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Aujourd’hui, c’est la journée de l’Europe. Dans cette interview, madame Laura Baeza, chef de la Délégation européenne en Algérie, en fait le point mais répond aussi à des questions relatives à la coopération avec l’Algérie et d’autres d’ordre international. Le Quotidien d’Oran: Cela fait 30 ans que la Commission européenne a ouvert ses portes à Alger. Cette présence a-t-elle été fructueuse ? Madame Laura Baeza: En effet, nous pouvons l’affirmer ! Depuis 1979 les relations UE-Algérie se sont beaucoup développées. Depuis le premier Accord de coopération, nos relations ont évolué vers un Accord d’association qui établit un véritable partenariat et englobent tous les domaines: politique, économique, commercial, social et culturel, ainsi qu’une dimension régionale de la coopération. Le montant total des financements mis à la disposition de l’Algérie dans le cadre de notre coopération économique durant toute cette période a été de 1.624 millions d’euros (156,71 milliards de DA), se répartissant entre dons de la Commission européenne et prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI). Ce volume de coopération a nécessité un effort constant de notre Délégation à Alger pour appuyer le gouvernement algérien dans la mise en oeuvre des projets qui en ont découlé. Aujourd’hui, le volume de projets en cours, c’est-à-dire ceux qui ont débuté mais ne sont pas encore arrivés à leur terme, est d’environ 500 millions d’euros (48,25 milliards de DA) Q.O.: Si du côté européen, l’on considère que l’Algérie n’a pas toujours répondu présent à la coopération avec l’Union européenne notamment dans ses programmes Meda, du côté algérien, l’on pense que ce qui lui est généralement proposé ne prend pas en considération les spécificités de son économie. Partagez-vous cet avis ? L.B.: Au contraire, la capacité d’absorption des fonds de l’UE en l’Algérie est en constante amélioration et a atteint de bons niveaux. Et cette bonne absorption a été possible grâce à une étroite coopération avec les autorités algériennes concernées. Bien évidemment, pendant les années du terrorisme nous avons eu quelques difficultés à mettre en oeuvre nos programmes. Ces dernières années, la Commission européenne a modifié ses procédures de mise en oeuvre de la coopération, qui sont devenues plus contraignantes. Une période d’adaptation est donc nécessaire. Mais nous pensons que tout rentrera dans l’ordre bientôt. Et je ne partage pas l’avis qui prétend que notre coopération ne prend pas en compte les spécificités de l’économie algérienne. Notre coopération est basée, justement, sur vos spécificités et vos besoins. Et je vous rappelle que c’est le gouvernement algérien qui établit les priorités de cette coopération. Q.O.: Pensez-vous aujourd’hui que la coopération entre les deux parties doit être repensée pour s’adapter aux exigences de l’une et de l’autre partie notamment dans cette conjoncture de crise financière mondiale ? L.B.: L’UE n’a pas l’intention de revoir à la baisse les montants de notre coopération extérieure suite à la crise financière. Nous avons même l’intention d’augmenter l’allocation budgétaire destinée à l’Algérie pour la période 2011-2013. Nous sommes maintenant occupés à discuter avec les autorités algériennes sur les priorités de notre coopération à l’avenir. Q.O.: L’Accord d’association qui lie l’Algérie à l’Union européenne a fait beaucoup de mécontents, du moins du côté algérien. L’évaluation de sa mise en oeuvre confirmerait-elle des résultats susceptibles de répondre aux aspirations de cette catégorie d’acteurs dans l’économie algérienne ? L.B.: L’évaluation est en cours. Nous avons commandé une étude qui sera prête vers la fin 2009. Les résultats de cette étude nous serviront à adapter notre coopération en conséquence. Mais il ne faut pas regarder l’Accord d’association d’une façon réductrice, en se focalisant que sur le domaine commercial. L’Accord signifie une coopération étroite dans tous les secteurs. Depuis son entrée en vigueur, nous avons eu vingt et une réunions de travail UE-Algérie, certaines à niveau ministériel, qui ont traité des questions politiques (justice et affaires intérieures, migration, visas), économiques (commerce, industrie, services, douanes, transport, énergie, agriculture, pêche, environnement) et sociales (affaires sociales, société de l’information, recherche, innovation, audiovisuel, culture, éducation). La coopération dans tous ces secteurs marche à bon train et nos administrations respectives développent des synergies importantes. Q.O.: Au