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C'est en passant par l'infime qu'on peut se faire une idée du tout.",
Orhan Pamuk (Prix Nobel de littérature), Grand Entretien.
Nous les croisons dans les couloirs de nos établissements universitaires. Ils nous font face dans nos amphithéâtres et dans nos salles de TD. Ces rencontres passées, ils disparaissent souvent de nos consciences un peu comme ces êtres et ces choses qui, chez l'individu qui n'a pas encore maîtrisé le stade de la conservation des objets, n'existent plus sitôt qu'ils ont quitté son champ de vision. Pourtant, ils continuent d'exister et, l'état de nos institutions universitaires et ce que nous leur y offrons étant souvent ce qu'ils sont, ce n'est peut-être qu'une fois qu'ils disparaissent de notre vue qu'ils commencent à exister vraiment. De quoi cette existence est-elle faite ? Poursuivant mon intérêt pour cette population estudiantine qui fait l'Université, j'ai, vers la fin de l'année universitaire 2014-2015, demandé à des étudiants de master 1, filière sciences du langage du département des lettres et langue anglaises, Faculté des lettres et langues, Université Mentouri de Constantine, s'ils voulaient participer à une petite expérience sans prétention aucune, dont le but serait de consigner une journée de leur vie de tous les jours. Absolument anonyme, avais-je insisté dans un souci d'assurer autant leur collaboration que la bonne foi des informations fournies, chaque contribution ne devait être accompagnée que par l'âge, le sexe, et la mention 'vivant à la maison/en cité universitaire' du participant. Cinquante (50) étudiants, quarante-sept (47) jeunes filles et trois (03) jeunes hommes, ont ainsi librement consenti à relever par écrit les activités dont était faite une journée de semaine, de 8 heures à 23 heures, avais-je proposé, de leur vie d'étudiants ; 'a day in the life', en somme, m'avaient-ils alors rétorqué, exhibant fièrement leur anglais. Vraisemblablement compilés en fin de leur journée qu'ils décrivent plutôt qu'au fur et à mesure de leurs activités, les faits que les étudiants reportent, qui plus est de manière contrastée allant d'une mention vague et succincte de leurs occupations pour certains à un décompte d'apparence précise, presque heure par heure pour d'autres, relèvent peut-être plus de ce dont ils se souviennent de cette journée que de chaque action dont elle a été véritablement faite. Cela doit être gardé en mémoire dans la lecture de ce qui suit. Ensuite, l'objet très personnel de l'exercice et surtout le nombre restreint des étudiants qui s'y sont prêtés, sont loin de permettre d'en tirer de quelconques conclusions ou généralisations. Cela aussi doit être gardé en mémoire. Pourtant, cette immersion dans une journée du vécu des étudiants telle que décrite par eux demeure fructueuse ; dévoilant des curiosités qui, pour anecdotiques qu'elles puissent être et, soulignons le encore, qu'elles restent, ne sont peut-être pas totalement dénuées d'intérêt. 1. L'université ou la morosité d'un quotidien. L'université, c'est d'abord, comme on devrait légitimement s'y attendre, le lieu des cours et des TD. L'écrasante majorité des étudiants de l'enquête se prête à ces obligations pédagogiques au moins par sa présence dans les amphithéâtres et les salles de classe. Minimum pédagogique non négociable, seuls sept (07) étudiants, soit un maigre 14% notent avoir 'sauté' un de leurs enseignements programmés - l'ensemble de leurs cours pour deux (02) d'entre ceux-ci - pour la journée qu'ils décrivent, alors que quarante-trois (43) étudiants, soit 86% de la population totale de l'enquête, affirment n'en avoir manqué aucun ; même si rien ne permet d'étendre cette assiduité somme toute raisonnable ni au reste de leur semaine ni à l'ensemble de la population estudiantine. Cela demeure néanmoins réconfortant comme l'est cette affirmation de deux (02) étudiantes, rachetant presque la légèreté de leurs camarades moins assidus, qu'elles ont, en plus de leur cours, assisté à des exposés de leurs camarades dans d'autres groupes que les leurs. Et puis, quand les cours ne se suivent pas et que les étudiants