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Il n'est pas dans l'insuffisance. Il n'est plus un nombre défaillant, ni
un déficit de classes. Il ronge cependant la manière d'acquérir un savoir, la
bonne façon de construire. De l'asphalte à l'étanchéité.
« Après les efforts consentis dans la disponibilité des infrastructures, il faut se concentrer dorénavant sur la qualité de la formation et améliorer les résultats des épreuves de fin de cycles », disait la ministre lors de sa récente tournée à Batna. Comment le faire ? De réformes en réformes, le système éducatif s'est figé dans un mouvement paradoxal d'inertie. Il semble avancer quand il recule ou fait le sur-place. Il est fait d'expériences hasardeuses et irréfléchies. Des commissions de réformes aux cellules de réflexion, l'école peine à sortir sa tête du brouillon qui l'enveloppe. A moins que l'on soit excessif dans l'ambition de vouloir voir l'école fabriquer le meilleur produit, le meilleur citoyen, le meilleur futur. Restant sur sa faim de savoir, un élève est contraint de recourir à ce genre d'extrapolation didactique. Il est sous l'impératif de faire des « cours de soutien ». Notamment en phase de classes d'examen. Devant une telle situation inédite par le passé, les milliers d'âmes enfantines sacrifiées sur l'autel des multiples expériences pour les multiples réformes ne vont pas pardonner le méfait subi. Si le directeur de l'Education nationale fait ces cours à ses enfants, le ministre envoie les siens à l'étranger, les friqués dans des lycées privés, d'ici ou d'ailleurs. Reste cette école publique envers qui tout le conglomérat social, avec ses tares et ses insouciances, jette l'incertitude des lendemains de sa progéniture. L'école algérienne est forée de toute part. Des failles surgissent à chaque rentrée, à chaque changement de portefeuille ministériel. Le mal est dans la maison et dans ses périphéries. De l'intérieur, le mal surviendrait de ses patrons, de leurs employés, de leurs auxiliaires. De l'extérieur, d'eux aussi et d'autres acteurs ayant intérêt à saper la chose publique. Prédateurs, inciviques, gloutons, certains ne cherchent dans le jeu des grèves, de l'impasse et des crises, que de s'approcher davantage des cercles du pouvoir et montrer bonne face. C'est parfois dans la grogne que l'on se taille un statut lorsqu'on n'a pu le faire ès matière. Son mal est certes subi par ses enseignants, mais en fait, ce sont les enfants qui souffrent davantage. Si le ministère prend un coup de froid, le prof toussote, voilà que l'élève s'alite, grippé et fiévreux pour voir mourir à longueur d'année son école. «Si j'étais ministre, je leur accorderais tout ce qu'ils me demandent, sauf de ne pas faire pour chacun un contrat de performance». Belle idée ce contrat ! Allez les gars ! Ce contrat aura l'avantage de constater le mérite de chacun. L'échec accumulé est maintenant partagé par toute l'organisation, alors qu'en vertu d'un tel type de contrat, tant la force que la faiblesse sera individualisée et personnalisée. Si un prof de philo n'arrive pas à faire obtenir par ses élèves une moyenne dans la moyenne de sa classe, le vice est vite repéré. C'est dans ces conditions de haute performance, tel qui semble se faire avec ces mêmes « enseignants » dans des institutions privées ou spécialisées, que l'on aura à jauger la capacité de tant d'expérience. L'on exige ce que l'on n'a pu remettre en assurance de contrepartie. L'obligation de résultat devrait en effet être un corollaire raccordé pour toute autre libéralité. Chaque mérite est censé être assis sur un effort. A regarder, dans les lointaines souvenances, nos maîtres, nos pions, nos surveillants, nos censeurs et nos proviseurs, la mémoire retient à cet effet que nous développions l'envie d'être comme eux, d'avoir la même étoffe, le même punch, la même démarche, l'identique comportement. Toute cette culture d'être, cette haute personnalité, la leur, cet orgueil positif nous embarquaient dans les rêveries les plus suaves. On voulait à l'époque les imiter, les calquer. Ils étaient des modèles impérissables pour nos pauvres crânes de chérubins et de potaches. Les nôtres ne connaissaient pas le régime indemnitaire, comme nous, nous n'avions pas le transport scolaire. Il n'y avait pas d'association de parents d'élèves, mais il y avait des parents tout court. Il n'y avait pas de réformes de l'école, mais l'école tout simplement. La grande éducation nationale. Je crois qu'en ces temps-là, la sentence de Paul Valéry était de mise lorsqu'il disait que « l'école dispense l'instruction, l'éducation est une affaire de société ». Les gamins dans les écoles ne croient plus ce qui s'affiche comme ponctualité ou authenticité dans cette instruction « civique » qu'ils ingurgitent mal. Le nationalisme n'est qu'une corvée dans la levée rébarbative des couleurs nationales. Le maître n'est un modèle à suivre ou un maître à penser. Il n'arrive à inspirer personne, parmi ses élèves. Qui de nos enfants