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La pratique de la finance
islamique en Algérie ne date pas d'hier. Elle remonte à une trentaine d'années
où fut créée une institution bancaire spécialisée dans l'activité bancaire
islamique et, de surcroît, avec une participation, à hauteur de cinquante pour
cent, avec des capitaux publics nationaux. Elle sera suivie, bien plus tard,
par une autre banque à capitaux totalement étrangers. Les deux banques œuvrent
de manière régulière dans le respect des préceptes de la Chari'a
islamique sous le contrôle d'un ?Sharia board' et ce,
en dépit de l'absence d'une réglementation régissant l'activité bancaire
islamique.
C'est dire que pour beaucoup d'Algériens la finance islamique n'est pas une nouveauté. Mais, le fait marquant réside certainement dans l'annonce solennelle des pouvoirs publics de la ferme volonté de vouloir encadrer cette activité et lui donner la place qui lui revient dans l'Economie. Cette volonté était jusque-là absente en dépit du souhait longtemps décrié par une bonne partie de la population ainsi qu'une élite de penseurs, écrivains et autres universitaires qui n'ont cessé de recommander de réglementer cette activité, au vu des bienfaits qu'elle pourrait apporter à l'Economie nationale. Vint, enfin, le Règlement BA n°20-02 du 15/03/2020 définissant les opérations de banque relevant de la finance islamique et les conditions de leur exercice par les banques et les établissements financiers, qui autorisent les banques et établissements financiers publics et privés à exercer l'activité bancaire islamique via la création, en leur sein, d'un « Guichet finance islamique ». Bien que ce règlement soit perfectible à bien des égards, son grand mérite est de combler, partiellement, un vide juridique lié à une pratique existante depuis fort longtemps. C'est probablement une première étape vers la mise en place d'un cadre plus élaboré de la finance islamique dans son ensemble au regard de la volonté et de l'enthousiasme affichés par les autorités concernées qui avaient annoncé la couleur dès le départ, en qualifiant ouvertement cette activité de « finance islamique » écartant par-là toute autre appellation. Notre propos ici n'est pas de discuter le contenu du règlement de la Banque d'Algérie mais d'apporter quelques éclairages et suggestions pour une démarche favorisant la réussite de la mise en place d'un guichet finance islamique. Une décision stratégique La création d'un Guichet finance islamique ou « islamic window » n'est pas une simple action relevant de la gestion courante d'une banque ou d'un effet de mode mais bien une décision stratégique qui doit être mûrement réfléchie. Il s'agit d'introduire une nouvelle activité au sein de la banque qui a ses règles propres et un fonctionnement obéissant à des principes et des valeurs différents de l'activité bancaire classique : respect des préceptes de la Chari'a, justice, équité, responsabilité sociale et transparence totale dans les transactions. L'islamic window est, en fait, une ?mini-banque' dans la banque avec une étanchéité claire entre les deux compartiments. Ces aspects font que l'introduction de l'activité bancaire islamique nécessite, incontestablement, une démarche structurée basée, au préalable, sur une étude suffisamment complète faisant apparaître les avantages d'une telle opportunité, en tenant compte des potentialités de la banque, de ses moyens humains et matériels ainsi que de la portée de ce choix et les objectifs d'avenir. En somme, une révision du plan stratégique de la banque s'impose. Par conséquent, l'implication des hautes instances de la banque est indispensable. Un projet structurant En considérant l'adhésion des organes délibérants de la banque acquise, la création du Guichet finance islamique doit obéir à une logique propre à la conduite d'un projet structurant et complexe étant donné l'ampleur des changements à opérer et les profondes implications que cela nécessite à plusieurs niveaux. Pour ce faire, le recours à une expertise externe qualifiée est vivement recommandé pour un accompagnement à la mise en place du projet sur la base d'un cahier des charges bien identifié. En interne, un comité de suivi du projet doit être institué par une décision de la direction générale. Il doit être présidé, à notre sens, par un haut responsable de rang n-2 par rapport au premier responsable de la banque et doit comprendre, outre le futur responsable du Guichet de la finance islamique, les directeurs centraux directement concernés par le projet (Réseau d'exploitation, marketing et communication, organisation, juridique, DRH,..). Il est élargi aux autres compartiments au fur et mesure de l'avancement des travaux de réalisation du projet. Le comité doit travailler en étroite collaboration avec le