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La
guerre d'Algérie a toujours été racontée par les Français. Il n'est que de
jeter un œil sur la bibliographie pour constater l'écrasante suprématie de
l'historiographie française. Pendant longtemps, les Algériens ont subi un récit
de leur propre insurrection élaboré par leur «ennemi complémentaire ». En
Algérie même, ceux qui ont confisqué l'indépendance ont imposé une version de
l'histoire expurgée de ses principaux acteurs. Dans les deux volumes de « La
guerre d'Algérie vue par les Algériens[1]» (éditions
Denoël) préfacés par Mohammed Harbi, pour la première
fois, sous l'impulsion décisive de Benjamin Stora,
sur une idée suggérée par Renaud de Rochebrune, une
autre histoire de la guerre d'Algérie nous est proposée, cette fois-ci de
l'autre côté, avec des moments forts qui ne sont pas nécessairement ceux
retenus par les historiens français.
Omar Merzoug : Votre projet est de raconter, comme d'ailleurs le titre l'indique clairement, comment la guerre d'Algérie a été vue par les Algériens eux-mêmes. Mais quelle est la différence de cette histoire de la guerre avec toutes les histoires de la guerre d'Algérie qui ont été publiées jusqu'ici ? Benjamin Stora : Il faut commencer par dire que ce projet a été initié par un éditeur Renaud de Rochebrune, chez Denoël, qui avait en l'an 2000 -ça fait déjà seize ans- eu l'idée de faire écrire un ouvrage sur le modèle de ce qu'avait fait Amin Maalouf «Les Croisades vues par les Arabes». La même entreprise ne pouvait-elle pas être tentée sur une affaire aussi grave, aussi importante que la guerre d'indépendance algérienne, racontée par les Algériens. A vrai dire, ce projet a rencontré chez moi quelque réticence. Je me souviens avoir dit à Renaud, également historien et journaliste à Jeune-Afrique, qui était venu me voir à ce sujet: «Cette histoire conçue pour exprimer le point de vue algérien devrait être racontée par les Algériens eux-mêmes.» O.M.: C'est l'objection qui surgit naturellement. B.S.: Bien entendu. J'ai dit à mon interlocuteur et confrère, « Les Algériens eux-mêmes sont très capables de construire ce genre de récit». Ce à quoi R. de Rochebrune a répondu : «Si tu veux, on va attendre» et on a attendu quelques années, en vain. J'avais à l'époque fait la remarque qu'il y avait beaucoup de textes de témoignages écrits par des Algériens qui étaient publiés. En gros, entre 1997 et 2006, il y a eu à peu près 200 ouvrages de cette nature qui ont été livrés au public, d'acteurs de la guerre. Ce n'était certes pas des livres d'histoire, mais ce sont d'extraordinaires témoignages qui avaient pour décor les Aurès, la Kabylie et d'autres régions. A. Bouhara qui a publié ses mémoires, L. Ben Tobbal a écrit ses souvenirs (qui n'ont pas encore été publiés), H. Aït Ahmed était en train de rédiger les siens, M. Mechati, M. Harbi a publié le premier volume de ses mémoires, le second n'est malheureusement pas paru[2]. Les principaux acteurs publiaient beaucoup. Devant cette multitude de documents, je me suis dit que ces dizaines d'ouvrages qui nous disent la guerre côté Algérie constituaient un matériau extraordinaire. Il faudrait au moins rassembler ces sources et ordonner un récit qui fasse la part belle à la guerre vue de l'autre côté. En outre, les archives militaires françaises ont commencé à livrer leurs secrets à cette époque-là. Puis des thèses ont été soutenues: l'une, sous ma direction, par Lydia Aït Saadi[3]sur l'idée de nation dans les manuels scolaires algériens de langue arabe; Dalila Aït Joudi a soutenu une très belle thèse à Aix-en-Provence sur les maquis en Kabylie à partir des archives de l'armée française. Il faut citer le travail universitaire d'Amar Mohand Amer sur la crise de l'été 1962[4]. Et aussi, la grande thèse de Linda Amiri sur la Fédération de France du FLN, ou de Malika Rahal sur l'UDMA de Ferhat Abbas. A partir de ces travaux et des témoignages des acteurs, je me suis dit après tout pourquoi ne reprendrait-on pas ce projet ? Un peu plus tard, vers 2005-2006, le projet est relancé à partir de ces matériaux nouveaux, différents dans une situation qui était très tendue entre l'Algérie et la France, situation coïncidant avec l'élection de Nicolas Sarkozy. Ma visée constante était de faire connaître aux Français la guerre des Algériens. Ce livre, rappelons-le, qui vise à faire connaître la guerre des