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A travers les manifestations
historiques de chaque vendredi depuis presque trois mois, le mouvement
populaire est en train d'exprimer sa grande volonté de rupture avec un système
politique qui ne correspond pas réellement à l'Etat d'institutions. En
exprimant un «non au cinquième mandat», un «non aux responsables des 90 jours
constitutionnels qui sont censés organiser les élections», le mouvement
populaire a manifesté le désir d'un changement radical du système et d'un
passage d'un Etat d'individus à un Etat d'institutions. Tout en voulant
reprendre son destin politique, ce mouvement populaire a montré qu'il y a bien
des défaillances dans la vie politique algérienne. Il y a donc envie de fonder
une vraie république dans un Etat de droit avec des institutions fortes et une
vraie séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sans
l'interférence militaire dans le politique.
Il parait que ce mouvement populaire a dévoilé les complications du système politique algérien en montrant l'existence d'une crise au sein de ce système qui nous a été présenté pendant longtemps comme système parfait. Mais aujourd'hui, l'Etat est à l'épreuve du politique : il a suffit « d'une simple épreuve politique périodique qui est celle de l'organisation des élections présidentielles » pour se rendre compte qu'il y a un problème politique et institutionnel de grande envergure. En effet les chefs des quatre institutions que sont l'Etat, le gouvernement, le conseil constitutionnel et l'assemblée populaire nationale sont décriés par le mouvement populaire pour la simple raison que ces personnages sont les purs produits des mandats précédents. Dans ce sens, ce mouvement po-pulaire constate qu'il y a un gouvernement qui est quasi-absent, un chef d'Etat qui tarde à organiser le débat politique si prétendu et qui n'a pas désigné jusqu'à maintenant ni la commission électorale ni les juges chargés des élections, une chambre basse du parlement presque vide qui boycotte les travaux présidés par le président de cette chambre, une classe politique qui peine à se retrouver, un état-major de l'institution militaire de plus en plus interrogé politiquement, et un mouvement populaire de chaque semaine qui ne change pas le ton... La crise politique est bien en route avec comme question principale comment faire notamment pour organiser l'élection présidentielle dans les délais et avec quels candidats et quels électeurs ? D'un côté, lors de cette élection présidentielle du 4 juillet, le peuple algérien devra être souverain dans ses décisions, et maître dans le choix du nouveau président de la République qui aura à étudier plusieurs dossiers comme la révision de la constitution, la révision des lois, l'édification des institutions... D'un autre côté, il faudrait signaler aussi que les Algériens qui manifestent dans la rue depuis maintenant plusieurs semaines représentent une grande partie du corps électoral. Cela pose la question de savoir si cette partie du corps électoral va se rendre aux urnes d'ici le 4 juillet. Il est fort possible qu'il y ait un problème d'avis sur l'élection dans les conditions actuelles. En plus du risque de l'absence des électeurs aux urnes, un autre problème important est l'absence de candidats potentiels et le boycotte de cette opération de la part de l'opposition à quelques jours de la fin de retrait des dossiers de candidatures. En effet, si l'on finit par organiser une élection sans la classe politique et sans une bonne partie des électeurs, on se dirige vers une situation de désignation d'un président sans aucune légitimité et une crise politique qui perdure. Généralement, la crise politique est une phase critique dans l'évolution de n'importe quelle situation politique d'un Etat. Dans le cas algérien, la crise politique qui a été provoquée par les élections présidentielles a entraîné un mouvement populaire pour décrier le système politique actuel et fonder une République moderne... En effet, cette situation peut constituer un terrain favorable à la montée des excès ici et là, ce qui est à éviter. Ainsi, les visages politiques actuels ne peuvent pas gagner la confiance de la population en se présentant comme un fait accompli et en prenant des mesures présentées comme vitales pour se défendre d'un risque qu'ils représenteraient. Normalement, la solution de tou-te crise politique se trouve dans son diagnostic, d'où la nécessité de porter le bon diagnostic au bon moment. Mais dans le cas de la crise politique actuelle en Algérie, la solution tarde à arriver et se mettre en place, alors que le constat de la situation «saute aux yeux». Les nombreux diagnostics portés sur la crise appellent alors des solutions de nature et d'ampleur différentes, c'est-à-dire des solutions polico-constitutionnelles. Selon Jean-Michel Saussois dans son article «Les solutions de sortie de crise sont en crise» publié en 2013, la démarche à suivre pour penser la sortie de crise pourrait être celle de la bonne clairvoyance ou de la lucidité décrite et mise en valeur par plusieurs auteurs et écrivains politiques. L'appel à la lucidité pédagogique pour penser la sortie de crise est important car le dicton Romain nous enseigne que «Comprendre pour agir est le contraire de s'en remettre au destin». Ainsi, Schumpeter écrit que «le compte rendu qu'un navire est en train de couler n'est pas défaitiste. Seul peut l'être l'esprit dans lequel il est pris connaissance de ce compte-rendu : l'équipage peut se croiser les bras et se noyer. Mais il peut aussi courir aux pompes». Les hommes politiques courent aujourd'hui aux pompes avec plus ou moins d'entrain pour écoper. L'intention ici est donc de montrer que les solutions de crise sont elles-mêmes en crise, ce qui