fait, percevriez-vous des changements économiques ou commerciaux importants en Algérie, conséquents à la mise en oeuvre de cet accord ? L.B.: C’est un processus graduel. Les changements ne peuvent pas se réaliser du jour au lendemain. Le gouvernement algérien fait un effort préparatoire important. Les résultats commenceront à être perceptibles une fois les réformes mises en place. Il faut aussi penser que nous sommes en période de transition en ce qui concerne la zone de libre-échange prévue par l’Accord. Le libre-échange complet ne sera effectif qu’en 2016. Nous devons donc mettre tout notre savoir-faire à la disposition de l’Algérie pour l’aider à réaliser les adaptations économiques nécessaires. Cela dit, certains résultats étaient déjà perceptibles avant le commencement de la crise économique mondiale à laquelle nous assistons aujourd’hui. Par exemple, les produits industriels algériens exportés en exonération totale vers l’UE grâce à l’Accord ont enregistré en 2008 une hausse de 37,01% par rapport à 2007. Depuis 2005, plus de 250.000 emplois ont été créés en Algérie grâce aux Investissements directs étrangers (IDE). De toute évidence, 2009 ne sera pas une bonne année en ce qui concerne les IDE, car beaucoup d’entreprises sont en faillite, ou en difficulté, ou essayent simplement de maintenir le cap en attendant des temps meilleurs. Il faudra attendre la reprise économique pour assister à leur relance. Q.O.: L’Union européenne rappelle à chaque occasion son respect de la libre circulation des marchandises alors que les hommes d’affaires algériens estiment qu’elle ne leur permet pas de placer leurs produits sur les marchés de ses pays membres. Ce reproche est-il justifié ? Cette fermeture relèverait-elle d’une question de non respect de normes commerciales par les Algériens ou celle d’une Europe qu’elle justifierait par d’autres raisons ? L.B.: Comme les statistiques le prouvent, nombre de produits industriels algériens ont déjà plein accès au marché européen. Ceci veut dire qu’une partie du tissu industriel algérien a réalisé les adaptations nécessaires relatives à la normalisation commerciale. Malheureusement, la crise économique est en train de provoquer maintenant une baisse de la demande. Mais les entreprises algériennes pourraient utilement profiter de cette période d’incertitude mondiale pour se mettre à niveau en ce qui concerne les normes et standards obligatoires pour l’exportation vers l’UE de leurs produits agricoles, agro-alimentaires et industriels, de façon à pouvoir profiter pleinement de la reprise économique. Q.O.: Dans la dernière Feuille de route d’accompagnement de l’Accord d’association, il est noté, je cite: «il convient d’assister l’Algérie dans ses avancées vers une économie de marché fonctionnelle et compétitive notamment à travers des actions concrètes de coopération financière». Comment se traduit cette assistance au plan pratique en particulier pour ce qui est du cadre macroéconomique et des réformes structurelles ? L.B.: Notre coopération économique avec l’Algérie est centrée sur trois importants volets: l’appui à la transition économique, l’équilibre socio-économique et l’appui à la société civile, l’éducation et la culture. Dans le cadre du volet d’appui à la transition économique, nous nous sommes concentrés principalement, et à la demande du gouvernement algérien, sur la modernisation et la réforme de l’administration, sur le management de l’économie, sur la facilitation du commerce, sur l’appui aux PME, sur la diversification de l’économie et sur l’appui à la mise en oeuvre de l’Accord d’association. Q.O.: Au titre de la politique commerciale, l’Union européenne rappelle, je cite: «l’objectif commercial prioritaire est l’adhésion rapide de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC)». L’UE est tenue par une déclaration contenue en annexe de l’Accord d’association, «de fournir toute l’assistance technique nécessaire à cet effet». Les Algériens pensent que ce n’est pas le cas. Qu’en pense alors la Commission européenne et qu’est-ce qui est fait concrètement dans ce sens ? L.B.: Dans le cadre de notre programme d’appui à la facilitation du commerce, une assistance technique à long terme spécialisée dans les questions relatives à l’OMC a été mise à la disposition de l’Algérie. Comme vous le savez, l’UE soutient activement l’Algérie pour l’adhésion à l’OMC. Nous souhaiterions à ce stade un rythme un peu plus soutenu des négociations, car nous sommes convaincus que celles-ci ont atteint un niveau où nous pourrions avancer rapidement, principalement en ce qui concerne