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Jamais le Festival de Cannes
n'a eu une aussi impressionnante affiche. Les plus grands metteurs en scène de
cinéma du monde sont attendus pour cette 72ème édition qui s'ouvre ce soir avec
un film de vampires réalisé par le New-yorkais Jim Jarmusch. Suivront
Tarantino, Almodovar, Kéchiche, Dolan, Loach, Malick, Suleïman? Chacun ramenant avec lui un nouveau film et des
victuailles de stars pour nourrir le Tapis Rouge durant 12 nuits d'affilée.
Brad Pitt et Léonardo Di Caprio ensemble main dans la main ! Al Pacino, Sylvester Stallone as Rambo V, et aussi : Tim Roth, Adam Driver,, Antonio Banderas, Pénélope Cruz, Elton John, Diégo Maradona, Réda Kateb, Matthias Schoenaerts, Alain Delon, etc, etc. Edouard Baer toujours en Maitre des Cérémonies (opening, closing). Stars d'hier et d'aujourd'hui, des petits et du grand écran, des States et d'ailleurs. Sur le papier, Cannes cette année c'est Byzance ! Byzance sans les Turcs mais avec tout le gratin du reste du monde ! Comme pour les anges de la nuit du destin on ne les verra sans doute pas. Mais l'essentiel réside dans notre foi : on sait qu'elles seront parmi nous à Cannes les stars du cinéma américain ! En cette nuit sacrée dite de l'ouverture officielle, elles prendront l'allure de vampires. C'est tout ce que sait de «The Dead don't die», le nouveau film de Jim Jarmush qui ouvre ce soir la 72ème édition avec une belle brochette de stars comme disent les Jijelis : Bill Murray, Adam Driver, Tilda Swinton, Steve Buscemi, Tom Waits. Un casting à faire réveiller les morts comme il est dit dans la belle affiche du film. Pour «Once Upon a Time in Hollywood» son neuvième et tout dernier opus, Quentin Tarantino réunit Brad Pitt et Leonardo Di Caprio ! C'est comme si dans les années 50 quelqu'un avait eu l'idée de faire tourner dans un même film James Dean et Marlon Brando. Que sait-on de ce film qui nous arrive en 35 mm à peine sorti du mixage ? Pas grand-chose sinon que ce serait vaguement la contribution au mouvement #Me 2 de l'ex-protégé d'Harvey Weinstein. Le film partirait de l'affaire Sharon Tate / Roman Polanski (si ne voyez pas - ou plus - de quoi il s'agit, google). «Il était une fois à Hollywood» est probablement le film le plus attendu par tout le monde. Or, tout le monde le sait, nous, on n'est pas tout le monde, nous sommes «Le Quotidien d'Oran où naquit la légende Kamel Daoud», c'est donc le retour d'Elia Sulaiman qui nous excite, et en tant que pro-palestiniens notoires, c'est son film «It must be heaven» que nous attendons en premier. D'où l'encadré à lui seul consacré. Sinon, quelle affiche ! Ils sont venus, ils sont tous là. Les vieux, les jeunes. Pedro Almodovar, Xavier Dolan, Bong Joon Ho, Elia Suleiman. Ils sont venus, même ceux qui ont déjà décroché la Palme d'or, Abdel Kéchiche et Quentin Tarantino Pulp Fiction et La vie d'Adèle Sans oublier Terrence Malick The Tree of Life. Ils sont venus, ils sont tous là. Même ceux qui ont déjà eu deux fois la Palme d'or Les frères Dardenne, Ken Loach Rosetta et l'Enfant Le Vent se lève et Moi, Daniel Blake. Ils sont venus, ils sont tous là Même ceux du nord de l'Italie, Y a même Marco Bellochio, le fils maudit? Qu'est-ce qui se passe, elle va mourir la Mamma ? Et si ce flamboyant Cannes 2019 était l'orchestre du Titanic plutôt que Byzance ? Décryptage - on passe en mode sérieux : la belle devise du Festival de Cannes on le sait est «Donner à voir le monde au monde dans le plus bel écran du monde». Or les nouveaux acteurs des films du 21ème siècle s'en foutent du plus bel écran du monde et des salles de cinéma en général. Comme il s'en foutent des formats et des formes. Gros conflit avec les tenants de l'ancienne