences; les «rois maudits», les massacres de la Saint - Barthélemy?) et n'avait pas été en butte non plus à d'incontrôlables, débordantes et fumeuses bouffées d'obscurantisme, de radicalismes et d'extrémismes débridés.

Au demeurant, si la construction de l'union européenne (qui, soi-dit en passant, et nonobstant tous les atouts mis à l'occasion sur le plateau pour valoriser cette nouvelle identité, mijote sur le feu depuis la fin des années cinquante) ne manquait guère de justifications, au nombre desquelles le désir de faire barrage à la résurgence de tensions nationalistes ou de se conférer des gages de paix et de stabilité, les tiraillements et tangages ressentis au niveau de ce qui fait office présentement de son «vaisseau amiral» n'échappent nullement à l'observation, y compris des plus jeunes d'entre ses mousses. Cela dit, il n'échappe à personne que «la manière dont l'Europe gère ses minorités musulmanes» (ne manque pas de laisser perplexe au point de susciter, dit-on, l'étonnement d'Obama) sur la question de l'interdiction du voile lors de son passage en France; l'Amérique ne parvient pas à comprendre pourquoi Paris a banni le foulard des écoles ni pourquoi elle semble si remontée contre la burqa». (Cf. Le Figaro, 21 sept. 2009). En tout cas, l'agitation suscitée aujourd'hui autour de la burqa montre bien que le spectre de la laïcité y est bel et bien à géométrie variable et que celle ne se limite point, contrairement à toutes les «doctes» et «protocolaires» allégations sur ce sujet, au seul espace scolaire puisqu'elle étend maintenant son propre voile à tout l'espace public, y compris donc la rue, désormais soumise elle aussi au voyeurisme débridé de ses détectives et autres mouchards engoncés. Aussi, force est de relever que dans des pays s'affichant présomptueusement comme fermement attachés à des «idéaux démocratiques», l'idée même de démocratie (ou, du moins, ce qu'il en reste) n'imposerait-elle pas justement de respecter la mixité et les différences individuelles ou bien celles-ci ne seraient-elles jugées/considérées sine die comme hors-normes et fondamentalement inacceptables dès lors qu'elles se trouveraient avoir un lien quelconque (direct ou indirect), avec l'emblématique sphère de l'Islam ?

Pourquoi alors feindre de s'étonner aujourd'hui, outre mesure, de ce que d'autres sociétés, connues pour être engagées dans des trajectoires de maturation et processus de développement, selon leurs rythmes propres, mais aussi porteuses de séquelles empoisonnées directement issues de longues et aliénantes dominations coloniales, peuvent rencontrer comme obstacles, aléas, adversités ou même ,le cas échéant, de signes évidents de «flashs régressifs» (par suite, encore une fois et quitte à prendre ouvertement le contre-pied de quelques fines bouches apparemment plus promptes à relativiser lesdites séquelles en question , de meurtrissures et traumatismes pluriels ; dont ceux relevant nommément de tous les forfaits et endoctrinements, avec la somme de leurs effets successifs/cumulés, manifestement encore actifs par bien des biais et relais). Flashs qui, forcément, ne peuvent être que momentanés , provisoires, avant de pouvoir être à même de réaliser à nouveau, réussir même pourquoi pas, d'autres sauts potentiellement qualitatifs ou significatifs? A moins qu'il ne faille déduire en de pareils cas que les thèses ex cathedra et/ou sorbonnardes -si précautionneusement coordonnées, façonnées, sermonnées et ventilées à chaque occasion- ne sauraient être, en définitive, que d'un usage tatillon et/ou à saute-mouton; autrement dit valables dans un cas et expressément caduques dès lors qu'il s'agit de contextes s'affirmant radicalement différents du moule/étalon tel que référé à la culture dite occidentale?