Algériens, s'adresse à un public français, d'autant que c'est un éditeur français qui en a lancé l'idée. Le grand problème c'est qu'en France on ne connaît pas la guerre des Algériens -les acteurs, la pensée politique des Algériens, les contradictions, les programmes, les souffrances-, tout ça on l'ignore. La guerre est vue exclusivement du côté français. Depuis quarante ans que je fais ce travail, mon objectif a toujours été de faire connaître aussi ce point de vue algérien à travers les biographies que j'ai faites de Messali dans les années 1970, de Ferhat Abbas, à travers le dictionnaire qui présente les parcours de 600 militants nationalistes algériens, publié dès 1985. Je me suis dit : «continuons ce travail qui consiste à faire connaître aux Français ce qu'a été cette histoire pour qu'ils comprennent les revendications algériennes». Autrement les doléances, les exigences des Algériens sont incompréhensibles pour un Français aujourd'hui, surtout s'il est jeune. «Pourquoi les Algériens réclament-ils ceci ou cela ?» se demande le jeune Français. Cette question, le jeune Français se la pose parce qu'il ne perçoit pas l'ampleur de la tragédie qui s'est nouée dans cette histoire et des violences qui ont été exercées. Une dizaine d'années a été nécessaire pour voir la parution du premier volume, il y a cinq ans, on a été encouragé par les réactions des acteurs ; il n'y a pas eu d'objection majeure ou d'opposition violente. Entre-temps, en 2002, j'avais réalisé un documentaire qui s'appelait «L'indépendance aux deux visages»[5] (qui représentait dix heures d'entretiens) diffusé sur la chaîne Histoire. J'avais choisi d'y interroger dix acteurs principaux, Aït Ahmed, le commandant Azzedine, Saout al-Arab (Boubnider), A. Bouhara, Ali Haroun et d'autres. Là je me suis dit : «j'ai accumulé dans ma vie un nombre de matériaux tout à fait considérable, des Mémoires de Messali en 1974 jusqu'à l'entretien en 2004 des conversations avec des responsables de la révolution algérienne, que vont devenir toutes ces archives ? Pourquoi ne pas les exploiter et les livrer dans ces deux volumes ?» O.M.: A ton avis, pourquoi les historiens algériens n'ont-ils pas ressenti le besoin de raconter eux-mêmes la guerre du point de vue algérien ? B.S.: Il faudrait à mon avis relativiser parce que tout de même les historiens algériens ont produit des travaux de valeur, mais encore une fois il faut comprendre que ce qu'on a essayé de faire, c'est de raconter à l'intention d'un public français comment les Algériens ont vu/vécu la guerre. Dans nos deux volumes, il y a des travaux algériens dont nous faisons état, bien sûr Mohammed Harbi qui nous a aidés, a trouvé le travail important. N'oublions pas Mahfoud Kaddache. Puis j'ai travaillé avec d'autres historiens, Hassan Remaoun, Fouad Soufi, Abdelmadjid Merdaci qui a travaillé énormément sur l'aspect culturel de la guerre d'indépendance, ou Daho Djerbal. O.M.: Je ne dis pas que les historiens algériens n'ont pas produit de travaux d'un intérêt certain, voire considérable, mais pourquoi n'y a-t-il pas eu un historien algérien de ta génération qui s'est dit : faisons une historie générale de la guerre ? En fait, ils se contentent de réaliser des monographies sur des thèmes précis, les maquis kabyles, l'idée de nation dans les manuels, l'été 1962, etc. B.S.: Il y a Mohammed Harbi qui a fait quand même des travaux dans le genre que vous évoquez. O.M.: Mais Harbi, il vit en France depuis plus de quarante ans ; il ne vit pas et ne travaille pas en Algérie et de toute façon, il n'est pas de ta génération, il est plus âgé. B.S.: Mais ça, je ne me l'explique pas. Je ne peux pas à la place que j'occupe répondre à cette question. O.M.: Ce serait donc aux historiens algériens de répondre à cette question. B.S.: Tout à fait. Cela dit, il y a des histoires générales de la guerre ou de la révolution algérienne, mais qui ont été réalisées sous la houlette du ministère des Moudjahidine. Il y a par ailleurs une revendication des historiens algériens dont il faut tenir compte aujourd'hui plus de cinquante ans après la guerre, c'est que l'accès aux archives françaises est difficile (il faut traverser la Méditerranée, demander des visas, demander des dérogations), ce n'est donc pas aussi simple qu'on l'imagine. Mais il y a aussi le problème de l'accès aux archives algériennes de la guerre, les archives du GPRA par