sont confrontés à du temps libre entre deux classes ? Et puis, pas grand-chose ? du moins pour la majorité des étudiants de l'enquête, même si, il faut le souligner encore une fois, ce qu'ils décrivent pour cette journée peut ne pas être le cas de leurs autres jours, et ne doit pas être généralisé à l'ensemble de la population estudiantine. Mis à part la participation de trois (03) étudiants à une activité de 'l'American Corner', sorte de forum de discussion, en anglais, qu'abritent les locaux de la bibliothèque centrale de l'université, et les visites, même brèves, d'une des bibliothèques universitaires par trois (03) autres étudiantes ; très loin devant, l'activité qui meuble le temps libre entre deux cours, parfois jusqu'à trois heures, des trente et un (31) étudiants de l'enquête qui restent sur le campus universitaire se réduit à rester entre groupes d'ami(e)s, dans les couloirs, les salles de classes inoccupées ou encore, quand la météo le permet, sur l'esplanade de l'université, à papoter - 'gossiping' notent-ils en anglais dans leurs contributions -. Pour les treize (13) autres, le peu d'attractivité de l'environnement universitaire, du moins pour la journée qu'ils décrivent, se traduit soit par une escapade en ville pour trois (03) d'entre eux, soit par un retour vers leur lieu de résidence, souvent après avoir déjeuné au restaurant universitaire, quitte à devoir revenir, ce qui n'est souvent pas de tout repos, à l'université pour assister au reste de leurs cours. Quid des activités que propose la sous-direction des activités culturelles et sportives (S/DASCS), souvent à grand frais, à l'intention des étudiants ? Aucune mention n'en est faite dans la journée que les étudiants décrivent. 2. Absences remarquables et remarquées : la bibliothèque, les librairies, la lecture et les livres. Bibliothèques universitaires, librairies, lecture et livres semblent occuper très peu de place dans la journée des étudiants qu'ils proposent, même si, il faut le souligner, rien ne permet d'étendre cette conclusion ni aux autres jours de leur semaine ni, a fortiori, à la totalité de la population estudiantine. Une visite à une bibliothèque universitaire est mentionnée par trois (03) étudiantes, l'une pour dire qu'elle y est entrée sans plus de précisions sur l'objet de sa visite et qu'elle y est restée 10 minutes, la seconde pour dire qu'elle y est allée pour restituer deux livres qu'elle y avait emprunté, et la troisième enfin pour noter qu'elle y a lu une partie du chapitre d'un livre pour la préparation d'un cours. Toutes trois semblent s'y être retrouvées au même moment, 'rentabilisant' pour ainsi dire l'absence d'un enseignant à un cours programmé ; ce qui pousserait presque à espérer plus d'absences de ce genre dès lors qu'elles inciteraient à une plus grande fréquentation de ce lieu ! Cela n'a, de toute évidence, pas été le cas ce jour-là : Quarante-sept (47) étudiants, soit 94% de la population de l'étude, dont beaucoup, malgré le temps libre que leur offrait l'absence de leur enseignant pour le cours initialement programmé, ne mentionnent pas le passage par une bibliothèque universitaire dans le courant de la journée qu'ils décrivent. Les librairies de la ville ne semblent pas mieux loties. Leur nombre est certes réduit à Constantine ; plus encore celles véritablement dignes de ce nom. Est-ce cela qui explique le désintérêt quasi-total des étudiants de l'enquête pour ces lieux ? Deux (02) étudiantes notent y avoir été dans le courant de leur journée. Comparativement pourtant, pour ce même jour, neuf (09) étudiants écrivent s'être rendus entre deux cours ou à la fin de ceux-ci dans des restaurants et autres fast-food ainsi que dans des magasins, surtout d'habillement, en ville. Qu'en est-il alors de la lecture ? Les comptes rendus de leur journée par les étudiants n'apportent, hélas, aucune surprise dans la réponse à cette question : neuf (09) étudiants, soit 18% de la population globale de l'enquête, rapportent s'être adonnés à cette activité dans le courant de la journée qu'ils décrivent. Triste réalité qui s'ajoute à la désertion des bibliothèques et des librairies par