Sans vouloir aucunement raviver outre mesure les débats en la matière, il semble pourtant évident que cette fixation plus ou moins morbide (qui ne date pas vraiment de la veille) couve sans discontinuer, comme un feu de paille, depuis des lustres. En effet, depuis pratiquement les lointaines Croisades, les velléités d'en découdre avec l'Islam sommeillent chez plus d'un blanc-bec outre-Méditerranée. Et comme chacun le sait, il s'est toujours trouvé -ici ou là- de zélés , prompts, fantasques et intempestifs hérauts (de la sphère médiatique ou d'autres cercles attenants) pour alimenter comme il se doit la braise de la polémique, en y tenant le fer bien au chaud, par des propos excités et claironnants; et dont le fin mot ne vise pas autre chose que celle d'attiser par moult stratagèmes la peur du Croissant et toutes les symboliques y attenantes et/ou jouxtantes. Les peurs irrationnelles qui traversent actuellement de part en part les sociétés occidentales n'ont pas d'autres explications que ces fictions savamment entretenues et brandies à l'emporte-pièce par des lignées de manipulateurs taciturnes et bien d'autres trublions, à la langue fourchue, qui font ce qu'ils font pour maintenir le flux tendu de telles peurs dans les imaginaires et avoir du coup les coudées franches, par le truchement de cette perpétuelle diversion, à d'autres niveaux et dans d'autres segments de la vie politique et sociale où ils continuent de marquer des points à leur plus grand profit au premier degré, en sus de celui de leur progéniture appelée à reprendre les commandes selon la logique dite des «héritiers». Comme l'on peut en juger du reste sur pièce, aujourd'hui, à la faveur de ce véritable harcèlement judiciaire fomenté contre un homme d'honneur et de principes, de la trempe d'un Dominique de Villepin, aux fins évidentes de contrer et entraver de probables ambitions en vue des prochaines présidentielles de 2012 ; et laisser ainsi -une fois de plus- le champ libre à leur candidat/joker, de la même obédience et même lignée/chenille «processionnaire». Il est d'ailleurs connu que, fort justement de ce puissant lien de rattachement, d'autres jeunots caracolent déjà dans les Hauts-de-Seine au nez et à la barbe d'authentiques spécimens du terroir. Quoi qu'il en soit, ce branle-bas de combat qui, souvent, cache mal des partis pris, des animosités séculaires(7), n'est pas sans rappeler un certain relent des vieilles pratiques des historiographes et autres pleutres ethnologues/ethnographes de la colonisation pour qui l'Islam n'était rien d'autre qu'un puissant ferment du fanatisme et de l'intolérance. Derrière des commentaires apparemment bien «saupoudrés» et «habillés» en ressources méthodologiques, et prétendument neutres et objectifs, se profile en réalité une volonté délibérée, féroce même parce que vindicativement hargneuse, de dénaturer(8) - non seulement aux yeux de l'opinion publique occidentale en particulier mais certainement aussi même celle musulmane- les hautes, fécondes et insignes qualités indéfectiblement liées aux nobles et primordiales valeurs de l'Islam. Entendre par là, cela va soi: l'Islam intégral, authentique, qui, parce que véhiculant distinctement et nommément une culture de paix et un fervent message de profonde fraternité, de franc respect et de tolérance ouverte sans discrimination d'aucune sorte en même temps qu'un message pérenne d'universalité, n'a absolument rien de commun -ni de près ni de loin- avec les mouvements sectaires/sectaristes/rigoristes d'où qu'ils soient.



A suivre

* Faculté des Sciences Sociales

Université d'Oran



Notes:

7.- « Il y a le discours sur l'Islam, savant ou ignare, chaleureux ou venimeux, qui apprend souvent plus sur l'état psychologique du chercheur occidental que sur le sujet de son étude ». Cf. ?' L'Islam vu de l'intérieur'' in Libération (France), 18 juin 1986, p. 32.

Dans une déclaration faite à l'IMA de paris, l'écrivaine saoudienne Zineb Ahmed Hafni souligne : « On a souvent présenté le monde arabe comme un monde barbare, créé des clichés souvent imaginé à distance sur des réalités travesties, alors que notre civilisation est une civilisation de savoir, de paix et de tolérance ». Cf. El Moudjahid, 27 avril 2006, p.11.

Tout comme elle ne manquera pas de rappeler aussi que « le 11 septembre 2001 sert désormais d'alibi pour appréhender l'autre, le changer à n'en pas finir. Du coup (?), le musulman au miroir des médias occidentaux est décrit avec des représentations aussi multiples qu'injustes : terroriste avéré ou potentiel, illuminé, conservateur aux antipodes de la modernité, personne décalée par rapport la société occidentale ». Idem.

8.- «Les juifs ont vécu les meilleurs moments de leur histoire avec les arabes et les musulmans ». Cf. ?'Mémoire de Constantine, dialogue des civilisations et des religions'' in El Moudjahid, 20 mai 2006, p.9..