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Les événements
des récents mois prouvent, s'il le fallait encore, que l'excès d'ordre débouche
inéluctablement sur l'anarchie, et que l'exercice du pouvoir politique sans
contrepoids entraîne le despotisme et aboutit à la déchéance des despotes, dans
des conditions à la fois dramatiques et humiliantes tant pour les peuples que
pour leurs dirigeants.
L'excès d'ordre débouche sur l'anarchie ! A force de restreindre les libertés publiques et privées, les despotes poussent la population, qui ne trouve aucun recours institutionnel ou légal contre la limitation de leur droit à une vie digne, à s'emparer de la rue et à chasser ceux qui se sont arrogé la propriété personnelle de leur vie et de leurs biens, comme du patrimoine public. Il est à souhaiter que les autorités publiques, qui sont censées représenter ce qu'il y a de plus perspicace et de plus cultivé parmi l'élite du pays, tirent toutes les leçons de ces drames que vivent nombre de pays de la région et qui auraient pu être évités si les dirigeants avaient fait preuve de plus de retenue dans leur style de gestion des affaires publiques. Le peuple, la source de tout pouvoir ? L'Algérie est censée être une démocratie populaire (cf. article premier de la Constitution: L'Algérie est une république démocratique et populaire.) et il n'est pas question ici de se demander ce que ce pléonasme, volontairement choisi pour tromper les gens sur la réalité du système politique. L'article 6 de la Constitution actuelle déclare, cependant et sans ambiguïté aucune, que : «Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple.» Comme la démocratie est, par définition, le gouvernement par le peuple, l'adjectif «populaire» n'ajoute rien qui ne soit déjà contenu dans le terme «démocratie». Cette expression n'a pas plus de signification que l'expression «repas alimentaire». Par définition, un repas est une activité dont l'objet principal est de prendre des aliments. Ceux des commentateurs «officiels» qui ont tenté de présenter une définition «spécifiquement algérienne» de la Démocratie sont démentis par les articles mêmes de la Constitution algérienne, articles inspirés de Constitutions «étrangères», ou simples reproductions - ou copies - des dispositions de ces Constitutions. En matière législative, le plagiat est moralement admissible et admis, à condition que le plagiaire ne fasse pas croire que le sens des mots qu'il a copiés textuellement est différent de celui convoyé par leur version originale ! Une Constitution qui viole la forme républicaine de l'Etat La Constitution révisée actuelle a été adoptée en violation de son article 76, car elle a profondément «affecté les équilibres fondamentaux du pouvoir et des institutions» et violé «la forme républicaine de l'Etat» en donnant, entre autres, le monopole du pouvoir suprême à une seule personne dont l'élection est garantie tant qu'elle est en vie à - et ce n'est pas l'avis motivé du Conseil constitutionnel - institution qui n'agit que sur ordre du chef de l'Etat, les autres autorités ayant le même pouvoir que lui dans ce domaine n'ayant accédé à leurs postes qu'avec son accord et son appui - qui est prêt à justifier l'injustifiable. La Constitution reste le fondement de la légalité et la source des lois Il n'en reste pas moins que la Constitution est le document juridique qui établit les règles fondamentales de gestion des affaires publiques du pays, et dont les dispositions constituent le fondement des actes législatives et réglementaires prises par les autorités publiques, en vue d'assurer la stabilité et la paix nécessaires aux personnes composant le peuple. Aucune loi ne saurait donc continuer à être appliquée - ou être prise - si elle viole une disposition quelconque de la Constitution, loi suprême du pays. Il n'y a pas de vide institutionnel justifiant des décisions d'exception Vu que la Constitution actuelle est le texte révisé de la Constitution du 28 novembre 1996, on ne peut dire qu'il existerait un vide constitutionnel qui mettrait les autorités publiques devant le grave dilemme, en période de troubles graves, soit de ne rien faire pour ramener l'ordre et la paix, soit de prendre des mesures, peut-être illégales, car non fondées sur des dispositions constitutionnelles, mais, en tous cas, légitimes, car visant le bien public, dont la défense ressortit exclusivement de ces autorités. Dans les périodes où le désordre civil se répand, on ne peut avancer des arguments juridiques pour contraindre ou limiter la mission essentielle des autorités publiques de combattre les fauteurs de trouble, quelque justifiée que soit leur révolte. Un état d'urgence justifié par les circonstances Effectivement, les autorités publiques, pour diverses raisons, ont choisi de suspendre la Constitution de 1989, sauf pour certains de ses articles, et ont pris des mesures exceptionnelles, qui visaient à leur permettre d'affronter la situation créée par le terrorisme. Nul ne peut reprocher à ces autorités d'avoir proclamé l'état d'urgence, qui pratiquement donne plein pouvoir aux institutions chargées de rétablir l'ordre, pour prendre toutes mesures, même en violation des droits des personnes, et en contradiction avec les principes de justice, en vue de ramener la paix dans le pays. Des décrets législatifs se référant à des dispositions constitutionnelles Le décret législatif du 9 février 1992 établissant l'état d'urgence a été pris dans le contexte que tout un chacun connaît. Cependant, ce décret, dans ses attendus, faisait spécifiquement référence à un article de la Constitution de 1989 établissant les conditions de proclamation de l'état d'urgence. Parmi ces conditions, il y avait la limitation de la durée de validité de cette proclamation à une année. En février 1993, un second décret, également fondé sur les dispositions de la Constitution de 1989, a été pris. Cependant, ce décret n'a pas fixé la durée de la nouvelle prorogation de l'état