les étudiants, et en est peut-être en même temps une conséquence. D'entre les étudiants qui abordent l'activité de lecture dans la description de leur journée, huit (08) ont lu des romans ; en anglais pour ceux qui prennent la peine de mentionner un titre. Littératures anglaise, américaine mais aussi africaine se partagent ainsi les faveurs de ces lecteurs, étudiants au département des lettres et langue anglaises, faut-il le rappeler, avec Dickens, Melville, Conan Doyle, Steinbeck, ou encore Sonne Dipoko. Cette activité qui, comme la fréquentation d'une bibliothèque ou la visite d'une librairie, semble être plus le fait des jeunes filles de la population de l'enquête - un seul (01) jeune homme la reporte - a lieu le plus souvent à la maison, le soir, parfois très tard. Cas atypique, cette étudiante qui omet d'indiquer âge et lieu de résidence dans sa participation, et qui note s'adonner à la lecture de définitions dans un dictionnaire, le soir, entre deux sessions sur Facebook ; donnant ainsi raison à l'adage qui affirme qu'il n'y a pas de mauvaises lectures, rien que de mauvais lecteurs ! Reste les quarante et un (41) étudiants, soit 82% de la population de l'enquête, qui ne mentionnent pas cette activité dans le courant de la journée qu'ils décrivent ; ce qui, il faut le souligner, ne signifie pas qu'ils n'y ont pas recours les autres jours, ou encore que les informations qu'ils proposent peuvent être généralisées à l'ensemble de la population estudiantine. Est-ce alors à dire, sempiternelle admonestation, que ces étudiants ne lisent pas ? Peut-être pas ; du moins si l'on se réfère à l'utilisation qu'une majorité de ces mêmes étudiants dit faire des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) et qui, nécessairement, les pousse à lire. Rasséréné alors ? Peut-être pas non plus, du moins si l'on en croit cette appréciation de la qualité de la lecture sur la toile que propose l'écrivain brésilien Bernardo Carvalho quand il affirme qu'avec " Internet [?] on tombe inconsciemment dans un mode de raisonnement qui est paralysant, le contraire même de la création, la vraie. " 3. L'impact des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). On pouvait s'attendre, la présence des téléphones portables et autres ordinateurs personnels jusque dans les salles de classe étant ce qu'elle est, a une influence importante des NTIC dans la vie de tous les jours des étudiants : seulement douze (12) des cinquante (50) étudiants de l'enquête, soit 24%, ne font aucune référence à leur utilisation au cours de cette journée de leur vie qu'ils décrivent ; ce qui, il faut le souligner, comme pour l'activité de lecture, ne signifie pas qu'ils n'y ont pas recours les autres jours, ou encore que les informations qu'ils proposent peuvent être généralisées à l'ensemble de la population estudiantine. Cinq (5) des trente-huit (38) étudiants restant soit 10% de la population globale de l'enquête et 13,15% de la population ayant mentionné les NTIC ne font à leur tour référence qu'à l'utilisation d'un téléphone, vraisemblablement portable. A leurs mentions s'ajoutent six (6) autres références venant de ceux qui, en même temps que leurs portables, disent avoir également utilisé un ordinateur ce jour-là ; portant, le total des références au téléphone à onze (11), soit 22% de la population globale de l'enquête et 28,94% de la population ayant mentionné les NTIC. Résultats tant inattendus que surprenants, par exemple si l'on se réfère à la critique de l'ère moderne et ses réseaux sociaux que propose l'illustrateur londonien Steve Cutts pour qui les personnes nées à partir de 1995, la 'Z generation', ne peuvent plus se passer de leurs téléphones ? Le téléphone portable paierait peut-être ainsi son succès par le comparativement peu de mentions qui lui sont accordées : étant tellement entré dans le quotidien des étudiants, beaucoup, bien que l'ayant probablement utilisé dans la journée qu'ils décrivent, ne pensent même plus à le mentionner ! Il reste à n'en pas douter le fidèle compagnon qui sert à garder le contact avec ses proches où qu'on soit, mais aussi, selon les propositions de ceux qui disent