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L'université algérienne est aujourd'hui dans un état désastreux et lamentable à tous les niveaux. Elle fabrique du désespoir et des candidats destinés en masse au chômage. En plus de la faiblesse de l'encadrement professoral et de la négligence des ressources humaines, l'université souffre de son mode de gestion mais aussi du manque de débouchés réels pour les diplômés. Pour raisons, la qualité et le niveau des diplômes décernés laissent de plus en plus à désirer, un marché de l'emploi privé peu dynamique et peu adapté. Au-delà de «la politique des chiffres» et au-delà des chiffres officiels glorifiant les réalisations dans le domaine, les faits sont édifiants. L'université peine à atteindre le niveau requis et à accomplir ses missions sociétales et économiques pourtant primordiales pour toute Nation qui veut se moderniser. L'absence d'universités algériennes dans les classements effectués par certains organismes internationaux ou l'apparition de certaines universités algériennes à des rangs qui font rougir de honte viennent confirmer en partie leur piètre performance. Récemment, dans un article paru le 7 septembre 2015 dans Le Quotidien d'Oran, M. Tahar Hadjar, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, questionné sur les mauvaises performances des universités algériennes dans les classements internationaux, n'a pas trouvé mieux à faire que de critiquer les outils et les méthodes d'évaluation des performances universitaires utilisés par ces organismes : « Il y a une amélioration continue et ce classement ne nous concerne pas... Les moyens utilisés pour bénéficier d'un bon classement nous les connaissons mais nous ne voulons pas les utiliser pour ne pas tomber dans la tricherie. Nous savons que certaines universités ramènent des enseignants d'autres universités rien que pour avoir un bon classement...». Cette réponse surprenante de la part d'un ministre de tutelle nous laisse dubitatif et nous fait penser à la fameuse fable du renard et du corbeau. Il a certainement voulu dire que certains critères d'évaluation tels que l'embauche d'un prix Nobel dans une université est l'un des critères pris en compte qui augmente énormément les chances d'une université de se retrouver parmi les mieux classées. Nous aurions bien aimé lui demander «comment se fait-il que l'université algérienne n'arriverait pas, même si elle le souhaitait, à attirer ou à créer un seul prix Nobel ?» Vaste programme... Ce genre de réponse officielle relève à la fois de l'arrogance et de l'ignorance de nos dirigeants politiques actuels. Il s'agit d'un cocktail explosif : la démagogie, la fierté mal placée et l'ignorance érigées en sciences pour endormir le peuple algérien. Il est grand temps de se dire la vérité et de construire un État algérien bâti sur la confiance, l'honnêteté et le savoir. Et l'université maillon essentiel ne peut pas fonctionner sans objectif, avec une structure politique autoritaire, pyramidale. L'université algérienne d'aujourd'hui n'a pas atteint le niveau de maturité en termes de personnels (cadres enseignants et cadres administratifs) et d'outils de gestion qui lui permettraient d'être gérée comme une «entreprise» d'intérêt public. La valse des ministres et des directeurs de l'enseignement supérieur, assis tous sur des chaises musicales, induit de fait une non-gouvernance qui empêche d'avoir des gestionnaires hautement expérimentés et qualifiés dans le secteur de l'enseignement supérieur. Les directeurs actuels n'ont pas souvent de formation en management ou en gestion de projet, de plus très peu ont le profil adéquat permettant de planifier ou d'exécuter une stratégie ambitieuse pour l'Université algérienne. L'un des grands malheurs de l'université algérienne lui vient aussi du fait qu'elle n'est pas gérée par des universitaires. Le rapport des forces est plus favorable à l'appareil administratif qui s'accapare la gestion politique, administrative et pédagogique des cursus des étudiants. A ces problèmes s'ajoute celui de la multiplication des réformes, souvent contestées à la fois par les enseignants et les étudiants. Ainsi, nous pensons que l'université algérienne n'aurait jamais dû adopter en grande pompe avec un mimétisme servile le système européen LMD, système fait pour les étudiants et le contexte européen, l'Algérie ne se trouve pas en Europe. Quel en est le bénéfice pour les étudiants algériens? Aucun, et mal appliqué, il est même à l'origine d'une confusion dans la pratique et dans l'esprit des étudiants. Nous entendons souvent aussi que notre pays détient des compétences exceptionnelles et qu'elles sont très nombreuses aussi bien dans le milieu universitaire qu'ailleurs. Pourquoi vivons-nous alors tous ces problèmes si nous avons vraiment les bonnes personnes pour gérer les universités ? Pourquoi notre matière grise a-t-elle quitté et quitte-t-elle encore le pays ? Il existe un manque énorme de compétences et le peu de personnes qui détiennent vraiment un savoir-faire sont mises en quarantaine et écartées du processus de décision. Les conséquences de ces deux constats sont palpables au niveau national dans tous les domaines et cela à tous les niveaux hiérarchiques et politiques. Nous pensons que les débuts des solutions résident dans le rôle que doivent jouer les différents éléments qui composent l'université et le système universitaire. Par exemple, l'enseignant-chercheur est l'acteur principal dans tout système universitaire, il représente la valeur d'aujourd'hui et de demain de cette institution. Il compose en grande partie son capital principal. Mais, malgré qu'une grande partie des enseignants-chercheurs s'évertuent à faire bien leur travail, ils sont devenus malheureusement aussi le reflet de toutes les lacunes du système universitaire algérien, du fait d'une part minoritaire mais non négligeable de moutons noirs influents dans leurs rangs. Est-ce que l'enseignant-chercheur algérien est conscient du rôle qu'il peut et doit jouer dans l'évolution de la société et la prospérité de l'Algérie ? Nous n'en sommes pas sûrs. Les enseignants-chercheurs ne