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Riad Aït Aoudia(agence Media Algeria) décrypte le potentiel du marché audiovisuel: «Les investisseurs pouvant supporter des pertes pendant deux ou trois saisons s'imposeront»

par Samy Injar

A peine annoncée et en termes vagues, l'ouverture du secteur de l'audiovisuel à la concurrence suscite ses premières candidatures. Deux profils émergent : les professionnels de l'information (El Watan, El Khabar) et des entrepreneurs privés (Haddad, Rahim). Quel est le potentiel du secteur ? Qui peut rafler la mise ? Quid des contenus ? Autant de questions sur un territoire encore peu défriché que Riad Aït Aoudia, Directeur de l'agence Media Algérie décrypte pour nos lecteurs.

La prochaine ouverture de l'audiovisuel au privé a déclenché une série d'annonce de projets de nouvelles chaînes de TV et de radios. Comment les annonceurs vont-ils, selon vous, accueillir la nouvelle offre de supports qui arrive ?

Les annonceurs et leurs agences conseils sont favorables à de nouveaux espaces publicitaires, a fortiori à la télévision, média efficace pour les marques. Mais ils seront avant tout attentifs au retour sur les investissements publicitaires qu'ils consentiront. Aussi, seuls des médias avec une audience (bien mesurée !) séduite par des programmes concurrentiels avec l'offre satellite existante, réussiront à attirer et fidéliser les annonceurs qui ont des comptes d'exploitation à respecter aussi. Pour nous, en tant que groupe de communication cette situation devrait stimuler nos activités de conseils, d'études d'achat d'espaces, de gestions de droits et de contenus audiovisuels et sportifs.

Existe-t-il encore une place pour de grandes chaînes TV généralistes au vu des budgets nécessaires à leur développement et à combien les estimez-vous ? Les investisseurs privés doivent-ils aller plutôt vers les chaînes thématiques ?

L'expérience de l'introduction de la concurrence privée aux côtés des ex-monopoles publics audiovisuels partout dans le monde montre qu'il y a de la place pour des TV généralistes en Algérie. Généraliste ne veut pas forcément dire s'adresser uniformément à tous les Algériens en même temps. Une chaîne généraliste gratuite privée, qui ne vit donc que des recettes publicitaires (et peut-être des produits et services dérivés), proposera les programmes les plus fédérateurs auprès de cibles consommatrices de biens de grande consommation, d'automobiles, de téléphonie, etc.? Mais, contrairement à des idées répandues, les annonceurs ne dictent pas la grille des programmes, A chacun son métier ! Etre thématique, dans un modèle gratuit est plus complexe à équilibrer. Le potentiel d'annonceurs est plus restreint mais les coûts de programmes ne sont pas plus faibles. Une chaîne sportive gratuite est difficilement rentable. Tout comme une chaîne uniquement jeunesse ou cinéma.

Deux modèles de projets se profilent : celui des hommes d'affaires comme Ali Haddad ou Abdelouahab Rahim et celui des professionnels de l'information comme les groupes El Watan ou El Khabar. D'autres métiers pourraient-ils être de la partie ?

Il est encourageant de voir des acteurs nationaux et dynamiques ayant réussi dans leurs métiers s'intéresser et apporter de nouveaux moyens aux secteurs de la communication. Mais dans l'absolu, l'actionnariat d'un groupe audiovisuel n'est pas si important. L'important, ce sont les moyens fournis au management recruté sur ses seules qualités professionnelles et l'indépendance éditoriale qui leur sera laissée. Ces professionnels peuvent venir de tous les métiers de la création de contenus ; la publicité et l'Internet ? en font bien évidemment partie. Mais une chaîne TV et une radio sont des entreprises: il faut aussi de bons gestionnaires, de bons DRH, de bons informaticiens, techniciens?. Là encore, chacun son métier. Il faudra mettre en place des modèles de gouvernance appropriés pour résister à la tentation d'intervenir au lieu de déléguer, dans une activité qui peut être dangereusement passionnante. Ce qui compte in fine pour un investisseur privé, c'est la réussite économique et elle ne s'obtient qu'avec des audiences qualitatives et quantitatives obtenues par des programmes professionnels et concurrentiels.

L'éclosion de chaines radios-TV privées concurrentielles, probablement dès 2012, ne va-t-elle pas être gênée par la faiblesse de la production de contenus nationaux et l'indisponibilité de ressources humaines ?