cabinet d'expertise externe. Les comptes rendus du comité de suivi sont exposés régulièrement au Conseil de Direction Générale qui en est en même temps le comité de pilotage et d'arbitrage pour les questions nécessitant son intervention. Les préalables La «Road map» du projet doit définir clairement les actions à entreprendre, leur ordonnancement et les délais de réalisation. Le chronogramme des actions doit identifier les prérequis indispensables à la phase de démarrage du projet. Nous citerons : - La désignation d'un Comité de contrôle charaïque L'une, sinon la condition sine qua none, pour l'exercice de toute activité liée à la finance islamique est la désignation d'un ?Sharia board' ou Comité de contrôle charaïque qui a pour principale mission de s'assurer de la conformité de toutes les opérations pratiquées par le Guichet finance islamique aux principes de la Chari'a et d'émettre des avis et des orientations en la matière. Son accord préalable doit être requis avant le lancement de tout nouveau produit ou service de même que pour les modèles de contrats et de conventions que compte utiliser la banque dans ses transactions avec les clients et autres partenaires et prestataires. Dans ce sens, son consentement est de nature à faciliter à la banque l'obtention du certificat de conformité auprès de l'Autorité Charaïque Nationale de la Fatwa pour l'Industrie de Finance Islamique, lequel certificat constitue une pièce maîtresse dans le dossier à fournir à la Banque d'Algérie pour avoir l'autorisation de mise sur le marché des produits de la finance islamique. Le ?Sharia board' est composé d'au moins trois membres proposés par le Conseil d'administration de la banque et désignés par l'Assemblée générale des actionnaires. Les membres doivent être choisis parmi les oulémas et spécialistes dans des disciplines en liaison avec le fiqh des transactions financières islamiques. Le Comité est indépendant dans son fonctionnement par rapport à la direction générale de la banque. Ses décisions et avis sont exécutoires pour la banque. Pour ce faire, il établit des rapports périodiques à l'endroit de l'organe exécutif de la banque. Il adresse, à la fin de chaque exercice, un rapport à présenter à l'Assemblée générale ordinaire de la banque portant sur la conformité des opérations traitées par la banque aux principes de la Chari'a islamique. Dans l'exercice de ses missions, le ?Sharia board' est assisté par un Auditeur interne qui lui est rattaché fonctionnellement et qui a pour tâches essentielles de veiller à l'exécution par les structures de la banque des décisions et avis émanant du Comité et de s'assurer du respect des principes de la Chari'a dans toutes les opérations traitées par elles. - L'indépendance de l'«islamic window» De par la nature et les règles qui régissent ses activités, le guichet finance islamique doit être indépendant administrativement et financièrement des autres structures de la banque. D'ailleurs, le Règlement de la Banque d'Algérie sus-indiqué l'exige fermement. Cette indépendance doit être matérialisée par un certain nombre de mesures que la banque doit entreprendre bien avant de se lancer dans l'exercice de l'activité de la finance islamique. Parmi ces mesures, il y a lieu de procé-der à l'élaboration d'une organisation qui définit clairement les relations hiérarchiques et fonctionnelles entre les différentes composantes de l'organigramme dédié au guichet ainsi que les relations de ce dernier avec les structures de la banque-mère. L'organisation doit comprendre également les procédures et la description des postes de travail au niveau agence et au niveau central. En matière de ressources humaines, la sélection des candidats à affecter au guichet finance islamique doit être minutieusement opérée que ce soit au niveau managérial, intermédiaire ou pour les postes d'exécution, compte tenu des exigences professionnelles spécifiques et du respect des critères éthiques caractérisant la finance islamique. Le comportemental, les convictions personnelles et la volonté d'adhésion sont des atouts qui militent en faveur de la réussite du projet. La formation et la préparation du personnel notamment sur les aspects en liaison avec les préceptes de la Chari'a en est un autre atout fondamental. Un plan de formation doit être mis en place en vue de garantir un bon démarrage de l'activité, accompagner son déploiement et veiller au perfectionnement continu des compétences des équipes. S'agissant des agences qui vont abriter le guichet finance islamique, elles doivent être bien ciblées en retenant celles qui présentent le plus d'avantages pour une cohabitation parfaite entre les deux activités conventionnelle et islamique pour éviter toute gêne de quelque nature que ce soit aussi bien pour le personnel que pour la