exemple. Si on veut avoir un récit algérien de la guerre d'Algérie, il faut pouvoir librement accéder aux archives algériennes par exemple, la crise de l'été 1962, le coup d'Etat de 1965, ce sont des vieilles histoires maintenant. Si on accède à ces archives-là on peut remonter en arrière et comprendre la guerre d'indépendance, les enjeux de pouvoir en 1962-65 ne peuvent se comprendre que si on remonte en arrière et à partir de là on pourra écrire une histoire de la guerre, c'est pourquoi l'accès aux archives est crucial. O.M.: Dans le livre, on a le sentiment que pendant longtemps les échanges entre Algériens et Français ressemblaient à un dialogue de sourds, les Français affirment que les militants du FLN sont des terroristes, les militants rétorquent qu'ils sont des patriotes algériens, est-ce que vous pensez que ces deux volumes peuvent contribuer à ouvrir ou alimenter un dialogue fructueux ? B.S.: Pour ma part, je pense que tout ce qui permet de contribuer à faire connaître l'histoire des autres permet d'avancer. Par exemple, qui en France sait que 2 millions de paysans algériens ont été déplacés, les Français ne le savent pas ; que le napalm a été utilisé en Algérie, les Français ne le savent pas ; savoir qu'en moyenne (d'après les plus basses estimations) il y a eu environ 100 Algériens par jour qui ont été tués, qui le sait chez les Français ? Si on prend des estimations de morts, je sais ces chiffres prêtent à contestation, mais disons entre 300 et 400.000 morts algériens, c'est l'équivalent du nombre de morts français de la Première Guerre mondiale, c'est monumental. Les Français d'aujourd'hui, en particulier les jeunes, ne le savent pas. Pourquoi il y a cette espèce d'animosité, de rapports compliqués qu'ont les Algériens avec la France, donc les problèmes complexes de l'immigration algérienne aussi avec la France. Les Français ne perçoivent pas l'importance de cette tragédie que fut la guerre. Je pense que si on pouvait faire comprendre cela à un jeune public français, cela permettrait d'avoir des relations plus apaisées, plus normales. Le problème c'est que les uns et les autres s'enferment dans une histoire très nationaliste. C'est en particulier la tendance aujourd'hui en France. Or il ne faudrait pas s'enfermer dans l'étroitesse d'une histoire exclusivement nationaliste et qui participe du repli identitaire et de la clôture dans l'entre-soi. Il faut décloisonner, parce qu'il ne faut pas simplement décoloniser les imaginaires, mais il faut aussi décloisonner les imaginaires, faire en sorte d'abord que les imaginaires se rencontrent, ensuite qu'ils puissent se confronter. O.M.: «La vision de la guerre par les Français ne tient aucun compte de ce qui s'est réellement passé de l'autre côté» écrivez-vous. B.S.: Il y a eu, il faut le signaler, des tentatives intéressantes faites par les Français. Nous sommes actuellement en régression par rapport à ce qui a été fait il y a quarante ans. Comme le vieux récit d'Yves Courrière, extraordinaire. O.M.: Parce qu'il a interrogé les acteurs et les témoins. B.S.: Entre autres Krim Belkacem, Mohammed Lebjaoui. Il tient d'eux le récit de l'assassinat d'Abane Ramdane, mais Courrière a eu aussi accès du côté français au commandant Aussaresses, les tortures, l'assassinat de Ben M'hidi mais après il y a eu une régression. On est revenu vingt ou trente ans plus tard à une phase d'écriture plus patriote, plus nationaliste. Une histoire repliée sur soi, on fait des thèses sur l'OAS, le malheur des Européens d'Algérie, etc. Bien entendu ce sont des faits qu'il faut connaître, j'ai moi-même écrit sur les Européens d'Algérie, sur les harkis, sur les Juifs d'Algérie, mais je l'ai toujours fait dans un souci de croisement. Si l'on doit parler des Juifs d'Algérie, alors il faut parler aussi de leurs rapports comme indigènes aux autres indigènes. Il est ridicule d'opter pour une histoire communautarisée, de faire des histoires forcloses. O.M.: Ce repli que vous évoquez traduit l'existence d'un malaise français ? B.S.: Cinquante ans après, nous vivons une période qui vise à réhabiliter d'une manière ou d'une autre ce qu'a pu être le système colonial présenté comme égalitaire et même merveilleux à tel point qu'on ne comprend pas l'insurrection des Algériens, qui se pare du coup du voile du mystère, alors que le nationalisme algérien existait bien avant 1954, avec l'Etoile