l'utiliser, à déstresser en écoutant de la musique sur le chemin et au retour de l'université. Cette musique, c'est, pour ceux qui la décrivent, très peu de musique arabe - une (01) mention - et, plutôt encourageant pour des étudiants d'anglais, beaucoup de musique anglo-saxonne, de métal et de pop-rock surtout ; les Américains s'y taillant la part du lion avec Evanescence, Iris, the Fray, et John Mayer, suivis par les Anglais et Keane. Point de Beatles dans le lot ?! Trente-trois (33) étudiants, soit 66% de la population totale et 86,84% de celle qui fait référence aux NTIC, notent, quant à eux, l'utilisation d'un ordinateur. Facebook, la navigation sur la Toile à la recherche d'informations en rapport avec leurs études, et Youtube sont, en ordre décroissant de nombre de mentions, ce pour quoi les étudiants disent surtout se servir de leurs 'personal computer'. Loin devant, Facebook est nommément cité, parfois plus d'une fois par dix-sept (17) des trente-trois (33) étudiants notant l'utilisation d'un ordinateur dans le courant de leur journée, soit 51,51%. Ce nombre n'inclut pas cinq (05) références moins directes telles " connecting and chatting with friends " ou encore " chatting with friends on line ", qui dénotent plus que probablement de la même activité et qui portent le nombre des adeptes de ce réseau social en ligne, tel que le propose le tableau précédent, à vingt-deux (22), soit 66,66% des utilisateurs d'un ordinateur. Sur Facebook, les étudiants se connectent, discutent (chat) et rient avec leurs 'amis' - dans l'acceptation très particulière de ce terme que lui a donné ce réseau en ligne et des activités qu'il permet ; le rire y devenant un " hhhh " scriptural - mais aussi avec leurs camarades - les vrais ceux-là - de classe ; consultent leurs courriers (posts) et partagent idées et informations. Le nombre de référence à Facebook chez un même étudiant est peut-être intéressant à relever en cela que, par delà ce qu'il dit de ce dans quoi l'étudiant investit une partie de son temps, il peut dénoter chez certains, plus qu'une routine, un certain degré d'addiction à l'invention de M. Zuckerberg. Il va d'une seule mention pour six (06) étudiants, jusqu'à quatre mentions pour sept (07) étudiants ; cinq (05) étudiants relevant un retour vers son utilisation trois fois, et quatre (04) 2 fois dans leur journée. Certains étudiants proposent même les périodes de temps qu'ils passent sur Facebook. Ainsi par exemple, cette étudiante de 21 ans qui vit chez ses parents commence sa journée avant de se rendre à l'université par une connexion Facebook qui dure une heure, puis y retourne en fin de journée pour un petit quart d'heure entre 19 et 20 heures, pour enfin se reconnecter dans son lit après 22 heures pour environ une heure ; alors que cette autre, âgée de 22 ans et vivant également sous le toit parental dit y être connectée de 18 à 19 heures, puis de 22 à 23 heures. La palme est pourtant remportée par cette autre étudiante de 23 ans vivant chez sa famille qui affirme avoir passé touts la nuit sur Facebook à parler et à rire, " hhhh ", avec ses amis, activité qu'elle décrit de surcroît comme usuelle ! Est-ce une prise de conscience de l'importance de ce phénomène - tellement qu'un bon nombre d'utilisateurs dans la population de l'étude ne lui donne plus que le surnom affectueusement familier de 'face' - qui a contribué à faire basculer un aspect du rapport administration universitaire/administré étudiant, enseignant, travailleur, voire même simple citoyen, dans l'ère du numérique ? Toujours est-il qu'une correspondance émanant de la Direction des réseaux et systèmes informatiques et de la communication universitaire du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique en date du 04 juin 2015 adressée aux présidents des conférences régionales en communication avec les chefs d'établissements, portant en objet " création dans les établissements universitaires et centres de recherche d'une cellule de veille, de communication et de proximité sur les réseaux sociaux ", prend note de " la puissance de l'Internet et des capacités corrélatives des réseaux sociaux " et appelle " les établissements [d'enseignement supérieurs] à investir aussi les réseaux sociaux, via Facebook et Twitter notamment" ! Autre référence à ce à quoi les étudiants de l'enquête disent utiliser les NTIC : la Toile pour la recherche d'informations dans la préparation de leurs exposés et autres présentations, et leurs discussions/partages des résultats de cette activité avec leurs camarades de classe. Douze (12) étudiants y font référence, soit 24% de la population globale de l'enquête et 36,36% de celle qui dit avoir eu recours aux NTIC lors de la journée qu'ils décrivent. Cela laisse, nombre important, vingt et un (21) étudiants, soit 63,63% de ceux qui disent utiliser un ordinateur hors recours à la Toile pour la recherche d'informations dans la préparation de leurs exposés et autres présentations pour la journée qu'ils décrivent, ce qui, rappelons-le, peut signifier que ces étudiants n'avaient tout bonnement pas travaillé à leurs présentations dans le courant de cette journée, et donc, comme pour les activités précédentes, ne signifie pas qu'ils n'y ont pas recours les autres jours, ou encore que les informations qu'ils proposent peuvent être généralisées à l'ensemble de la population estudiantine. Dommage collatéral de cette pratique qui désespère bon nombre d'enseignants et conforte, dans son appréciation de la Toile, l'écrivain sud-américain cité plus haut ; le copier/coller peut-être induit par " la facilité d'accès et l'information [?] disponible et mise à la disposition de tous ", auquel les étudiants s'adonnent ouvertement et sans vergogne aucune. Enfin, un autre grand présent dans les activités des étudiants en rapport avec leurs ordinateurs et les NTIC est Youtube avec cinq (05) mentions explicites même si, comme pour Facebook, des expressions comme " watching a video " ou encore " checking a video " alors qu'ils sont connectés y font probablement référence sans mentionner le nom du site web d'hébergement de la vidéo visionnée ; portant le nombre des adeptes de Youtube à sept (07), soit 21,21% des étudiants ayant utilisés leurs PC lors de la journée qu'ils décrivent. Plus que la radio - par ailleurs étrangement absente avec une seule mention d'écoute de musique sur la chaîne 3 - ou que les traditionnels journaux télévisés, le Net sert aussi à se mettre au courant de ce qui se passe dans le pays et de par le monde ; comme par exemple pour cette étudiante de 22 ans vivant chez ses parents, et qu'il aura tenu informée des développements de la mobilisation autour de la question du gaz de schiste à Aïn Salah, ou encore du devenir de ce prisonnier palestinien. Il sert aussi à regarder des films, à les télécharger ainsi que de la musique, et plus généralement à 'surfer'. Deux autres 'outils' auxquels la Toile donne accès sont également mentionnés bien qu'à une moindre fréquence. Viber, le site mobile de messagerie et d'appels téléphoniques gratuits, et Skype, site un peu similaire mais qui permet de voir la personne à qui l'on parle, gratuitement ; comme pour cet étudiant de 22 ans vivant chez ses parents qui l'utilise pour ses réunions avec son directeur de recherche à l'étranger, dans un programme de l'AIESEC. Enfin, utilisation particulière mais non moins intéressante que note une étudiante qui vit chez ses parents, omet de mentionner son âge, et dont l'activité devrait faire remettre en question autant la pauvreté du choix d'entre les langues étrangères que la Faculté des lettres et langues propose, les méthodes et contenus d'apprentissage de celles-ci, et les litanies enseignantes sur le passéisme des étudiants : apparemment mordue de feuilletons sud-coréens qu'elle suit sur le Net - et non à la télévision comme cela aurait été le cas quelques années auparavant - entre 23 heures et 1 heure du matin, la Toile lui sert aussi à l'apprentissage du coréen dont elle télécharge les cours ! Plus de télévision alors ? Pas vraiment. 