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Procès Merah : la cour d'assises et la gestion de l'horreur par la justice (Suite et fin)

par Sid Lakhdar Boumédiene*

E ric Dupond-Moretti défend un monstre. Cela peut sembler immoral mais c'est ainsi que les bases du droit de la défense se conçoivent. Nous avons à faire à un terrifiant personnage mais imaginons un seul instant, dans d'autres situations, si l'accusé était victime d'un emballement judiciaire. Sans la hargne et la liberté totale de l'avocat, nous nous imaginerions facilement l'horreur d'une accusation sans fondement.

La règle est aussi valable pour des monstres qui se proclament d'un dogme meurtrier et en dehors des usages pacifiés de l'humanité. L'avocat doit toujours avoir la même position, la même stratégie, c'est sa raison d'être dans un procès pénal où le risque de condamnation peut être lourd. Pourquoi la procédure criminelle permet-elle une telle outrance face au chagrin des familles endeuillées ?

Le but du procès criminel

Dans un procès d'assises, quelle que soit la barbarie de l'acte, le but est double. Le premier est de sanctionner un acte grave s'il est établi que l'accusé est coupable. Le second est de permettre aux familles endeuillées de comprendre, c'est une étape indispensable à leur chemin de deuil. Mais on oublie toujours le rôle de la cour d'assises dans sa procédure de jugement. On ne juge pas un acte, il est déjà considéré comme horrible, mais on juge la globalité d'un être humain, dans son histoire personnelle. Et c'est justement cela qui fait toute la différence pour l'avocat. Son rôle est d'aller rechercher jusqu'au fin fond de l'âme de l'accusé, une part d'humanité. Même chez les monstres les plus sanguinaires, il faut creuser profondément pour découvrir la nature humaine qui a préexisté avant l'acte bestial. L'honneur d'une justice dans un pays humaniste et démocratique est de ne jamais considérer un être humain comme une bête lors du procès pénal. Et quel que soit mon comportement dans cet écrit qui, justement, n'a cessé de traiter cet individu de monstre, il faut s'incliner devant l'effort de l'avocat de nous présenter la part d'humanité, aussi petite soit-elle. La justice n'est pas une vengeance, elle est justement l'inverse d'une pulsion que des siècles ont essayé de taire. C'est parce que l'humanité ne voulait plus de la dictature des pulsions humaines que la justice a été créée. Nous ne sommes pas les avocats et nous pouvons traiter Merah de monstre. Mais nous devons respecter la noble mission de l'avocat, des magistrats et du jury, celle d'essayer de juger le reste d'humanité chez un homme qui semble hors de cette humanité.

Que va-t-il se passer maintenant ?

A la grande désespérance des parties civiles, la sanction n'est pas allée aussi loin que le réquisitoire de l'avocat général demandait, soit une peine à perpétuité. Ce dernier s'est immédiatement pourvu en appel et un second jugement va se dérouler de nouveau où il faudra supporter, encore une fois, l'arrogance de ce perdu de la république et les provocations de l'avocat. Il fera son métier, nous n'avons rien à lui reprocher, ni du point de vue moral ni du point de vue légal.

Vox populi, vox dei ?

Je ne peux pas terminer cet article sans un point pédagogique à l'adresse du lecteur non juriste. Il existe un point constitutionnel fondamental, repris de la déclaration des droits de l'Homme, qui dispose que toute personne condamnée a droit à un second jugement en appel. Cela est facilement compréhensible car la justice étant humaine, elle est parfois faillible. Mais pendant très longtemps en France, jusqu'en 2001, la législation opposait deux limites à ce principe. La première se comprend, certaines petites affaires (pour le civil, celles inférieures à 4.000 euros et pour le pénal, certaines infractions légères) ne peuvent faire l'objet d'un appel. La justice coûte très cher et on ne peut multiplier des appels pour de si petits litiges ou infractions. Il y a, par contre, une autre exception qui était une dérogation scandaleuse au principe fondamental de l'appel. On estimait que les décisions de la cour d'assises ne pouvaient pas faire l'objet d'un appel car un jury populaire s'étant prononcé, « vox populi vox dei » (la voix du peuple est la voix de Dieu). On estimait donc que la souveraineté du peuple ne pouvait être remise en cause par un appel de la décision.

Autrement dit, si vous voliez une mobylette, l'appel était autorisé en cas de condamnation, mais si vous étiez condamné à mort (avant 1982) ou à perpétuité, le droit à l'appel ne vous était pas ouvert. C'était, tout de même, une grave anomalie du droit qui a perduré pendant trop longtemps. Ce revirement législatif, qui remet les fondements de la justice à l'endroit, permet à l'avocat général de contester la peine prononcée contre Abdelkader Merah. Il faudra accepter l'idée contraire que le recours de Merah aurait été aussi juridiquement légitime s'il avait décidé de faire appel contre une décision moins favorable à son égard.

En conclusion, l'être humain peut discuter, en son for intérieur, débattre dans les lieux publics ou rédiger des articles pour s'indigner d'une clémence scandaleuse envers Merah. Le démocrate, juriste et humaniste, ne se l'interdit pas mais doit respecter le rôle troublant de l'avocat. Et si certains pensent que l'auteur de ce présent article fait preuve d'une indulgence envers le condamné, c'est qu'ils n'ont manifestement pas compris le propos. Difficile à le faire comprendre à ceux dont la seule vérité est révélée, une fois pour toutes, et qui trancheraient les têtes sans état d'âme.

*Enseignant