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A chaque baisse des prix du
pétrole, on assiste au même constat : déficit de la balance de paiement,
déficit budgétaire, déficit de la balance commerciale? Bref, malgré les
discours rassurants des pouvoirs publics, les indicateurs macroéconomiques sont
alarmants et n'augurent pas des lendemains heureux. Cette situation récurrente traduit
la fragilité de notre économie et condamne l'Algérie dans son éternel sous-développement.
Cette liaison de l'économie algérienne aux prix du pétrole appelle quelques remarques : - Une première remarque consiste à dire que le bien-être de l'Algérien est lié au prix du pétrole. Si le prix augmente, l'Algérien va bien, mais si ce prix diminue, il va moins bien. - Le prix du pétrole est fixé sur le marché mondial, il n'est pas lié à un effort productif national. Ce qui veut dire que ce n'est pas parce que nous travaillons plus que nos recettes extérieures augmentent. Nous vivons essentiellement des importations (blé, sucre, lait, produits textile?) qui sont couvertes par les recettes extérieures. Notons que la facture des importations est passée de 10 à 60 milliards de dollars entre 2000 et 2015. Par conséquent, le bien-être de l'Algérien est lié au travail des autres. - Finalement, en Algérie, nous n'avons pas affaire à une société laborieuse qui améliore son sort par l'effort qu'elle fournit. Notre société ne produit pas de la richesse mais vit de la richesse produite par les autres. Au lieu de produire chez nous ce dont nous avons besoin, nous faisons travailler les autres. On crée des emplois à l'extérieur. Il paraît que 20 pour cent de l'électorat français vivent grâce aux échanges avec l'Algérie. De ce fait, nous sommes en présence d'un système qui fonctionne comme un empire. Un empire est une communauté de peuples (plèbe romaine) vivant du travail des autres (barbares). Cependant, si le peuple n'est qu'une plèbe romaine, il y a une «sacra gentilica» (gens sacrés), des praticiens qui conduisent les affaires du pays. Nous y reviendrons. Mais, comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a bien sûr la rente pétrolière. Mais cette rente n'explique pas tout. Tel est l'objet de cette réflexion. Il est bien évident que les économies basées sur l'exploitation des ressources naturelles sont vulnérables aux cycles expansion-récession de l'économie mondiale, notamment à travers des chutes ou augmentations brutales des prix de ces ressources. Aussi, l'exportation de grandes quantités de ressources naturelles peut entraîner un changement significatif du taux de change qui, à son tour, peut conduire à une diminution de la compétitivité des secteurs hors ressources naturelles. Les économistes qualifient cette situation de «syndrome hollandais». C'est le cas de certaines économies qui disposaient de ressources importantes et qui ont vu leur situation se détériorer (l'Australie à la suite de la ruée vers l'or des années 1850 et le Mexique des années 1970 lors du boom pétrolier). Mais est-ce que tous les pays qui ont une rente ont subi le même sort ? Déjà au XVIIIe siècle, la rente avait suscité de nombreuses discussions avec les travaux des fondateurs de l'économie politique pour qui, selon eux, les ressources naturelles peuvent être à l'origine d'un avantage en termes de coûts de production pour une économie nationale comme chez Smith (les avantages absolus) et chez Ricardo (les avantages comparatifs). Les ressources naturelles peuvent être une source d'innovation (Schumpeter). C'est le cas du charbon dans la révolution industrielle en Angleterre, et le pétrole dans la seconde révolution industrielle et plus récemment le cas du Botswana, du Chili et de l'île Maurice dont les taux de croissance avoisinent les 6%, soit le double de l'Algérie. La rente pétrolière peut non seulement soutenir la croissance économique mais aussi la pérenniser, si elle est utilisée de façon efficace, équitable et durable sur le long terme. Il est possible d'augmenter la valeur commerciale d'une ressource naturelle à travers la transformation de produits bruts en dérivés. Nous pensons que le paradigme de l'Etat rentier n'est pas pertinent pour expliquer la crise algérienne, il occulte la défaillance du système de gouvernance qui est antérieur à l'ère pétrolière. En d'autres termes, l'économie rentière n'est qu'un voile qui rend opaque la visibilité d'une défaillance structurelle plus profonde. Aujourd'hui, les théories de la croissance économique nous disent que la conversion du capital naturel en capital