4. La télévision. Même si la télévision semble déjà ne plus faire partie que des vieux outils, elle continue d'être très présente dans la journée décrite par la majorité des étudiants. Seulement quinze (15) des cinquante (50) étudiants de l'étude n'y font aucune référence dans le déroulement de leur journée, soit 30% de la population globale. Parmi eux, deux (02) des trois (03) jeunes hommes qui se sont prêtés à l'expérience, ce qui fait que regarder la télévision est une activité avant tout féminine. Pour la majorité d'entre ceux qui ne la regardent pas - deux (02) étudiantes mises à part -, l'ordinateur personnel, Facebook et Youtube semblent avoir supplanté la boite à images comme source d'information et de divertissement ; treize (13) étudiants d'entre ceux qui ne mentionnent pas la télévision dans la description de leur journée notant être branchés sur le Net pour une partie de leur temps hors université. (Quant aux deux étudiantes restantes, toutes deux bien que ne mentionnant pas l'utilisation d'un PC ou du Net dans leurs réponses disent ne pas être chez elles pour la journée qu'elles décrivent - l'une en cité universitaire, l'autre chez une tante - ; ce qui explique peut-être l'absence de la Toile, ou de la télévision, ou des deux ! Le reste de la population de l'étude, soit 70%, écrit avoir consacré à la télévision au moins un moment de sa journée. La tranche horaire qui voit le plus d'étudiants face à la télévision semble être celle située entre 19 et 20 heures avec dix-neuf (19) mentions, suivie de celle entre 18 et 19 heures avec dix (10) mentions, puis celle entre 21 et 22 heures avec neuf (09) mentions ; certains étudiants se retrouvant sur plus d'une tranche horaire. La majorité des étudiants qui regardent la télévision n'y consacrent pas plus d'une heure avec vingt-quatre (24) mentions ; six (06) étudiants y consacrant trois heures, et cinq (05) deux heures. Les chaînes que semblent choisir les étudiants sont MBC4 des Emirats, loin en tête, mais aussi la tunisienne Nessma, la syrienne Massaya, et la chaîne généraliste algérienne privée Chorouk. Les informations, jadis attraction première de la télévision et point focal de l'attention de tous, à 20 heures, autour du repas du soir, n'y font plus recette et n'ont droit qu'à deux (02) mentions dans les réponses des étudiants de l'enquête. Cet aspect semble dorénavant être pris en charge par Internet, peut-être par Youtube et Facebook ; les étudiants se contentant de 'news' insulaires véhiculées à l'intérieur de leur groupe d'amis, et de ce que certains membres de ce groupe partagent de ce qui secoue le monde. Aspect qui mérite peut-être d'être relevé pour des étudiants post-gradués en langue anglaise, au contraire de ce qu'ils écoutent dans leur musique, l'arabe, dans ses différentes variétés, est la langue de ce qu'ils regardent à la télévision, leur langue d'étude et de formation y étant pratiquement absente, comme elle l'est probablement largement dans leurs échanges sur la Toile. Rien à la limite de bien excitant, sauf peut-être si l'on se penche sur ce que ces étudiants regardent durant ce temps et ces plages horaires qu'ils consacrent à la télévision. Quand cela est précisé - ce qui n'est pas toujours le cas, une (01) contribution mentionnant regarder la télévision sans plus d'information -, loin devant, supplantant deux émissions de jeux - 'familetna' et 'le juste prix' - qui ne recueillent qu'une (01) mention chacune, un show sur 'les arts de la cuisine' et un autre, allemand, sur 'la vie et la société en Europe', eux aussi chacun avec une (01) mention orpheline, les feuilletons s'imposent. Ils sont turcs d'abord avec seize (16) références directes qui notent soit 'série turque' soit le titre de la série - notamment 'Harim Sultan' ou encore 'Ishq el Aswed' -, et six (06) autres si l'on recoupe les horaires de diffusion des séries turques et les horaires de visionnement mentionnés quand l'étudiant dit juste être en face de la télévision mais mentionne l'horaire ainsi que la chaîne et non le programme qu'il regarde ; portant ainsi le nombre de références aux feuilletons turcs à vingt-deux (22), soit 62,85% des téléspectateurs de l'étude. Viennent ensuite les feuilletons indiens - expressément 'Min Enadra Ethaniya' - avec quatre (04) mentions, et libanais avec deux (02) mentions. Un feuilleton algérien dont le titre n'est pas mentionné est cité