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On ne peut pas
dire que les dernières célébrations du 20 Août - marquant la tenue du Congrès
de la Soummam, les 58ème du nom, furent remarquables. Sur la pointe des pieds.
Sans bruit, comme si l'on craignait de gêner. Un internaute se lamente sur la
toile, notant qu'à Ifri, au coeur de notre Kabylie éternelle, "le fonds
documentaire et le nombre de pièces historiques sont insignifiants, ne
reflétant pas le valeureux passé de la région qui a donné 1500 chahids ".
Il rapporte les propos suivants : "Je suis complètement choqué, je ne m'attendais pas à voir un site aussi important de notre histoire partir en ruine sans que cela ne suscite l'inquiétude des ministres et des responsables locaux qui visitent chaque année ce musée", dit Adel, qui visite pour la première fois les lieux ". Ce n'est pas tout. Hacen Boukhelifa, qui rapporte ses impressions dans El Watan, écrit: " La salle de projection (d'une capacité de 150 places) qui se trouve au sous-sol est carrément hors service. Moisissures, infiltrations d'eau, sièges détruits? son état est lamentable. Accosté à la sortie de son bureau, le directeur du musée, Yaddaden Rachid, semble n'avoir que de tristes rapports à remettre aux autorités centrales et attendre. Selon lui, la dernière opération d'entretien qui a été engagée ici date de l'année 2006 !" Craindrait-on de raviver - en ces heures difficiles - l'esprit de la Soummam ? Ou nous réserve-t-on une grandiose célébration surprise pour le 60ème anniversaire du déclenchement de la Révolution, novembre prochain ? Je serai bien curieux de visiter le village d'Ighhbane dans l'actuelle commune d'Ouzellaguen. Je crains l'abandon des lieux de mémoire. Des sépultures Pour prier sur les restes des résistants algériens, incarcérés -jusqu'à ce que mort s'en suive - soit en l'ile Sainte Marguerite soit au fort de Brescou - il faut demander un visa aux descendants des geôliers d'hier. J'ose à peine évoquer les disparus de la Nouvelle Calédonie ou du bagne de Cayenne. D'autres patriotes, d'autres révoltés. Encore moins les tombes de ceux qui sont tombés sur les champs de bataille de la première et seconde guerre mondiale de ceux qui ont servi de chair à canons pour libérer leurs geôliers dont la récompense pour ces faits d'armes fut le massacre du 20 Mai 1945. Ca fait beaucoup de monde, beaucoup de corps et de sang qui ont abreuvé et nourri des terres si lointaines. Ils étaient et seraient l'indicateur de direction pour nous éviter, aujourd'hui, à chaque carrefour, de mettre le clignotant à gauche pour tourner, immanquablement, à droite. J'ai comme le sentiment que des ignorants tentent de nous lobotomiser. Entendez vous - quand les premières œuvres de notre cinéma national s'attachèrent à glorifier, sinon à évoquer la résistance - entendez-vous les voix qui s'élevèrent contre la main mise de la lutte armée sur le cinéma ?Ils s'insurgèrent, coulant, du coup, toute création de quelque nature qu'elle fut. Ce fut, pour le cinéma et la télévision, un enterrement de première classe, comme on dit. Nous fîmes table rase du passé. En parler devint ringard. Pourtant, à coté de nations qui commémorent, elles, des défaites, nous comptons quelques batailles et, en apothéose, une victoire sans équivoque qui méritent d'être racontées. Dans les villes et village, chaque année, aux Etats Unis, par exemple, les reconstitutions de batailles pour l'indépendance, ou la libération des oppresseurs, sont organisées. Je ne vous apprends rien. Vous avez certainement été les témoins de tout cela devant votre écran des TV thématiques. Ce qui a inspiré cette chronique, il y a quelques jours, c'est ce petit coin de la ville d'Oran. Un " musée de la mémoire ", est-il écrit sur la devanture de ce qui fut le rez-de-chaussée du " Prisunic " d'antan. Curieusement, ceux sont les jeunes gens et jeunes filles qui sont les plus nombreux à le visiter. Ils découvrent, dans