économie de l'industrie cinématographique qui se battent encore pour que le passage par la salle de cinéma soit imposé aux films. C'est vite résumé, mais c'est un peu ça l'enjeu. Netflix a déjà préféré ignoré Cannes plutôt que de se plier à son calendrier protectionniste, et on voit mal Disney qui va lancer sa plate-forme avec toutes ses productions et tout le catalogue acquis de la 20th Century Fox (!) se conformer aux règles de l'ancien régime. Que va devenir le cinéma sur grand écran que Cannes célèbre année après année ? A l'heure où les Netflix, Amazone et autres plates-formes de vidéo à la demande révolutionnent les habitudes sur le plan mondial, produisant de plus en plus leurs propres fictions selon leurs propres logiques, le bon vieux long-métrage qu'on découvre sur grand écran dans une salle loin de chez soi apparaît aujourd'hui au mieux comme une coquetterie du siècle dernier. Face aux modernes acteurs des plates-formes de streaming les anciens n'avaient ces dernières années plus que des arguments d'ordre vaguement moralisant à mettre en avant. La salle de cinéma disent-ils en substance reste le seul lieu qui peut provoquer la sacro-sainte «communion» (autours d'un film), quand les nouveaux mastodontes de la révolution numérique tels que Netflix, Google (YouTube), Amazon, Apple, ne font que nous éloigner les uns des autres, pour récupérer nos solitudes, nos addictions et nos cerveaux gérés commercialement par des algorithmes, les nouveaux shitans de la société déshumanisée. Cette lecture aussi charmante soit-elle est battue en brèche par les faits. Les moments d'intense communion sont désormais provoqués par des séries comme Game of Thrones dont la huitième et dernière saison a eu un succès aussi colossal que prévisible. Son désormais historique 3ème épisode et ses records d'audiences signent définitivement la revanche du petit et des petits écrans sur le grand (et vieux). Pas moins de 17,8 millions de HBO d'abonnés en haleine le soir de la diffusion mondiale de l'épisode 3. Rien que cet épisode culte de la série culte a coûté 15 millions de dollars, autant dire le budget long-métrage one-shot à Hollywood. Pas étonnant donc qu'en Amérique les scénaristes migrent désormais sur le côte Est, fuyant autant que possible la Californie. D'ailleurs même dans l'ancien monde, celui de l'industrie des films à destination des salles de cinéma, le vent a tourné, la période où l'on disait que telle ou telle série était aussi bien réalisée que dans un film de cinéma est déjà révolue. Désormais ce sont les films de cinéma qui essaient d'intégrer les nouvelles formes de narration introduites par les séries. Le studio Marvel cartonne actuellement dans les pays qui possèdent encore des salles avec «Avengers : Endgame», un film pensé, écrit et réalisé à la manière d'une (bonne) série tété d'aujourd'hui. La fin du cinéma en salle ? Le président du Festival Pierre Lescure écarte cette idée «On avait dit la même chose et déjà prédit la mort du cinéma quand la télévision a pénétré dans tous les foyers. Pour les plates-formes de streaming, c'est la même chose. Le cinéma continuera sur grand écran». On n'attendait pas un autre discours de la part de celui qui préside le plus grand festival des films projetés sur grand écran, comme on n'attendra pas que le roi d'Arabie vienne nous annoncer la fin salvatrice de l'or noir, aussi pollueur et maudit soit-il. Notons au passage qu'à partir de cette année le film de clôture ne s'appellera plus le «film de clôture», le Festival de Cannes nous informe que désormais cette projection lors de soirée du Palmarès s'appellera la «Dernière séance», comme le film de Peter Bogdanovich et comme la chanson d'Eddy Mitchel. La dernière