par une (01) étudiante. Aspect intéressant, beaucoup d'étudiants participant à cette étude semblent être sur les mêmes chaînes, en face des mêmes programmes, au même moment ; convivialité virtuelle qui vient s'ajouter à celle pour beaucoup d'être, via Facebook, également sur le même réseau social, au même moment. Séries turques donc, pour jeune public étudiant de post-graduation algérien. De quoi faire froncer quelques sourcils, sauf peut-être si l'on se réfère à une explication intéressante d'un tel engouement proposée par H. Chabou dans son analyse de ce qu'elle a appelé la diziphilie ou amour des séries turques, quand elle interroge dans une telle attraction l'instauration d'un " nouveau système de domination consentie reposant sur un nationalisme culturel ainsi que des structures historiques et religieuses ". En d'autres termes, les feuilletons turcs participeraient, chez les étudiants qui les suivent, d'un processus de reconstruction et de reconquête de leur personnalité de base, différente de l'image que leur en ont donnée, à travers leurs représentations, les séries occidentales ; parce que vécues comme plus proches d'eux culturellement, historiquement, mais aussi, peut-être surtout, du point de vue de la religion. 5. La place de l'expression religieuse. Si, comme l'écrit B. Chahed sur la base d'un sondage d'opinions effectué en Algérie en 2009, l'éducation religieuse a été avancée comme troisième plus important rôle que devrait jouer l'école algérienne, et si la place de l'expression religieuse dans le quotidien du produit de cette école est prise comme conséquence et mesure du succès de cette éducation, la manière dont l'école algérienne se sera acquittée de cette fonction devrait, sur la base de ce que reportent les étudiants de la présente recherche, produits de cette école, être considérée comme plutôt satisfaisante. L'expression religieuse est en effet majoritairement présente dans les réponses des étudiants de l'enquête. Cette expression religieuse se dit notamment à travers des références à la prière, ainsi qu'à certains aspects des lectures et autres activités que les étudiants de l'enquête notent dans la description de leur journée. Trente-trois (33) étudiants, soit 66% d'entre cette population dont la tranche d'âge se situe entre 21 et 24 ans, y font directement référence. Elle n'apparaît pas, du moins sous ces formes, dans la description de la journée de dix-sept (17) étudiants, soit 34% de la population de l'enquête ; ce qui, peut-être faut-il le rappeler comme pour les autres aspects de leur journée qu'ils décrivent, ne signifie pas qu'elle n'y est pas présente sous d'autres formes, ni qu'elle en est absente les autres jours ; ni enfin que les informations proposées peuvent être généralisées à l'ensemble de la population estudiantine. L'accomplissement de la prière dans leur journée qu'ils décrivent est relevé par trente et un (31) étudiants, soit 62% de la population totale de l'enquête et 93,93% des réponses qui font référence à une expression religieuse. Elle se fait, dans tous les cas pour les étudiants de l'enquête qui l'expriment, dans leur lieu de résidence, maison paternelle ou cité universitaire. Elle a lieu le matin au réveil, puis au retour de l'université, le plus souvent après que les étudiants se sont débarbouillés, changés, et qu'ils ont pris un léger snack. Elle regroupe alors souvent trois moments des prières de la journée; avant celle du soir. Deux (02) d'entre ces réponses associent à ces moments de prière la lecture/récitation du Saint Qur'?n et/ou de Adhkar, ou évocations et invocations de la toute-puissance ainsi que de la protection divines. Deux (02) autres contributions, enfin, relèvent la lecture/récitation de ces évocations et invocations divines, mais sans références à la prière. 6. 