clientèle. Dans ce chapitre, le paramètre lié à la séparation des espaces est une condition primordiale. Et, pour être conforme à la Chari'a, la réservation des espaces au profit du guichet finance islamique doit se faire sur la base d'un contrat de location moyennant un loyer à verser par ce dernier à la banque. Il en de même pour toutes les prestations et services fournis par la banque à la faveur du guichet. La banque étant considérée comme un prestataire externe. L'autonomie financière est, sans conteste, un des principaux éléments de la consécration de l'indépendance du guichet finance islamique qui doit, impérativement, disposer de ses ressources financières propres pour répondre aux sollicitations des clients en matière de financements et pour la prise en charges des dépenses d'exploitation. Cependant, et dans l'attente d'une mobilisation suffisante des dépôts, il est recommandé que la banque-mère dote le guichet finance islamique d'un fonds initial pour lui permettre d'assurer le démarrage de son activité et faire face aux différentes dépenses. Cette avance se fera sur la base d'une des formules d'investissement islamiques et, de préférence, sous forme d'un ?Qard al hassen' remboursable au fur et à mesure de l'amélioration de la situation financière du guichet. L'indépendance financière doit se refléter aussi à travers le traitement comptable de toutes les opérations bancaires du guichet finance islamique, l'édition des états financiers et l'établissement des reporting réglementaires exigés par les autorités monétaires. Un suivi rigoureux par les structures concernées est à opérer dans ce sens afin d'assurer l'étanchéité totale entre les fonds du guichet et ceux de la banque. Cet aspect peut être facilité par l'exploitation des performances des systèmes d'information, du bon paramétrage des opérations et de la conception de guides opératoires permettant aux agents la bonne saisie des opérations. Les enjeux concurrentiels Aujourd'hui, ?la chasse est ouverte'. Le Règlement de la Banque d'Algérie a ouvert la voie à toutes les banques et établissements financiers désirant se lancer dans l'activité bancaire islamique. Il y a déjà des banques qui ont pris le départ, d'autres sont en cours de préparation et certaines autres observent une position de « wait and see ». Quoi qu'il en soit, il est à prévoir, dans un proche avenir, une métamorphose du paysage bancaire national où la concurrence sera rude et le meilleur aura une part de marché intéressante. Entre autres facteurs favorisant la concurrence, nous citerons : - La politique tarifaire C'est une question centrale dans toute stratégie commerciale et un élément fondamental du marketing Mix. Elle doit être conçue de manière à tenir compte des contraintes internes de coûts et des exigences du marché. L'érosion progressive des marges avec la généralisation attendue de la pratique de l'activité bancaire islamique impose une réflexion approfondie pour conserver une rentabilité correcte tout en maintenant une compétitivité affirmée. Il est essentiel de choisir un niveau pertinent de tarification et de prendre en considération l'effet psychologique et la perception de la clientèle, notamment les particuliers, à l'égard de ce paramètre. En sus des considérations générales ci-dessus, la tarification des produits bancaires islamiques, doit obéir à certains principes fondamentaux de la Chari'a : équité, transparence et partage des profits et des pertes. La fixation des tarifs des produits et services ne doit aucunement faire référence aux taux d'intérêts mais bien aux prix des actifs réels objets des transactions et à la valeur de l'utilité de la prestation fournie pour les services. Les tarifs doivent être communiqués au préalable à la clientèle dont le consentement doit être requis avant l'exécution des opérations. - Stratégie de communication Quelle que soit l'offre attractive en matière de tarification des produits et les autres avantages comparatifs, l'effet escompté au plan commercial et de la rentabilité dépend de la capacité de la banque à communiquer et à mettre en valeur ses différences par rapport à ses concurrents. La stratégie de communication est déterminante dans un environnement concurrentiel. Elle doit définir avec clarté les actions à engager pour atteindre les objectifs fixés avec rigueur. De manière générale, le processus d'élaboration d'une stratégie de communication comprend l'analyse du marché, le positionnement recherché, le choix du public cible, la conception de l'axe de communication et des messages à diffuser et l'élaboration du plan de communication traduisant dans les faits les actions retenues. La mise en œuvre de ce dernier passe nécessairement par la bonne sélection des canaux de communication susceptibles de véhiculer, le mieux, les messages