séance, effectivement? Nous autres qui aimons encore voir les films en grand dans une salle de cinéma serions donc une espèce en fin de règne, une parmi le million en voie de disparition ? Espèce forcément protégée et choyée par le festival de Cannes. Cannes et son tapis rouge, ses flashs, paillettes et stars. Cannes, de fête en fête, toute une légende savamment entretenue. Cannes, ses salles de cinéma, temples magnifiques. L'écran panoramique du splendide Auditorium Louis-Lumière (2400 places), et sa sono extraordinaire. Et juste à côté, la belle salle Claude Debussy (1000 places) si chère à Jean-Luc Godard. Et enfin, Cannes et sa programmation égalitaire qui permet à un film fauché venu d'un pays du bout de monde d'être vu et jugé dans les mêmes conditions qu'une superproduction américaine. L'enfant terrible des grands studios américains, Quentin Tarantino, est sélectionné au même titre qu'un cinéaste indépendant comme l'Américain Ira Sachs qui représente plus Sendance que Hollywood. De même le jeune cinéaste roumain Corneliu Porumboiu - après s'être fait remarquer dans les autres sections de Cannes avec ses précédents films - aura cette année les mêmes honneurs de la compétition officielle qu'un vétéran comme Pedro Almodovar. Autre bonne nouvelle, l'Afrique est de retour en compétition officielle avec le film de la Franco-Sénégalaise Mati Diop. La fille du musicien Wasis Diop et nièce du réalisateur Djibril Diop Mambety aborde dans son premier long-métrage «Atlantique» le problème des harragas de Dakar. L'effet #me2 ayant été bien intégré par le Festival de Cannes, les femmes y sont un peu plus présentes. Pour ne parler que du quota français, pour un Arnaud Desplechin habituel, l'entrée de deux réalisatrices : Justine Triet et Céline Sciamma. Autre primo-arrivant Ladj Ly, le réalisateur français black de la bande des fils à papa de Kourtrajmé (Romain Gavras / Kiki Capiron / Mouloud Achour), sélectionné avec un premier long-métrage tourné dans une banlieue "sensible" comme il est dit pudiquement. Avec ses «Misérables», Ladj Ly participera à la course aux palmes au même titre que son compatriote Abdélatif Kéchiche, qu'on peut considérer déjà comme un vieux de la vieille. Autrement, l'Italie, la Chine et le Brésil sont bien présents, mais pour une fois le Japon, le Mexique et l'Iran n'ont aucun film en sélection officielle. Hors-compétition on nous annonce un film sur Elton John et un autre sur Diego Maradona, en leurs présences cela va de soi, de quoi donner à manger aux paparazzis. Dans la sélection parallèle Un Certain Regard (où se joue le match Algérie - Maroc en mode dames - lire ci-dessus), à noter aussi un film d'animation de Zabou Breitman et Eléa Gobé Mévellec, «Les Hirondelles de Kaboul» d'après le roman éponyme de Yasmina Khadra. Khadra sur le tapis rouge ? S'il vient en haïk blanc, ça fera drapeau algérien ! Enfin, La Semaine de la Critique (où se joue le match Algérie - Maroc catégorie messieurs - lire ci-dessus itou) et la Quinzaine des Réalisateurs (avec un Tunisien très attendu) promettent monts et merveilles avec leurs films sélectionnés. On verra, on verra? En revanche on peut d'ores et déjà saluer la très belle sélection des vieux films récemment restaurés de la section Cannes Classic. «Shining» le chef-d'oeuvre de Stanley Kubrick sera présenté par Alfonso Cuarón en séance de minuit, et pour les 50 ans du masterpiece «Easy Rider» du regretté Denis Hopper, Peter Fonda viendra nous montrer à quoi il ressemble aujourd'hui. Luis Buñuel est par ailleurs à l'honneur avec trois films et Alain Delon recevra une Palme pour l'ensemble de sa carrière. Voir Delon de près est donc possible cette année. Mais serions-nous capables de le reconnaître aujourd'hui ? |