'And in the end', ou en guise de conclusion. De 8 heures à 23 heures, tels étaient les termes spécifiés dans le 'contrat' initial de participation des étudiants. Tous ne s'y sont pas tenus, dix (10) d'entre eux bravant un couvre-feu peut-être maladroitement décrété pour mettre fin à leur description, et continuant l'exposé d'une journée qui se poursuit jusqu'à très tard pour noter, passé ce délai péremptoire, qui qu'ils ont continué à travailler sur leurs exposés notamment en naviguant sur Internet, qui qu'ils ont lu un roman, et qui enfin qu'ils sont restés connectés via Facebook et Youtube. Pour les quarante (40) restants, la dernière activité de leur journée qu'ils décrivent se situe résolument sous l'égide des NTIC pour vingt-deux (22) d'entre eux ; Facebook en tête avec douze (12) mentions, suivi de l'utilisation du téléphone portable et quatre (04) mentions, et Youtube et la recherche d'informations en rapport avec leurs devoirs universitaires sur la Toile avec trois (03) mentions chacun. Viennent ensuite dans l'ordre de leurs citations, des activités familiales, discussions, dîner et ? vaisselle avec sept (07) mentions ; la lecture de notes, d'articles ou de romans, avec six (06) mentions, puis la récitation/lecture d'évocations et invocations de la toute-puissance ainsi que de la protection divines ou Adhkar avec trois (03) mentions, et enfin, lointaine cousine des NTIC, la télévision avec deux (02) mentions. Ainsi donc se termine, entre une tradition qui reste très présente et l'attraction d'une modernité dont ils maîtrisent étonnamment bien les outils, une journée dans une vie d'étudiant ; du moins de ceux de la présente étude qui ont accepté d'en faire compte rendu. Tout en gardant à l'esprit les réserves maintes fois répétées concernant le nombre réduit de participants et le caractère très personnel, donc sensible, de l'exercice reporté ici, l'examen de quelques-unes parmi les plus saillantes activités qui auront fait une journée de cette population estudiantine qui s'est prêtée au jeu de les décrire aura peut-être ainsi été, par-delà les statistiques et autre nombre de 'sièges pédagogiques', de lits en cités universitaires et d'autobus affectés au transport des étudiants qui ponctuent chaque nouvelle rentrée universitaire, une manière d'un peu se pencher sur ces histoires intimes, peut-être trop souvent ignorées et qui, elles aussi, participent à/de la grande histoire de l'Université. Si cela était le cas, la présente incursion dans une journée de ces vies d'étudiants n'aura pas été totalement inutile. *Professeur au département des lettres et langue anglaises, faculté des lettres et langues, Université Mentouri, Constantine. Cf. À cet effet : ?Être étudiant en première année de licence. Le cas des étudiants du département des lettres et langue Anglaise, Faculté des lettres et des langues de l'université de Constantine 1.', dans Le Quotidien d'Oran, 17 mars 2014. Voir également : ?Être (presque) enseignant à l'université. Entre fiction de statut et statut de fiction', dans Le Quotidien d'Oran, 14 juillet 2014. 2 Bernardo Carvalho, Grand Entretien, dans Le Magazine Littéraire, n° 557-558, Juillet/Août 2015, p. 34. 3 Cf. À cet effet son illustration, sur fond de rue en flammes que surplombent des publicités de téléphones portables, d'un groupe de personnes, hommes et femmes, à l'apparence de zombies faméliques, le regard sans yeux fixé chacun sur son téléphone portable. https://stevecutts.wordpress.com 4 Ainsi, ces étudiants qui reportent utiliser Facebook participeraient des 1,49 milliards de membres actifs répertoriés par Facebook fin juin 2015, peut-être même des 968 millions identifiés comme utilisateurs quotidiens, et qui sait, du 1 000 000 000 qui l'auront utilisé en ce lundi 24 août 2015, selon un message posté par son inventeur sur son propre profil. 5 Correspondance sous la référence DRSICU/15/32, en date du 04/06/2015. 6 C'est du moins l'une des explications que propose, dans son analyse de l'étendu de ce même phénomène parmi les étudiants marocains, A. Aboufirass dans son étude, Internet et plagiat : comment conserver les fondements de base de l'esprit scientifique ? http://www.a-brest.net/article2995.html 7 H. Chabou, La diziphilie et le questionnement en miroir des mutations sociales en Algérie, dans Le Quotidien d'Oran, 10 août 2015. 8 B. Chahed, Note de synthèse : L'école, un défi algérien, dans Le Quotidien d'Oran, Lundi 24 août 2015. |
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