auprès des populations ciblées. Dans ce contexte, une identification visuelle par un logotype du guichet finance islamique est recommandée pour provoquer un effet de mémorisation et une reconnaissance aisée par la clientèle des agences pratiquant l'activité bancaire islamique. Le logotype doit figurer également sur l'ensemble des documents utilisés par le guichet finance islamique (chéquiers, livrets d'épargne, bordereaux de versements, conventions et contrats, courrier,?). De même, l'utilisation d'un slogan bien conçu est de nature à faciliter une communication attractive. Aussi, il convient de ne pas omettre la communication interne à l'endroit du personnel de la banque qui doit être bien informé sur le projet de mise en place du guichet finance islamique, notamment au niveau des agences devant abriter l'activité bancaire islamique. - La prise en charge des attentes de la clientèle Le couronnement de tous les efforts qu'aura consentis la banque pour la réalisation du projet de mise en place du guichet finance islamique passe, nécessairement, par la bonne prise en charge des attentes de la clientèle au niveau des agences. Le bon accueil, la qualité de service, la célérité dans le traitement des opérations bancaires, la réactivité et la discrétion, sont autant de paramètres à mettre dans la balance de la concurrence. Ils sont, pour beaucoup, à l'origine de la fidélisation de la clientèle notamment corporate et VIP qui est souvent disposée, en contrepartie, à payer le prix fort. De nos jours, la clientèle, bien avisée sur les mécanismes bancaires, devient de plus en plus exigeante. C'est pourquoi, l'agence endosse une grande responsabilité de par le fait qu'elle soit en rapport direct avec la clientèle que ce soit par le contact physique ou bien à travers les canaux d'interactions modernes (emails, sms, réseaux sociaux, plateformes,?). L'agence demeure la vitrine et la voix de la banque. Alors, il est déterminant pour les banques de prendre toutes les mesures pour améliorer constamment la qualité de service et la prise en charge de la clientèle. C'est un gage de confiance et un moyen d'augmenter le taux de recommandations. En effet, un client satisfait passera le message autour de lui et devient lui-même un canal publicitaire pour la banque. A contrario, un client mal servi peut provoquer le bouche-à-oreille négatif. Par conséquent, l'erreur, la négligence et les comportements maladroits peuvent être fatals pour l'agence voire pour le guichet finance islamique dans son ensemble. Le développement de la qualité de service passe forcément par la sélection de la ressource humaine, la formation continue et la sensibilisation du personnel surtout sur les aspects liés à la Chari'a. Conclusion Au final, en sus des éléments mentionnés ci-dessus, il est, à notre sens, utile pour les banques ayant décidé de se lancer dans l'activité bancaire islamique à travers la mise en place de guichet finance islamique, d'envisager une démarche graduelle quant à la commercialisation des produits et au choix des agences. L'activité étant nouvelle et les produits diversifiés et plutôt complexes, il est préférable de commencer par commercialiser les produits de base (comptes de dépôts à vue et d'épargne) et les formules de financement facilement maîtrisables (Mourabaha, salam, Ijara?) et de passer, par la suite, aux formules présentant des caractéristiques plus élaborées notamment les formules participatives. Le choix judicieux des agences, devant abriter l'activité bancaire islamique, est primordial. Ne seront retenues, en principe, que celles présentant toutes les commodités au plan de l'espace, de la ressource humaine et de l'emplacement stratégique. La phase de lancement doit se limiter à une ou deux agences pilotes minutieusement sélectionnées en mobilisant la ressource nécessaire pour les assister dans le démarrage de l'activité. Le succès du ?kick off' facilitera logiquement le déploiement progressif sur les autres agences. Par ailleurs, il est évident que toute expérience nouvelle engendre au départ inéluctablement quelques insuffisances ou imperfections qu'il y a lieu de rattraper par la suite et d'éviter lors de la phase de déploiement. A ce niveau, une indulgence est à observer par les instances de contrôle de la banque, notamment charaïque, dont le rôle est d'assister et d'orienter la banque dans l'application correcte des préceptes de la Chari'a. Le Prophète Mohamed (QSSSL) n'a-t-il pas dit « Cette religion est solide, introduisez-vous progressivement » Enfin, nous souhaitons bon vent à toutes les institutions bancaires et financières qui décident de se lancer dans la course. *Docteur en Monnaie, Finance et Banque de l'Université de Paris II - Ex DGA dans une banque islamique |
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