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Après «Les Jours d'Avant»,
moyen-métrage remarqué et primé, l'Algérois Karim Moussaoui
revient avec «En attendant les hirondelles» un premier long-métrage en trois
chapitres/ trois histoires qui se déroulent dans l'Algérie d'aujourd'hui.
Projeté hier en avant-première mondiale dans le cadre d'Un Certain Regard,
c'est le seul film algérien retenu par le Festival de Cannes. Un film réussi
selon notre envoyé spécial.
Dans la tradition arabomusulmane on dit qu'à 40 ans l'homme atteint l'âge de la sagesse. Le cas Karim Moussaoui confirme ce diction. Dans «En attendant les hirondelles», le réalisateur pose un regard calme sur l'Algérie contemporaine. Un regard calme pour reprendre le titre de l'essai de référence sur la décennie noire écrit par Akram Belkaïd. La formule est belle, mais que signifie-t-elle au juste ? Le calme ici est le moment terrifiant où l'on découvre dans le silence l'ampleur des dégâts après une catastrophe, c'est la vie qui reprend peu à peu dans un champ de ruines, c'est nos pas qui essayent de se frayer un chemin dans un champ de mines. «En attendant les hirondelles» marque une rupture fondamentale avec tout ce qui a été fait dans le cinéma algérien. Un film de rupture qui paradoxalement traite de la difficulté sinon de l'impossibilité de rompre avec son passé, son milieu, sa culture ? Absolument. Sur le plan strictement idéologique le film dynamite toutes les grilles de lectures habituelles, le malaise que filme Karim Moussaoui concerne tout le monde en général et n'accuse personne en particulier. D'une manière ostentatoire le film implique toutes les classes sociales: la bourgeoisie citadine ( premier volet de l'histoire), les classes moyennes provinciales (deuxième volet) et les classes démunies rurales (troisième et dernière histoire de ce film). Cette miniaturisation de l'histoire contemporaine algérienne en trois tableaux refuse obstinément d'opposer les classes sociales entre elles, comme elle refuse de sombrer dans la dualité entre les vieux et les jeunes ou les ruraux contre les citadins. Du reste, le film ne cherche pas à isoler une cause qui serait originelle au spleen qui nous habite collectivement. Karim Moussaoui ne démonte personne, ne démontre rien, il se contente de montrer quelques fragments de nos vies bousculées à l'heure d'aujourd'hui. Un seul héros, le malaise post-traumatique pourrait-on dire, sauf qu'à la manière du poète, le réalisateur sait aussi traquer ce qui est beau dans le spleen. Confrontés à des choix impossibles, les personnages de Karim Moussaoui tentent par tous les moyens d'échapper à la fatalité pour tenter d'imposer leur singularité, pour exister en tant qu'individus, pour vivre intensément. Cela donne au final un film sincère et inconsolable comme le sont les protagonistes des trois histoires. Mourad (Mohamed Djohri), le vieux prometteur immobilier doit-il intervenir quand il assiste par hasard à un violent règlement de comptes dans un terrain vague ou mieux vaut ne pas s'en mêler? Peut-il se permettre de mettre en péril sa propre entreprise et sa propre famille en envoyant balader les mafieux qui lui passent des commandes avec des pots de vins de plus en plus importants à chaque fois ? Les jeunes amoureux de la deuxième histoire du film sont-ils prêts à s'émanciper quitte à sacrifier le confort familial ? Enfin Dahmane ce médecin qui n'a pas renoncé à la possibilité d'une ascension sociale peut-il imaginer une vie de bonheur quand il a connu l'horreur de la guerre civile ou sera-t-il toujours rattrapé par ce passé ? Dans ce film étrange et déstabilisant, Karim Moussaoui filme les lieux avec la même intensité que les personnages qui les parcourent ou les habitent, nous laissant seuls devant ce casse-tête existentiel, tout à la fois antonionien et camusien: de l'influence de la terre splendide et accidentée de notre beau et infernal pays sur nos comportements psychotiques. Et vice-versa, ces routes mal finies qui mènent au pays profond, ces gargotes à vous envoyer aux urgences, ces maisons qui poussent de partout et qui ne sont achevées nulle part, nos marchés bondés et nos hôtels vides que le réalisateur filme avec minutie, jusqu'à quel point sont-ils le reflets de nous mêmes et de nos âmes torturées? D'une intrigue à l'autre Karim Moussaoui trouve une distance étonnamment empathique pour embrasser aussi bien la ferveur d'une société en pleine reconstruction que la singularité des individus décomposés qui la composent. «En attendant les hirondelles» est un premier film qui ne roule pas les mécaniques, il a aussi les défaut de ses qualités, ce qui laisse beaucoup de marge pour les prochains films du réalisateur. On soupçonne que Karim Moussaoui et sa co-scénariste Maud Ameline aient été tentés d'abord de mixer les trois histoires avant de se résoudre à les enchaîner l'une après l'autre d'une manière simple, ce n'est pas plus mal- les scènes de passage d'un chapitre à l'autre ne sont pas les plus réussies du film par exemple. Mais en définitive le film nous emporte avec lui et nous tend une main pour sortir, nous aussi, du confort de l'auto-dénigrement systématisé. Ainsi donc des comédiens qu'on a vu si mauvais dans d'autres films se révèlent ici très justes et souvent émouvant. Mention spéciale à Mohamed Djouhri et à Mme Sonia. Bravo à Nadia Kaci qu'on pensait perdue à jamais à force de la voir si maladroite dans les très mauvais films qu'elle a tourné récemment. L'autre bonne nouvelle c'est que Mehdi Ramdani passe très bien de l'adolescent mignon au jeune premier «bogoss sans s'mir". Chawki Amari abonné au rôle de père bourru de deux enfants qui lui échappent est tout a aussi crédible que dans ses précédentes apparition. Mais il y a une révélation dans ce film: Hassan Kechach, excellent jusqu'au trouble et franchement génial dans le rôle complexe de Dahmane. |