les services. Q.O.: Les observateurs estiment que ce sont les Etats-Unis et même l’Europe (pour ce qui est notamment du prix intérieur du gaz) qui bloquent cette adhésion. Pourtant, la réglementation commerciale en matière de protection des économies nationales est claire. L’Algérie ne serait-elle pas dans cette catégorie de pays qui auraient le droit de protéger leur économie par des mesures qu’ils jugeraient adéquates ? L.B.: Comme je viens de vous le dire, l’UE soutient activement l’adhésion de l’Algérie. Et que je sache, la question du prix interne du gaz ne pose plus problème, l’Algérie ayant prouvé que celui-ci respecte les dispositions internationales concernées. Q.O.: En matière d’énergie, l’Europe est à la recherche d’un partenariat stratégique avec l’Algérie. L’UE propose pour cela la poursuite des discussions sur la base du Memorandum of Understanding sur la coopération dans tous les secteurs de l’énergie. Mais l’on sait qu’elle n’apprécie pas vraiment les termes retenus à cet effet, par le côté algérien, qu’on croit même savoir qu’elle juge «trop évasifs». Pourriez-vous nous éclairer sur ce dossier ? L.B.: Ce n’est pas l’avis de la Commission. Nous pensons que les termes sur lesquels nous sommes en train de discuter constituent une bonne base pour établir une coopération durable, établie sur la base d’une confiance mutuelle. Q.O.: L’Europe est d’accord pour poursuivre les objectifs retenus au titre du fameux chapitre «Justice et affaires intérieures». Où en sont-elles quand on sait que l’Algérie n’a jamais été satisfaite de la gestion européenne de la libre circulation des personnes pourtant consacrée dans, entre autres, l’Accord d’association qui l’a lie à l’UE ? L.B.: Ce que prévoit l’Accord d’association c’est une application diligente des formalités de délivrance des visas. Et il y a eu une nette amélioration dans ce sens par certains Etats membres qui ont adopté des méthodes plus rapides à cet effet. Mais il faut comprendre que la libre circulation des personnes a toujours été une matière sensible au sein de l’UE. Même les pays qui adhèrent à l’UE doivent respecter des périodes transitoires en la matière. Q.O.: Ces dernières années, l’émigration clandestine est devenue la priorité première de l’Europe. Ce qui n’est pas le cas pour les pays de la rive sud à commencer par l’Algérie. Y aurait-il des changements dans l’approche européenne qui pourraient susciter une réelle coopération entre l’une et l’autre rive sans pour autant que l’une considère l’autre comme étant une zone tampon pour bloquer ce phénomène ? L.B.: Que je sache, la priorité première de l’UE est la lutte contre la crise économique et la promotion de l’emploi. Cela dit, l’UE a, surtout maintenant, une capacité limitée en matière d’absorption de travailleurs étrangers. L’immigration clandestine ne constitue pas seulement un problème social, mais alimente les circuits informels de l’économie et le crime organisé. Et ceci va à l’encontre des intérêts généraux des migrants légaux et des citoyens européens. Il est normal que nous luttions contre ce problème. Et il est aussi normal que nous collaborions dans cette lutte avec les pays de transit ou d’origine de cette immigration clandestine. Q.O.: Le Parlement européen se prépare à des élections au mois de juin prochain. La Commission européenne s’attend-elle à une nouvelle configuration de sa composante ? Lui prépare-t-elle de nouveaux projets de lois ? Si oui, en quoi consisteraient-ils ? L.B.: Cette année, le Parlement européen célèbre le trentième anniversaire de sa première élection au suffrage universel. Il s’agit donc d’un important événement qui nous rappelle l’histoire de la construction de l’Union européenne. Il est possible que la composition du Parlement change comme suite à la crise économique. Les citoyens européens sont maintenant très conscients de l’importance cruciale de cette institution, devenue un vrai acteur de la législation européenne. D’ailleurs une nouvelle Commission européenne devra être nommée à la fin de cette année, et le Parlement joue un rôle crucial dans sa nomination. Nous ne pouvons pas prétendre, à ce stade, savoir quels seront les dossiers concrets qui vont être promus par les uns et les autres. Ce qui est certain, c’est qu’ils vont tous, sans aucun doute, se concentrer sur les problèmes les plus importants du moment, c’est-à-dire proposer des solutions à la crise économique. Q.O.: Le statut du Kosovo, entre autres, quasiment imposé par l’administration américaine au temps du président Bush, n’aurait-il pas rappelé à l’Europe qu’elle reste assez