ne rend pas la tâche facile. En effet, les instruments d'expertise et d'ingénierie des solutions à la crise politique doivent être analysés en tant que ressources de légitimation des acteurs de l'action institutionnelle et politique. Selon l'analyse de Pierre Lascou-mes et Patrick Le Galès, évoquée dans leur ouvrage publié en 2005 et intitulé «Gouverner par les instruments», les instruments de l'action politique ne sont pas des outils neutres, et indifféremment disponibles. Ils sont au contraire porteurs de valeurs, nourris d'une interprétation du social et de conceptions précises du mode de régulation envisagé. Ainsi, ces mêmes auteurs soulignent que ces instruments comportent des fonctionnalités, des possibilités et participent au cadrage de l'action politique pour résoudre n'importe quelle crise politique. En définissant l'instrument politique pour la solution à la crise politique comme «un type d'institution sociale», Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès ouvrent la voie à une «théorisation politique implicite» qui doit beaucoup à une conception foucaldienne du pouvoir en termes de «technologies politiques». Comme le rappelle Jean-Yves Trépos en 2004 dans son ouvrage «L'équipement politique des passions», ces technologies renvoient à des «équipements codifiés qui visent à intervenir de façon positive et non pas seulement de façon négative dans la vie des individus». Autrement dit, les instruments proposés à la solution de la crise politique doivent convenir à la société. En outre, il s'agit de souligner que pour éviter que les solutions à la crise se retrouvent en crise, le politique doit s'inspirer du débat d'experts politiques, c'est-à-dire qu'il faudrait tenir compte des solutions soufflées. Selon Michel Callon et Alain Rip dans l'ouvrage «La terre outragée. Les experts sont formels!» publié en 1992, l'expertise politique va de pair avec la mise en place d'un «ensemble de règles et prescriptions concernant la nature et la forme des rapports entre (...) catégories d'humains...» et se définit selon l'assemblage de trois pôles : - un «pôle scientifico-technique » qui construit les savoirs ; - un «pôle socio-politique et économique» composé d'acteurs humains, avec leurs compétences, leurs projets et leurs intérêts, lieu de conflits et de débats ; - un « pôle réglementaire » renvoyant aux « procédures et règles qui constituent autant de directives ou de recommandations pour le travail des experts », la transgression de ces règles pouvant être source de litiges. Les solutions à la crise politique peuvent être appréhendées comme un outil pour apprécier les effets des actions politiques. Elles sont en effet alimentées par l'idée de «justification» qui permet de créer ou de recréer le lien entre «efficacité, démocratie et légitimité». Par ailleurs, l'idée d'assumer les responsabilités politiques est présente dans le principe de résolution des crises. Ainsi, il est souvent recommandé de faire la distinction entre les rôles politiques et techniques, et donc de séparer clairement les acteurs qui mesurent et les acteurs qui jugent. En effet, la solution politique doit s'intéresser à l'efficacité de l'Etat en matière de réformes qui dépendent dans une large mesure de la «discipline» de l'exécution des programmes d'amélioration concernés. Ceci dit, l'action à travers de nouveaux instruments politiques doit progresser et surtout doit se faire sentir sur le terrain. Il semble que la solution à la crise algérienne a besoin encore d'une véritable révolution des instruments institutionnels de l'action politique. En effet, la solution à la crise doit émerger face au diagnostic d'une incapacité des secteurs de l'Etat à répondre aux problèmes qui leur sont soumis et à s'ajuster à de nouvelles formes d'organisation politique. Il s'agit d'évoquer l'efficacité de l'Etat en différenciant les règles et la constitution, et les résultats de l'action. Dans ce sens, Jean Leca, dans son article «Ce que l'analyse des politiques publiques pourrait apprendre sur le gouvernement démocratique» publié en 1996, signale que «gouverner, c'est prendre des décisions, résoudre des conflits, produire des biens publics, coordonner les comportements privés, réguler les marchés, organiser les élections, extraire des ressources, affecter des dépenses...». En effet, l'exercice du pouvoir politique aux fins de la bonne gestion des affaires doit faire appel à plus d'efficacité dans la résolution de crises politiques. En Algérie, plusieurs questions n'ont pas encore trouvé de réponses pour faire face à la crise politique qui se dessine à l'horizon : la première est relative au maintien du processus en cours sans la prise en considération de la réalité complexe sur le terrain ; la deuxième concerne la capacité à sortir d'une approche de rejet de toutes les initiatives et le boycott de toutes les démarches y compris l'initiative de dialogue comme mécanisme valorisant, conditionnée par la présence de personnalités neutres ; la troisième question est celle de l'après 4 juillet dans le cas où les électeurs et la classe politiques sont absents et persistent dans leur position ; la quatrième question est liée au fait que la clé de la solution est entre les mains du pouvoir en place, tout en étant conscient que la crise ne doit pas durer longtemps ; la cinquième question concerne le souhait du peuple qui a fait connaître ses exigences, à savoir une véritable transition démocratique sans les hommes du pouvoir, à commencer par l'ancien Président ; enfin la question de la présence d'un agenda politique de résolution de la crise est primordiale pour stabiliser la vie politique. *Professeur-Docteur en sciences politiques ; Docteur en droit ; Titulaire d'un diplôme d'études approfondies en sciences économiques |