 La réception satellite a déjà habitué le téléspectateur algérien au multiculturalisme. L'action publique d'accompagnement devrait justement se recentrer sur l'aide à la création de la filière de production de contenus afin qu'ils ne soient pas qu'étrangers au pays. Ce serait un gâchis si l'essentiel des moyens financiers des nouveaux investisseurs allait à l'importation d'un matériel qui peut être mutualisé au détriment de la création, de la vraie richesse immatérielle que serait une production algérienne de talent. Des incitations fiscales et des encouragements à certains investissements pourraient être la voie. Comme mettre à la disposition des producteurs et des chaines de grands studios pour la localisation des tournages.

L'arrivée de chaînes de télévision et de radio privées ne va-t-elle pas faire baisser les tarifs publicitaires ? Peut-on gagner de l'argent avec une radio ou une télévision en contexte concurrentiel ouvert ?

Dans tout marché, l'offre et la demande jouent. La publicité audiovisuelle en Algérie est-elle si prohibitive sur un critère tel que le coût pour mille personnes touchées ? Ce n'est pas la valeur absolue de l'investissement publicitaire qui compte, mais bien sa valeur relative à son efficacité. Proposer des programmes attractifs aura un coût. Une grille des programmes devra tôt ou tard être équilibrée entre dépenses et recettes. La compétition est mondiale en Algérie pour la TV : les chaînes panarabes, les chaînes européennes, ont des coûts de grille significativement plus élevés, et donc attractifs pour l'audience. Seulement, chaque pays aime bien regarder ses productions nationales qui lui parlent forcément davantage que celles vues d'ailleurs.

Pour les budgets, Il faut être réaliste. La publicité pour la TV en Algérie a une limite liée aux conditions du marché. L'indice de pression publicitaire (Investissement publicitaire/ PIB) en Algérie est faible, une partie très importante du PIB étant générée par un secteur qui ne fait pas de publicité. Dix nouvelles chaînes, cela ne veut pas dire que les annonceurs multiplieront leurs investissements par 10. Mieux, si l'audience est plus fragmentée, ils auraient tendance à diminuer leur investissement au profit d'autres supports comme l'affichage et le hors média. On peut émettre l'hypothèse raisonnable suivante : des investissements publicitaires audiovisuels de 5 à 7 milliards DA et une croissance moyenne de 10% par an si les projets actuels réussissent à dynamiser le secteur. Pour être compétitive avec les programmes qu'offrent des chaines comme celle du groupe MBC, il faudra pour une chaîne de TV des budgets de 2 à 3 milliards DA. Potentiellement, le secteur pourrait faire vivre sur un terme de 3 ans trois nouvelles chaînes au maximum. La suite dépendra de l'évolution du contexte économique et de la place que prendront les nouveaux moyens de communications qui représentent une menace pour le modèle classique de TV. A mon avis, seuls les investisseurs en mesure de supporter des pertes pendant deux voire trois saisons pourront s'imposer. Une chaîne comme Nesma qui fonctionne aujourd'hui plutôt bien a encore beaucoup de mal à générer des revenus publicitaires significatifs. Il faut compter avec le secteur public qui obtiendra de l'Etat actionnaire des moyens renforcés pour rester compétitifs. L'opportunité la moins risquée me paraît résider dans la production de contenu qui bénéficiera de l'augmentation et la mise en concurrence des canaux de diffusion, plutôt que dans le canal qui le distribuera. Il est intéressant de constater que c'est le contenant qui semble pour l'instant intéresser le plus les investisseurs.

Le groupe Haddad paraît vouloir prendre une longueur d'avance en lançant sa télévision sur le web et en tentant d'acquérir les droits d'image web de la Ligue 1. Croyez-vous à la convergence TV-Internet en Algérie compte tenu des retards de l'internet mobile apporté par la 3 G ?

Pour la radio, la 3G est une réponse, ce n'est pas le cas pour la télévision en mobilité. Il faudra attendre la génération des téléphones 4G (LTE) au milieu des années 2010 pour cela. Par contre, le haut débit Internet (ADSL notamment, fibre optique, câble) est déjà une réponse pour la télévision « en ligne». Si les FAI (fournisseurs d'accès à Internet) y trouvent un intérêt économique il pourra se développer rapidement. Bien entendu dans ce nouveau contexte le football national comme contenu exclusif de spectacle vivant, jouissant d'une énorme popularité dans notre pays devient stratégique. Il faut espérer que cette nouvelle situation puisse lui permettre de revaloriser ses droits sous-évalués actuellement. La seconde étape sera de revaloriser les autres sports. Il faut plutôt voir cette Web TV comme un laboratoire assez intelligent pour être prêt dès le jour J pour une diffusion hertzienne. Création d'un début de notoriété pour la chaîne, training live des équipes, test de programmes, préemption de droits exclusifs, vitrine pour des producteurs de contenus internationaux, etc? C'est aussi une manière astucieuse de faire son lobbying politique par la preuve visible de son engagement à devenir un acteur professionnel de la TV.