fragile pour pouvoir imposer un point de vue différent de celui américain, qui lui permettrait en premier de rassembler solidement ses rangs en vue de les consolider en force de changement ? L.B.: L’UE a son propre agenda en matière de politique étrangère. Et ceci malgré le fait que nous n’ayons pas encore une politique commune dans ce domaine. Mais il y a une forte coopération entre les Etats membres qui s’efforcent d’adopter des positions communes. Et la Commission met en oeuvre les décisions qui en découlent et qui la concernent, comme par exemple toute la coopération économique extérieure. Il convient de rappeler que nous sommes les principaux bailleurs au monde en matière d’aide publique au développement. Permettez-moi de vous donner un exemple concret où notre position ne coïncidait pas avec celle de nos amis américains sur l’approche à suivre: le changement climatique. Maintenant, l’administration du président Obama a changé son attitude vis-à-vis de ce grave problème pour se rapprocher de la nôtre. Q.O.: L’Union européenne, alors sous la présidence française, a accordé un statut privilégié à Israël. Le président Sarkozy a réussi à l’imposer aux Européens alors que le peuple palestinien continue d’être la proie d’un colonisateur (Israël) que beaucoup de pays occidentaux veulent juger pour crimes contre l’humanité et terrorisme d’Etat. Qu’en pense la Commission européenne ? L.B.: Je crois que vous ne disposez pas de l’information complète. L’UE n’a pas octroyé un statut avancé à Israël. Déjà au mois de novembre 2008, le Parlement européen décidait de ne pas donner son accord suite au manque d’avancement du processus de paix. Et ceci se passait avant les événements à Gaza. Le seul pays ayant obtenu jusqu’à présent un statut avancé est le Maroc. En ce qui concerne le conflit au Moyen-Orient, la Commission européenne continue à soutenir une solution basée sur la constitution de deux Etats. Et nous allons continuer à appuyer financièrement l’Autorité palestinienne et la population de Gaza. Entre les années 2000 à 2008, la Commission a octroyé une contribution financière de 2.860 millions d’euros (276 milliards de DA) au peuple palestinien. Cette année nous avons déjà dégagé un montant de 440 millions d’euros (42,46 milliards de DA) pour aider nos amis palestiniens. Q.O.: L’Union pour la Méditerranée bat de l’aile notamment après les tueries perpétrées par Israël contre Gaza. Tout autant que l’Algérie, les ministres européens des Affaires étrangères demandent une clarification. La Commission européenne en ferait-elle autant où alors laisserait-elle cette initiative chère au Président français, mais adoptée par l’Europe, dépérir au gré du bon vouloir d’Israël dont le nouveau gouvernement refuse d’entrée de jeu de négocier un processus de paix au Moyen-Orient basé sur deux Etats, palestinien et israélien ? L.B.: La Commission européenne, dans le cadre de ses compétences, essaye d’avancer malgré la situation de blocage. Nous travaillons activement sur les projets adoptés par le sommet de Paris, et qui avancent à bon train. Et nous sommes prêts à donner une contribution financière substantielle pour l’installation du Secrétariat à Barcelone dès que la situation le permettra. Q.O.: La Commission des droits de l’Homme à Genève a régulièrement dénoncé et condamné les graves violations des droits du peuple sahraoui par le Maroc. La Commission européenne semble prendre beaucoup de précautions avant d’avancer sur ce terrain. S’accorde-t-elle un rôle précis dans la résolution de ce conflit ? L.B.: La Commission européenne a soutenu et continue à soutenir une solution au problème basée sur les résolutions de l’ONU. Entre-temps, nous octroyons une aide humanitaire aux réfugiés sahraouis d’un montant approximatif de 5 millions d’euros (environ 482 millions de DA) par an. Q.O.: L’Amérique aurait-elle changé de visage avec l’arrivée de Barack Hussein Obama à la Maison Blanche ? Pensez-vous qu’elle changera aussi les politiques et les méthodes guerrières que son prédécesseur avait brandies pour confirmer le statut de gendarme du monde de son pays? L.B.: Personnellement, je l’espère et je le crois. Q.O.: Avec le retour de la France dans le commandement de l’Otan, l’Europe de la défense prendrait-elle une véritable consistance comme le promet le Président français ou alors serait-elle noyée dans un «arsenal» que les Etats-Unis n’ont pas toujours mis au service de la paix ? L.B.: Un commandement européen de l’Otan est toujours le bienvenu au sein de l’UE. Et je crois le président Sarkozy capable de réaliser ses promesses... |