participent pas à faire évoluer l'université. Le niveau du diplôme algérien laisse à désirer, l'enseignement supérieur est devenu synonyme de non-productivité et de garderie organisée à l'échelle nationale, une bonne partie du corps enseignant est motivée par la profession uniquement car la charge horaire lui permet d'avoir des temps de repos réguliers, d'accomplir éventuellement d'autres activités lucratives ou de bénéficier de certains privilèges comme des séjours tout payé à l'étranger pour faire du shopping sous prétextes de séjours scientifiques ou de formations professionnelles. Pour ce dernier point, des millions d'euros sont ainsi distribués à perte aux enseignants-chercheurs sans qu'aucune évaluation ne soit faite et sans qu'aucun rapport scientifique sérieux ne soit demandé lors du retour en Algérie. L'enseignant universitaire est supposé être informé de ce qui se fait le mieux dans son champ de compétence direct et dans d'autres champs connexes. Or encore une fois, le constat est accablant, le manque d'implication et la futilité des sujets de recherche font que l'enseignant-chercheur se trouve incapable de suivre une dynamique de recherche rigoureuse, innovante et motivante. Quelques exemples rapportés récemment par la presse algérienne l'ont démontré; il y a aussi un vrai problème au sein du corps des enseignants universitaires quant à l'honnêteté scientifique. Un des principes de l'éthique de cette noble profession est d'être honnête envers le Savoir et la Science. Or malheureusement, le plagiat, la falsification des résultats, l'appropriation des documents scientifiques sans en être les auteurs originaux et tant d'autres situations de malhonnêteté, sont monnaie courante dans le milieu universitaire et Internet a amplifié ce phénomène très inquiétant. Ceci est dû à la paresse intellectuelle et à l'incompétence de certains enseignants-chercheurs qui nuisent ainsi gravement à la profession. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue la course au passage de grade à n'importe quel prix car ces promotions sont synonymes d'un salaire plus élevé et d'un pouvoir plus élargi. La corruption est malheureusement présente aussi dans l'enseignement universitaire et il ne s'agit pas de cas isolé. L'affairisme a atteint le corps enseignant et a gangrené le cœur et les esprits d'un ensemble assez important de décideurs dans le milieu universitaire (enseignants et administrateurs). L'attribution des notes et la réussite ne se font pas parfois sur le compte d'une évaluation des connaissances purement scientifiques mais plutôt sur d'autres considérations indignes qui n'ont aucun rapport avec le savoir. Les concours d'entrée destinés aux étudiants dans certaines institutions sont ainsi aussi minés d'irrégularités. Il serait temps de sanctionner lourdement ces comportements qui portent atteinte gravement à l'ensemble de l'institution universitaire et à l'avenir de l'Algérie. Il y a bien longtemps qu'une vraie stratégie nationale pour les universités aurait dû être mise en place en partenariat avec le monde de l'entreprise. Chaque université doit réussir, en collaboration avec le monde socioéconomique et son environnement, à identifier ses propres besoins en matière d'enseignement et de recherche, ses besoins de financement et elle se doit de définir comment donner un avenir aux générations d'étudiants algériens, à construire une Algérie solide avec une économie moderne basée sur le savoir, sur les compétences, sur la créativité, sur l'innovation technologique et scientifique, sur l'entreprenariat et la création d'entreprises. Pour cela, il faut impérativement mettre en place un système de mesures des performances pour évaluer nos institutions universitaires. Il faut instaurer une dynamique au sein des universités, aussi bien dans la qualité des enseignements que de la recherche, avec un contrat d'objectifs et de moyens contrôlé au moyen d'évaluations fréquentes par l'intermédiaire d'agences ou de missions ministérielles indépendantes. Ce système pourrait inclure aussi un ?benchmark? qui servira aux institutions universitaires de références à atteindre ou battre. Il faut que ce mode d'évaluation soit basé sur des critères scientifiques objectifs «quantifiables» et il doit inclure aussi la dimension internationale qui nous permettra de nous positionner par rapport à l'ensemble des universités à travers le monde. La réussite de notre système universitaire passe en partie par les enseignants-chercheurs. Ce corps enseignant doit être renforcé en qualité mais il doit aussi faire son bilan, son mea-culpa et il doit indubitablement s'assainir des individus qui lui portent tort et qui fonctionnent en cultivant les pratiques douteuses et malsaines. Nos enseignants doivent se rendre à l'évidence que le défi à relever est énorme et que si des mesures urgentes ne sont pas prises au plus vite, tout le système coulera, y compris les institutions étatiques. Toutes les composantes de la société civile sont elles-mêmes menacées et elles le seront davantage de manière irréversible si nous n'agissons pas au plus vite. L'enseignement supérieur représente le cerveau et les poumons du corps de la société civile et il est supposé être un vivier d'idées, d'innovations et d'individus hautement qualifiés. Or ce cerveau et ces poumons ont cessé de fonctionner depuis longtemps en Algérie. Dans l'état actuel des choses, nous sommes dans un état végétatif maintenu artificiellement en vie par l'argent du pétrole, jusqu'à quand ? Pour quitter cet état de mort clinique, nous devons nous ressaisir car le temps presse et il ne nous reste plus beaucoup de temps, en espérant qu'il ne soit pas trop tard, vu la chute inexorable du prix du pétrole et la baisse automatique des moyens d'investissement de l'Etat. Mettons pour une fois nos intérêts personnels, notre fierté mal placée et notre ego de côté et pensons à l'avenir de futures générations et de la place que nous voulons donner à l'Algérie libre et indépendante au sein des nations dans le monde de demain. 1- Professeur d'Université 2- Enseignant-chercheur |
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