ou petits-enfants nourrit actuellement le rêve de ressembler à son instituteur ou à son proviseur ? Le voyant mal luné, rouspéteur, geignard, chicaneur, ils apprennent à l'être à leur tour. Seule importe cette note assurant un passage ou un succès. La violence lycéenne serait un résultat d'une mémoire visuelle et une autre expression plus vindicative face à un cliché d'une grève ou une image d'une fermeture de portail. L'émeute de demain est ainsi embryonnée ce jour. L'émeutier de demain est sur les bancs de ce jour. L'école s'est transformée en un parti où l'esprit révolutionnaire n'est qu'un repos. Une ineptie. L'école n'est pas Benghebrit. Elle est une sculpture de ses artisans. C'est une nation qui se cultive dans le champ des cartables à l'aurore des portails et à chaque intermittence de cloche. Dans chaque écolier, l'on soupçonne croître un futur gréviste, un coupeur de route ou un mauvais sous-ministre ou un quart de wali. Loin d'être dans la mission d'un conseil scientifique, un syndicat est une association fédérative qui défend des « intérêts » socioprofessionnels communs. Pas plus. On ne crée pas des droits, on les revendique, à moindre mesure, on les suggère. Comme les obligations, l'on s'y astreint tout en feignant de s'y faire et à moindre mesure, on tente de les minimiser. On n'a pas idée à vouloir s'immiscer dans le fonctionnement des rouages de l'employeur. Si comme le syndicat de Naftal s'aventure à philologuer sur les espèces d'huiles à mettre sur le marché local, les prix de cession, la politique de commercialisation, le processus de raffinage. On doit savoir s'arrêter là où s'arrête la mission existentielle. Sans ça, une nouvelle forme d'autogestion est prête à s'instaurer. Et que font ces associations dites de parents d'élèves ? Apporter de l'eau au moulin de l'école quand la source est tarie. Réparer des plafonds ou des planchers, du mauvais éclairage, voire jouer un rôle de bricoleur devant une incapacité d'entretien municipal. Parfois, cette association est doublement représentée. Il y a un en deux. Un enseignant et parent d'élève. Faudrait-il penser à lever l'amalgame ? Enumérer les cas d'incompatibilité ? A creuser, mais d'emblée le combat est perdu. Ce sont ces parents qui doivent être en étroite communion avec l'établissement. Ils constituent ainsi le « syndicat des élèves » et sont un élément capital au sein de la communauté éducative. Leur rôle, leurs droits à l'information, à la concertation, à la participation active de la vie scolaire serait d'un appui conséquent si l'organisation venait à connaître un lifting attributionnel. L'école algérienne doit revenir à une mission simple et banale. Elle doit garantir, par voie de transmission des connaissances, les acquisitions et les méthodes de compréhension. C'est l'élève qui doit être dans le cœur du métier scolaire et c'est à l'Etat qu'échoit ce devoir constitutionnel. Il est ainsi adoubé, voire chargé d'un double effort : d'Etat instructeur et éducateur. Il aura certes à imposer des contenus conformes aux idéaux communs mais devra encourager l'esprit critique et le sens de l'analyse. C'est partant de cette optique que certains observateurs croient savoir que l'état actuel de notre école n'est en finalité qu'un dessein inavoué d'un système qui craint de son développement. Ainsi, l'efficacité d'un système éducatif dépend en grande partie de cette volonté politique. Ce politique qui voit le marasme évoluer chaque jour, qui le regarde sans mot dire, qui croit se surprendre à chaque grève, ne semble pas se soucier de ses obligations de sitôt. Autrement dit, la fièvre qui agite en permanence l'école publique est d'origine statutaire, de fonction publique, de carrières et d'indemnités qui, dans leur globalité, ces pathologies ne dépendent pas des compétences du ministre du secteur. Ce qui lui faisait dire « qu'elle n'est pas ministre du Travail, mais de l'Education nationale ». Que fait le gouvernement ? Une école est responsable devant la multitude des problèmes sociaux et des nouvelles exigences. L'accélération intempestive des besoins en instruction avec les nouveaux défis technologiques et de langues et l'évolution rapide de la société fait que tout le monde attend énormément de choses de l'école. Instruire, éduquer, former, lutter contre la violence, la drogue, la déperdition sociale, former le citoyen, octroyer l'instinct civique, enraciner les constantes nationales, glorifier le patriotisme sont autant d'objectifs que l'on ne peut atteindre par le seul regroupement d'un maître, d'un élève et d'un programme. Cette sainte trinité est obsolète. La société, par son net, ses médias, ses télévisions, ses démissions familiales, ses influences, ses faux modèles de réussite, la dépasse. La rue, par ses indifférences, ses anonymats, ses réalités, l'écrase. Que faire ? La renouveler, la remodeler, la mieux penser pour la mieux refaire ? Le mal scolaire est ce mal qui gangrène tous les étages. De l'asphalte à l'étanchéité. |