nord-africaine de Messali Hadj[6]. Mais quand on lit les principaux textes sur la guerre d'Algérie du côté français, et aussi quelquefois du côté algérien, tout commence en 1954. Tout devient incompréhensible. La violence est incompréhensible, le déchaînement de terreur est incompréhensible. Mais non, car il faut prendre les faits dans un rapport à la longue durée historique, coloniale, et on ne peut pas comprendre l'histoire de la guerre d'Algérie en l'écrivant par sa fin. Et on ne peut pas comprendre les rapports franco-algériens si on s'en tient à la fin. O.M.: Il est donc nécessaire d'historiciser. B.S.: Oui sans cesse, que ce soit sur le plan de la guerre ou sur celui de la colonisation, qu'il s'agisse des rapports aussi entre Etats, entre pays et entre communautés. O.M.: Vous avez sélectionné un certain nombre de temps forts de la guerre d'Algérie. B.S.: J'en ai suggéré l'idée. Quelles sont les dates, les marqueurs essentiels, non pas du côté français, mais du côté algérien. Et là j'ai fait un choix de dates, le 1er novembre, qui marque le début de l'insurrection avec un changement à la tête du nationalisme algérien avec la naissance du FLN, c'est fondamental. Ensuite le 20 août 1955. O.M.: Justement, vous qualifiez le 20 août 55 de «2e premier novembre» ? Pourquoi appelez-vous le 20 août 1955 un deuxième premier novembre ? B.S.: Le 20 août 1955, c'est l'entrée en scène des masses paysannes. Au regard de cette date, le 1er novembre 1954 serait un mouvement d'avant-garde. Alors que le 20 août constitue un mouvement plus large. Cette fois-ci on est dans un mouvement de répétition d'une entrée en guerre qui concerne des populations plus nombreuses. La France entre en guerre à partir du 20 août avec le rappel des réservistes, d'ailleurs c'est une date historique en Algérie. La mobilisation est massive dans l'Est algérien, ce qui n'est pas le cas du 1er novembre. Je sais que c'est un peu sacrilège de le dire, mais c'est la réalité. On passe à une opération d'avant-garde sur le plan politique à une opération des masses et n'oublions pas que l'Algérie est un pays paysan. O.M.: Et la troisième date ? B.S.: La troisième date importante, c'est le Congrès de la Soummam le 20 août 1956 avec la définition d'un programme idéologique côté ALN/FLN avec une structuration politique qui est très importante. O.M.: Arrêtons-nous si vous le voulez bien sur le 20 août 1956 parce que là se joue quelque chose d'important. Vous dites que cela constitue «la victoire d'Abane Ramdane». B.S.: Certes, mais c'est une victoire à la Pyrrhus parce qu'il a le sentiment d'avoir gagné mais, en réalité, il se retrouve politiquement isolé. O.M.: Est-ce au Congrès de la Soummam que s'est joué l'avenir militaire du pouvoir algérien ? B.S.: Je pense qu'il faut situer ce moment où les militaires (les trois B[7]) s'emparent du pouvoir un an et demi après le Congrès de la Soummam. Le second volume s'ouvre sur l'assassinat d'Abane Ramdane, c'est vraiment là que ça bascule. En aout 1956, les principes (l'affirmation de la suprématie du politique sur le militaire) sont posés mais l'histoire n'est pas encore jouée. Mais on sait que deux ans plus tard, le militaire prendra sa revanche. O.M.: Deux ans plus tard, c'est la reprise en main par les militaires. B.S.: Oui, c'est la montée en puissance de ceux qui estiment que la question militaire prime la question politique mais le problème du rapport au politique a été posé le 20 août 1956 et l'histoire s'ouvre à ce moment-là mais elle se ferme deux ans plus tard. Entre ces deux dates, il y a la tragédie sur laquelle s'achève le premier volume de notre histoire, c'est-à-dire la bataille d'Alger avec l'assassinat de Larbi Ben M'hidi. Et la seconde séquence historique algérienne s'ouvre sur l'assassinat d'Abane Ramdane, là c'est la question qui donne aussi tout l'éclairage de ce qui va constituer la substance du futur nationalisme algérien et ensuite il y a la formation du GPRA. O.M.: Avant d'évoquer le GPRA, j'aimerais qu'on s'arrête sur le Parti communiste algérien auquel vous consacrez quelques pages fort ramassées. Les rapports entre communistes et nationalistes sont complexes. J'en retiens cette formule : «La méfiance profondément enracinée règne aussi bien d'un côté que de l'autre». B.S.: La méfiance entre nationalistes et communistes est fort ancienne. L'Etoile nord-africaine qui à l'origine s'inscrivait