social et humain peut stimuler la croissance économique mais exige des institutions et une gouvernance de bonne qualité. Toutefois, ces institutions accompagnées d'une bonne gouvernance n'existent qu'à travers l'Etat. Celui-ci correspond à un mode d'organisation sociale territorialement défini et à un ensemble d'institutions caractérisées par la détention du monopole de l'édiction de la règle de droit applicable à tous et de l'emploi de la force publique. Or, toute la difficulté d'un pays comme l'Algérie réside dans la construction de l'Etat. Si l'Etat se caractérise par sa transcendance dans le sens où il est au-dessus de tout autre ordre social (familial, clanique, tribal?), il est l'expression du cadre commun à la vie de tous les citoyens. La construction de l'Etat algérien depuis l'indépendance a obéi à une logique particulière. Logique qui tire son origine du mouvement de Libération nationale qui n'a été que la mise en place d'un ensemble d'administrations né de la décolonisation sans contenus politique et idéologique (Lahouari) propres à l'Etat. Cet Etat formel s'est construit sur l'unité du peuple contre l'ennemi extérieur. La société avec ses contradictions n'existe pas. L'opposition est perçue comme une menace organisée par une main étrangère. Sur le plan économique, les pouvoirs successifs depuis 1962 ont tous tenté un développement économique en dehors du marché. Ce refus du marché est motivé par trois raisons principales : 1- La lutte de Libération nationale est considérée comme une lutte contre l'impérialisme et le marché qui en est le support économique. 2- L'idéologie mouvement national (Lahouari, 2013) n'admet pas les inégalités sociales du marché. L'égalitarisme social est une justice sociale. 3- Le marché (Lahouari, 2013) institutionnalise les libertés publiques auxquelles le régime algérien est hostile. Les libertés publiques produisent l'opinion publique, source d'opposition. En économie, nous dit Arthur Lewis, la dimension politique joue un rôle majeur dans le développement économique. Appliquée aux pays sous-développés, les régimes autoritaires constituent un obstacle au développement. Le régime autoritaire issu de la guerre de Libération nationale refuse le marché ainsi que la constitution d'une société civile. Ce refus du marché va mettre la société dans un rapport particulier à l'Etat. Ce n'est plus l'Etat qui dépend de la société mais, c'est la société qui va dépendre de l'Etat. Au lendemain de l'indépendance, les pouvoirs publics confisquent boutiques, hôtels, cinémas, commerces et autres activités qui viennent s'ajouter à la liste des biens abandonnés dans leur exode par les Européens et que les autorités déclarent vacants. Par cette pratique de confiscation-nationalisation, tout investissement privé national est dissuadé. L'Etat indépendant, qui hérite du vaste domaine approprié par l'Etat colonial, semble vouloir réduire davantage encore les moyens matériels pouvant servir de fondement à l'apparition d'une société civile (Henni, 1998). Le pouvoir (Henni) « eut immédiatement le sentiment qu'il ne dépendait pas de cet ensemble de quémandeurs et que tenir l'administration, c'était tenir le moyen de neutraliser les individus marquants. Les biens vacants furent avant le pétrole la première rente que s'attribua le régime et dont il monnaya la redistribution en hiérarchisant les bénéficiaires par la création d'ayant droits privilégiés ». La redistribution de ces biens se fait en faveur de personnes qui formeront une clientèle en faveur du pouvoir en place. Dès 1963-64, les autorités monopolisent les importations et les exportations ainsi que la détention de devises. C'est l'Etat qui est le vendeur unique de vin, de pétrole, de gaz ou de minerai de fer. Par cette pratique, les pouvoirs publics placent les particuliers dans une situation de demandeurs, d'où le clientélisme (Henni, 1998). Cette centralisation entraîne la disparition de la multiplicité des acheteurs et des vendeurs. Quand l'Etat monopolise les ressources extérieures, il tient la société tout entière et la soustrait aux règles de l'économie. La société en perdant son assise économique se place sous le contrôle de l'Etat qui devient hégémonique. L'institution de la subvention sur les prix des produits importés se traduit par la disparition des produits locaux. C'est ainsi que l'Algérien abandonne les cultures de haricots secs, de pois chiches, de lait, etc., devenus source de revenus misérables. C'est ainsi que l'activité économique, au lieu d'être une source de création de la richesse