la galerie de photos, les visages des héros d'hier, ceux qui n'ont rien pris pour tout donner. Des pièces, qui ont servi à leurs combats, sont exposés. Des éclats d'obus. Des organigrammes des réseaux de résistance. Amoureusement conservés. Et ces photos. Surtout. Ces regards d'adolescents, de jeunes filles et de jeunes gens qui vous parlent. Martyrs, tombés au champ d'honneur, martyrs encore, suppliciés. Je suis certain qu'un de ces regards là vous parlera à vous aussi s'il vous prenait l'envie de visiter ce musée. Et si ce regard que vous surprendrez n'est pas celui d'un parent, il vous rappellera celui d'un voisin que vous vous ferez un plaisir d'en confier la photo au Directeur de ce musée qui lui trouvera bien une place dans la galerie. Un coin de mémoire qui devrait collationner vos dons, vos reliques, celles de ceux qui nous demanderons un jour " qu'avez-vous fait de nos sacrifices ". Nous sommes là en présence d'un volontarisme obstiné de militants. Et du devoir de mémoire. Ne pensez pas, en lisant ces lignes, que cet espace coûte quoique ce soit aux contribuables. Pas un seul dinar, en fait. L'œuvre est véritablement citoyenne. Son directeur, Fréha Mohamed, est un ancien condamné à mort, par contumace - parce qu'il eut le temps de rejoindre le maquis -. Il est un volontaire. Ses assistants aussi. Ils approchent les visiteurs pour se soumettre à leurs questions. Ils leurs parlent de tous les sacrifiés, sans exclusive, toutes générations confondues, de jeunes marocains nourris à la sève de l'Algérie aussi et " qui furent d'un redoutable engagement " dira Fréha. Si vous disposez de temps, parcourez " le livre d'or ". Une pieuse reconnaissance des visiteurs aux bâtisseurs de rêves fous. On croirait qu'ils indiquent le chemin d'autres combats qui nous paraissent aussi fou mais qui pourtant existent bien pour conduire à cette lumière qui point à la fin du tunnel. Je tiens cette réalisation, celle d'Ifri et d'ailleurs, s'il s'en trouve, pour des actes de foi en l'Algérie. Plaise à Dieu que les bonnes volontés, que les citoyens, se consultent, se rassemblent, à Oran mais dans chaque ville et village de l'Algérie éternelle, pour garder cette flemme du souvenir, ici, et en allumer d'autres en chaque lieu de sacrifice. En mobilisant les donations. A Ifri. A Oran. Et ailleurs. Et pas financièrement seulement. Il est essentiel de collationner les faits d'armes, les actes militants que toute ville, tout village de ce pays doit veiller à transmettre comme un témoin. Ce n'est pas seulement le chroniqueur qui le dit. Il ne fait qu'ajouter son appel à celui des initiateurs du projet. De simples militants de la Révolution Algérienne. Curieusement, des anciens condamnés à mort, par les tribunaux ou par la vie, qui grattent, désespérément, dans le fond de leur volonté de changement, leurs énergies pour nous faire apprécier combien sont précieux les moments, les jours, les heures et les minutes que nous vivons. Pour nous les rendre plus beaux encore, plus enthousiasmants, plus engagés, surtout. Au départ, des archives de la ville retrouvées dans des caves de lieux de tortures. Des condamnés à mort, dont Mohamed Fréha, l'actuel directeur du centre, et Abdellah Boudenia, se prirent de passion pour remonter à la lumière du jour, pour exhumer les noms des Abtals qui y laissèrent leurs vies. Pour qu'on ne les oublie pas. Sans formation particulière sinon la bonne volonté. Le résultat est là. Un essai transformé. Dans les rues de nombreux pays étrangers qui furent soumis à l'intolérable occupation étrangère, il y a des murs sur lesquels sont scellées des plaques commémoratives, en marbre, pour rappeler que, ici ou là, un jeune homme, une jeune fille, est tombé, les armes à la main, un certain jour. Des pierres blanches pour ceux qui viennent à la vie. Je n'en ai vu aucune dans nos villes et villages. Pourtant, il faudra bien y penser. |
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