d'urgence, prorogation violant de manière claire et directe l'article 86 de cette Constitution, article qui définissait des dispositions spécifiques en cas de prorogation de l'état d'urgence. On pourrait justifier cette violation de la Constitution, pourtant base de référence du décret, par le fait que toutes les institutions élues censées connaître de ces mesures avaient été dissoutes, et n'étaient donc pas capables de jouer leur rôle constitutionnel. L'article 91: un article reconduit sans changement majeur Les choses ont changé depuis l'adoption de la Constitution promulguée le 28 novembre 1996, et modifiée, en novembre 2008, dans des conditions juridiques - pour ne se restreindre qu'à elles - contestables. Des dispositions majeures ont été introduites dans la Constitution en force actuellement. Cependant, ce qui n'a pas changé, à une nuance de vocabulaire près, et sans influence majeure sur l'article en cause, c'est l'article 91, qui stipule que : «En cas de nécessité impérieuse, le Haut Conseil de sécurité réuni, le président de l'Assemblée populaire nationale, le président du Conseil de la nation, le Premier ministre [dénomination modifiée. Loi n° 08-19 du 15 novembre 2008.] et le président du Conseil constitutionnel consultés, le président de la République décrète l'état d'urgence ou l'état de siège, pour une durée déterminée et prend toutes les mesures nécessaires au rétablissement de la situation. La durée de l'état d'urgence ou de l'état de siège ne peut être prorogée qu'après approbation du Parlement siégeant en chambres réunies.» Le décret de février 1993 a perdu toute validité juridique dès la mise en place, en avril 1997, et dans des conditions de fraude généralisée reconnue et condamnée même par les responsables de l'ex-parti unique, des institutions «représentatives» mentionnées par l'article 91. Un décret rendu illégal par la Constitution Les autorités publiques ont eu donc amplement le temps nécessaires pour adopter les mesures d'urgences prises - et il n'est pas question de disputer la nécessité de ces mesures - aux nouvelles donnes constitutionnelles et institutionnelles, et d'intégrer dans la légalité républicaine ces dispositions. Il est clair, dans le contexte institutionnel tel qu'il est pratiqué, que les institutions en cause auraient, sans aucun doute, et avec la docilité qui leur est habituelle, adopté quelque texte que les autorités publiques leur auraient proposé, et conforté toutes les justifications qui leur auraient été présentées pour appuyer la prorogation de l'état d'urgence. On ne peut, sans se couvrir de ridicule, considérer que ces autorités auraient rencontré une opposition quelconque de la part de ces institutions, opposition qui aurait mis en danger la continuation de l'application de l'état d'urgence. Une initiative exclusivement du ressort des autorités publiques Vu que le problème du rétablissement de la paix, qui a même donné lieu à referendum, était et continue à être à l'ordre du jour, il ne dépendait que des autorités publiques de prendre l'initiative pour conforter la légalité du décret de février 1993 prolongeant de manière indéfinie l'état d'urgence. Pour quelles raisons ces autorités ont-elles décidé de continuer à appliquer des dispositions inconstitutionnelles, et donc frappées de nullité, rendant toute mesure, tant judiciaire qu'administrative, nulle, sans effets et non opposable aux tiers, prise en conformité avec ce décret annulé de facto et de jure dès avril 1996 ? Une situation d'illégalité inexplicable et inexpliquée Il n'est pas question de prendre l'initiative d'avancer des explications. Mais ce fait constitue une preuve supplémentaire du fait que la Constitution, dont le gardien est le président de la République, n'est utilisée que quand les autorités publiques le trouvent utile pour leurs propres desseins. Au vu du fait que les autorités publiques n'ont pas mis le texte sur l'état d'urgence en conformité avec la Constitution de 1996, modifiée par celle de 2008, et vu qu'elles ne peuvent avancer l'argument de vide institutionnel pour justifier leur refus de suivre l'article 91 de ces deux Constitutions, l'état d'urgence actuel n'a aucune base juridique, et la décision annoncée au plus haut niveau de le lever n'accroît pas, à titre rétroactif, la valeur juridique du décret de février 1993. Donc, cette déclaration ne change pas la situation actuelle, où les autorités publiques maintiennent, malgré des dispositions claires prescrites par une document juridique rédigé en cercle fermé, un état d'urgence, sans fondement juridique, et dont l'application a donné lieu à des arrestations, des décisions de justice, et d'autres actes unilatéraux, nuls et non avenus juridiquement et les instances judiciaires ne peuvent que proclamer la nullité au cas où ces mesures sont contestées par ceux qui en ont souffert. En conclusion: peut-on lever un état d'urgence, maintenu en violation de la Constitution ? 1) La réponse à cette question est claire : tout acte non conforme à la Constitution est illégal et ne peut être utilisé pour justifier quelque action que ce soit prise, sur la base de cet acte. 2) Les autorités publiques l'ont délibérément maintenu sans se couvrir de la Constitution, et ne peuvent donc présenter sa levée comme une concession politique non seulement à applaudir, mais également la manifestation d'une volonté claire de changer de style de gouvernance, donc, de régime politique. 3) La seule formule constitutionnellement valide est de constater l'illégalité de l'état d'urgence. 4) Les autorités publiques ne peuvent mettre que sur elles-mêmes le blâme de cette violation patente de la Constitution, violation qui rend nulles et non avenues toutes les mesures et décisions, mêmes justifiées, prises en application de la proclamation de l'état d'urgence, pourtant dicté par les circonstances dont les autorités avaient, et continuent à détenir, le monopole de leur définition. |
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