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Chasser le sur-naturel

par Bouchan Hadj-Chikh

Tout le monde redécouvre le tram, de nos jours. Pratiquement dans toutes les villes du monde. Je suis assez âgé pour me souvenir de ces mêmes rails que l'on arrachait, des pavés que l'on couvrait de bitume et des centaines de kilomètres de câbles de cuivre que des perches parcouraient. Tout cela, pour laisser la place à des bus dont le confort et la ponctualité étaient contestables. Et engraisser les constructeurs de véhicules de transport.

Plus rien de tout cela. Le tram, nous dit-on,- a-t-on consulté les usagers ? - est l'avenir de l'homme. Il squatte de larges bandes de terre, sans que personne ne trouve à redire sur le rapport transport de voyageurs - espace utilisé. Il faut reconnaître, cependant, qu'il est source d'emplois insoupçonnés, ceux des agents auxiliaires de la circulation qui calment les automobilistes trop pressés à emprunter le carrefour, quand une rame se signale par son bruit de clochette. Personne ne s'est jamais posé la question de savoir si, légalement, ils avaient autorité à exercer de telles fonctions qu'un feu rouge remplirait.

Station « Emir Abdelkader ». J'ai tout le temps d'admirer les dribbles de jeunes garçons dans cette plate-bande. Ils se garent le temps de passage des rames, puis reprennent la partie, tout de suite après. Je lis l'annonce du prochain serpent métallique. Quatre minutes me dit-on. Sauf que les minutes sont ici élastiques. Elles valent quatre-vingts secondes. Un peu plus, parfois.

Le tram, c'est le prix du progrès et une vaste palette de moyens de resquille. Ticket en main, une personne attend que s'annonce le contrôleur, dans le wagon pour poinçonner le sien. In-extremis. Plutôt mesquin, vous ne trouvez pas ? Mais bon, si ça lui fait monter son adrénaline, si ce passager éprouve du plaisir qu'il ne trouve, nulle part, dans la vie de tous les jours, si le manque manifeste de civisme devient un acte d'héroïsme, faudra bien qu'un contrôleur le remette dans le droit chemin, en portant un coup sévère au portefeuille du contrevenant. Seulement, ce matin, la poinçonneuse ne poinçonnait pas. En panne.

Les contrôleurs sont, parfois, bonne pâte. Ils font, certes, correctement leur travail. Mais ils ferment, trop vite, les yeux sur ceux qui « oublient » d'oblitérer leur titre de transport, surtout lorsque, de bonne foi, le nouvel arrivé, en ville, prétend ne pas avoir vu ou reconnu le kiosque où acheter « le pass ». Ça arrive. Quand ils ont des cheveux gris, ils ont tendance à les croire. On les fait débarquer.

Les enfants poursuivent leur partie de football.

J'emprunte une rue, à l'arrêt SNTF, pour emprunter un raccourci vers le Boulevard Larbi Ben M'hidi. Un monsieur, devant la porte de son immeuble, m'assure que sa rue fut baptisée, un jour « rue Dahaoui Abdelkader », ex rue de l'abricotier. Je demande, parce qu'aucune plaque n'est fixée aux coins des croisements de cette rue avec d'autres, ces autres artères, tout aussi, discrètes quant à leur appellation. Avec un GPS on se retrouverait difficilement.

Bien entendu, de senteurs d'abricots, point. Je me laisse débouler la pente pour déboucher sur la place ... où des kiosques de fleuristes nous rappellent, que lorsqu'on s'y met, des espaces peuvent charrier des senteurs agréables.

Au centre-ville, pour remonter vers la place centrale, fermement décidé à ne pas réveiller, comme dirait mon ami Ali N. , la schizophrénie dont nous sommes, tous, des porteurs sains, selon lui. Et je lutte, docteur, je lutte et finis par me rendre à ce que je vois : des amoncellements de détritus au pied d'un imposant escalier, tout à côté de poubelles en plastiques qui débordent. Je contrôle mes battements de coeur. Ce matin, la pompe à liquide du groupe A, Rhésus positif, a failli rendre l'âme et m'abandonner sur le carreau quand je faillis me retrouver dans un trou d'égout, judicieusement creusé dans le trottoir, délicatement caché, sur le trottoir.

Je hurle, en moi-même : mais que fait donc la mairie ?

La collecte des ordures ménagères ? oh combien essentielle à la bonne santé de la population ? n'est pas une position digne d'évocation dans l'organigramme de l'administration locale. Je ne doute pas de la bonne volonté de la personne, en charge, mais il faut se rendre à l'évidence : sans doute manque-t-elle de moyens. Un jour, il faudra bien que les camions-bennes emportent ce que nous rejetons, et jetons, en même temps que leurs contenants, en plastique vert qui ont besoin d'être broyés pour en faire des paillettes. Il faudra bien, aussi, employer des balayeurs et demander aux citoyens de ne rien jeter sur la chaussée.

Ça fait mauvais genre et mal éduqué.

Comme je veux trouver, à mes concitoyens, des excuses, je me dis que nos gens, si méticuleux, en matière de propreté, à l'intérieur de leur domicile, se laissent aller à tout ce qu'ils refoulent, dès lors qu'ils franchissent le pas de porte de leur domicile. Normal. Cette normalité, ils ne la retrouvent, cependant, pas sur l'écran de télévision, toutes chaînes confondues, qui s'échinent à montrer des rues propres ailleurs. Normal. Comme il est normal de passer par tous les examens auxquels nous soumet un spécialiste manoeuvrant, avec dextérité, des instruments de pointe, dans un environnement propre comme un sou, ce même appartement situé dans un immeuble à l'entrée sombre, aux murs à la peinture écaillée, sans ampoule parfois. Normal.

« Vous êtes anxiogène » m'écrit un lecteur. Ah bon ? Y-a-t-il de quoi se rouler par terre de rire, retenant difficilement les soubresauts de mon corps ?

Alors, une idée abominable traverse mon esprit : une très forte dose d'autorité, ce n'est pas si mauvais que cela, après tout.

Mais que fait donc la police ?

Je pense à tout cela quand je pénètre la courette du bloc d'immeubles. Et là, avant de mettre les pieds dans le couloir d'une pichenette, je me débarrasse de mon mégot de cigarette qui va rejoindre des centaines d'autres, autour d'un arbrisseau, qu'un amoureux de la nature avait pris l'initiative de planter, là, et qu'il s'obstine à arroser, chaque soir.