locale, devient circulation de richesses produites ailleurs. L'économie devient une circulation marchande plutôt qu'une activité de production. Ce n'est pas l'effort dans la production mais plutôt l'effort dans la circulation marchande qui est rémunéré. C'est le principe de fonctionnement des empires. Avec la crise financière de 1986 et les émeutes d'octobre 88, une nouvelle Constitution donne à la société le cadre de son émergence civile (Henni, 1998) tout en la privant des moyens en ressources extérieures nécessaires à la concrétisation de ce destin. Il s'avère, en fin de compte, que ce changement de régime politique obéit plutôt aux contradictions internes à la classe politique qu'aux contradictions de la société. L'analyse anthropologique, nous dit Henni (2014), de longue durée montre qu'il s'établit ainsi un authentique «dynastisme» collectif, qui admet certes les compétitions individuelles, mais seulement au sein du même groupe social qui se reproduit collectivement. Ce «dynastisme» composé des individus qui tirent leur légitimité de la guerre de Libération nationale, élargit sa base sociale en intégrant les femmes, enfants et petits-enfants des anciens combattants. Le budget des moudjahidine (anciens combattants) dépasse les 250 milliards de dinars, soit 10 fois plus que celui de la recherche scientifique et 10 milliards de plus que celui de l'agriculture. Ainsi se forme une véritable couche sociale composée d'ayant droits qui va bénéficier de privilèges dans l'accès à l'emploi, au logement et autres avantages. Cette base sociale qui se qualifie de famille révolutionnaire est aussi un réservoir d'électeurs fidèles qui permettent au pouvoir de se reproduire. Raison pour laquelle la vie politique se limite aux activités électorales permettant la légitimation du partage du pouvoir qui se fait toujours au détriment de la population. A voir les taux d'abstention aux élections, on se rend compte que les votants sont en grande partie constitués de cette clientèle d'ayant droits. Le taux officiel de participation aux élections n'a jamais atteint les 50% depuis 1999. Dans certaines villes telles que Alger, Oran, Tizi Ouzou et Bouira, etc., les niveaux de participation ont souvent été inférieurs à 30%. Tel est en réalité le cas de la construction inachevée de l'Etat un demi-siècle durant, caractérisé par les remaniements successifs des gouvernements, le pilotage à vue et l'absence d'une vision claire de développement. Ce refus de construire un Etat de droit repose depuis l'indépendance sur la conception qui perçoit l'Etat comme un butin de guerre à partager entre les protagonistes de l'élite dirigeante. C'est ainsi que les postes à pouvoir constituent la manière la plus sûre pour prendre part au partage du butin. On assiste alors à une course effrénée pour ces postes qui se fait au détriment de la compétence. C'est ce même pouvoir qui attribue par une simple signature terrain, logement, local commercial, autorisation d'importation? C'est ce même pouvoir qui exclut ceux qui ne lui font pas allégeance. Les affaires deviennent le privilège d'une minorité qui s'enrichit rapidement. A cet effet, la bourgeoisie européenne a mis deux siècles pour s'enrichir. En Algérie, ces modes d'ascension rapides conduisent à l'institutionnalisation d'un système de parenté de clanisme et d'allégeance comme moyen de promotion sociale. Il en résulte une perte des repères qui produit une culture de la violence qui se manifeste dans l'espace public mais aussi une culture du mépris du travail. Ce n'est pas le travail qui est récompensé. Il suffit de se frayer le chemin du pouvoir ou s'enrichir pour avoir un statut social. Les jeunes diplômés qui sortent de l'université verront l'inutilité de leurs diplômes devant ces analphabètes qui réussissent. Enfin, ce qui condamne l'Algérie dans son éternelle position de pays pauvre n'est pas lié aux mauvaises décisions mais aux hommes qui prennent ces décisions. En acquérant son indépendance, la société algérienne a perdu son autonomie. *Professeur université de Tlemcen Notes: Addi L., « Marché, Etat et société en Algérie », Le Soir d'Algérie du 28 - 01 - 2013 Henni A. « Algérie Élection présidentielle, ou dynastisme collectif? », Maghreb émergent du 17 mars 2014 Henni A, « La superposition historique en Algérie des cycles de ressources extérieures et des cycles politiques ». Document de travail, mai 1998 Henni A, « Les antagonismes politiques en Algérie 1962-1988 ». Document de travail, mai 1998 |
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