dans le sillage du Parti communiste français s'est émancipée. Ça a été très violent, et lorsque l'Etoile a été dissoute le 27 janvier 1936, le PC n'a absolument pas protesté expliquant que «l'Etoile faisait le lit du fascisme». Les textes de l'époque l'attestent et lorsque le PPA a été créé le 11 mars 1937, les communistes ont déclaré que le PPF de Doriot et le PPA de Messali, c'était le même combat. O.M.: Et après 1945 ? B.S.: C'était du pareil au même. Les communistes ont stigmatisé les nationalistes en les affublant du terme de «d'hitléro-trotskistes» et en effet à l'époque les seuls qui soutenaient les Algériens étaient les trotskistes. Si bien que lorsque la guerre d'Algérie commence, une méfiance réelle demeure vis-à-vis du Parti communiste. O.M.: Du reste, le PCA est condamné par Abane dans la Plateforme de la Soummam. Il y est dit que la direction communiste est «bureaucratique» et sans liens avec le peuple. B.S.: Il y a eu sans arrêt comme ça des affrontements politiques jusqu'au moment où à titre individuel les communistes ont rejoint le FLN et l'ALN. O.M.: Parlons des autres temps forts. B.S.: C'est la constitution du GPRA, et puis alors après la réunion des colonels en été 1959 (qui va durer plusieurs semaines) et puis décembre 1960, les manifestations des masses algériennes qui entrent en scène ; pour la première fois, les masses reprennent l'initiative dans les villes et pas seulement dans les campagnes ; la différence est là avec le 20 août 1955. Cette irruption des masses citadines algériennes signe irrévocablement l'échec de «l'Algérie française», car jusque-là on avait le sentiment qu'un compromis pouvait être trouvé, une solution fédérale était possible. Dans un autre de mes livres «Le mystère De Gaulle », je l'ai écrit. De Gaulle, à l'origine, n'était pas pour l'indépendance. Il s'y est fait progressivement en épousant les réalités et lui il était partisan, je sais que d'autres historiens français en disconviendront, d'une solution fédérale essentiellement, c'est-à-dire ce qu'il appelait lui-même «l'association». O.M.: Mais en décembre 60, il va en tirer les conclusions de l'entrée des masses algériennes en scène et changer d'avis. B.S.: Il en tire la conclusion qu'au fond la question politique ne peut être réglée que par l'indépendance. En ce sens ce qui s'est passé en décembre 1960 est très important. Après, on retient encore deux dates, le 17 octobre 1961, pour parler de la guerre d'Algérie au sein de l'immigration ; là c'est l'histoire de l'immigration algérienne pendant la guerre et notre étude s'arrête sur le Congrès de Tripoli et la crise de l'été 1962, si bien appelée par Ali Haroun «l'été de la discorde». O.M.: Comment les Algériens voient-ils cet été de la discorde ? Vous en avez interrogé acteurs et dirigeants de la révolution, vous avez donc des connaissances de première main. B.S.: Le commandant Azzedine a cette phrase extraordinaire : «L'indépendance part comme un cheval penché» et Salah Boubnider, plus connu sous le nom de Sawt al-Arab, dit : «Nous on a construit l'indépendance, mais une petite indépendance sans la démocratie». En d'autres termes, il fallait lever l'hypothèque coloniale pour arriver à une histoire nouvelle, qui serait celle d'une démocratie politique. C'était cela l'enjeu essentiel de l'été 62 qui va se conclure par la mise à l'écart de Mohammed Boudiaf, de Krim Belkacem, de Hocine Aït Ahmed. Il s'agissait de série de «coups d'Etat» successifs et on connaît la suite de l'histoire. 1- Nos vifs remerciements à Joséphine Renard des éditions Denoël qui nous a grandement facilité la tâche. 2- D'après des sources dignes de foi, il est à craindre qu'il ne paraisse jamais. 3- L'intitulé est «L'émergence de la nation algérienne à travers les manuels scolaires algériens» thèse présentée par Lydia Bouras Aït Saadi. 4- Thèse soutenue par M Amar Mohand Amer sur le thème de la crise de l'été 1962 sous la direction de M. Omar Carlier à l'Université Paris-VII. 5- Le véritable titre est «Conversations avec les hommes de la révolution algérienne». On peut visionner une version abrégée, de 52 minutes, sous le même titre disponible sur le site de Benjamin Stora. 6- Cette période a fait l'objet d'un livre de Benjamin Stora «Le nationalisme algérien avant 1954» publié aux CNRS éditions. 7- Boussouf, Krim Belkacem, Ben Tobbal. |
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