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Après le succès planétaire de
son précédent opus Le Caire Confidentiel, le réalisateur suédois d'origine
égyptienne Tarik Salah revient avec un film tout aussi audacieux : L'enfant du
Paradis.
Quel étrange cas que celui de Tarik Salah. À la fois docteur Maboul et mister Hype. D'où sort-il ? Qui est-il vraiment ? Pourquoi personne ne l'a vu venir ? Et, surtout, comment se fait-il que les redoutables services de renseignements égyptiens n'arrivent pas à neutraliser cet électron dangereusement libre qui s'inspirent directement de leurs frasques pour écrire et réaliser des polars poisseux aux standards internationaux et modernes? Accusé de «nuire à l'image de l'Egypte», Tarik Salah est interdit de séjour dans son pays d'origine et ses films y sont tout aussi interdits. En 2017, dans le surprenant Le Caire confidentiel- qu'aucune plateforme n'ose aujourd'hui prendre de peur de se fait bannir d'Egypte et du marché arabe, mais qui a rempli les salles de cinéma un peu partout dans le monde en glanant ici et là des prix mérités, Tarik Salah dénonçait à partir d'un fait-divers glauque la corruption du pouvoir autoritaire égyptien? La force de ce cinéaste est de s'attaquer à des sujets sensibles, autrement dits politiques, mais en se gardant de sombrer dans les travers du cinéma militant de dénonciation. Ses films sont des polars nerveux et bien ficelés comme on en produit de Hollywood à Séoul. Avec Boy from Heaven, l'énigmatique TS décroche son ticket pour la très convoitée compétition officielle du plus grand festival de cinéma. Exposition maximale donc. De quoi rendre fous de rage quelques gradés au pays -et au sommet- des pyramides. Et comme à chaque fois qu'un film est très attendu, la déception n'est jamais très loin. Boy from heaven, Un enfant du paradis, se dévoile avec un atout en moins, la surprise, qui a grandement joué dans le succès de son premier film. Pour tout le reste Tarik Salah persiste et signe un nouveau long-métrage qui confirme son talent. Sans jamais sortir du cadre du thriller, genre qu'il affectionne visiblement, il met au service du cinéma mondial le côté sombre des services de sécurité égyptiens, validant au passage pour que la fiction reste le meilleur moyen pour rattraper et restituer le réel dans les territoires où il faut demander des autorisations de tournage. Avec Boy from Heaven Tarik Salem maintient le cap, quitte à décevoir ceux qui en attendaient plus. Surtout que le sujet du film aurait pu fournir au réalisateur l'occasion d'aller au delà du polar bien huilé, car sa toile de fond est la lutte intestine que se livrent depuis des décennies deux pouvoirs distincts en Egypte, celui politique et militaire face au pouvoir sacré, incarné par l'université islamique d'Al-Azhar, le phare de l'Islam pour les sunnites. «Il ne saurait y avoir deux pharaons dans ce pays» dira dans une scène clé de L'Enfant du Paradis le big boss des basses manoeuvres au ministère de l'intérieur. L'Enfant du paradis du film, c'est Adam, le jeune protagoniste que Tarik Saleh a bien raison de ne jamais lâcher durant les 2h d'actions bien orchestrées que dure le film. Fils de pêcheur dans un petit patelin où sa modeste famille vit loin du vacarme du Caire, Adam découvre un autre monde quand il décroche une bourse pour aller étudier à l'Université islamique d'Al-Azhar. À peine arrivé dans la grande institution, le jeune candide assiste à la mort du grand imam. La vacance du pouvoir à la tête d'Al-Azhar va déboucher sur une guerre larvée entre modérés et salafistes, et surtout entre le régime politique déterminé à placer son candidat docile et l'université prestigieuse fière de son indépendance relative vis à vis des politiques. On peut compter sur les services de sécurité du pouvoir policier pour faire bien mal les choses : corruption et chantages en tous genres, pressions psychologiques et tortures physiques, assassinats maquillés et complots ourdis. L'enfer est dans les sous-sol d'Al-Azhar et Adam, pris entre plusieurs feux, est contraint de jouer l'espion à l'intérieur de l'institution? Ce n'est pas «Au nom de la rose» en terres d'Islam, même si la comparaison est flatteuse, c'est beaucoup mieux que ça ! On n'en dira pas plus pour ne pas spoiler le film qui arrivera bien un jour à votre disposition. Pas plus qu'on ne dénoncera ici les confrères égyptiens qui sont allés voir Boy from Heaven presque en cachette, en priant de ne pas être vus par d'autres confrères égyptiens. Et on ne leur en voudra pas d'avoir unanimement descendu le film, «peu crédible» selon eux, sous prétexte qu'il a été tourné en Turquie et joué par des comédiens non égyptiens (Comme d'ailleurs pour Le Caire Confidentiel qui a été tourné au Maroc). On ne pardonnera pas en revanche à ceux qui pour étayer leurs analyses fumeuses rappellent que la mère du réalisateur est suédoise. Qui est Tarik Saleh? Quelle est son histoire, quel est son itinéraire ? Le festival de Cannes sert aussi à répondre à ce genre de questions. Né à Stockholm en 1972, Tarik Salah a commencé sa carrière artistique sous le pseudonyme de Circle and Tarik et dans le graffiti. Sa fresque Fascinate réalisée en 1989 serait une des plus vieilles peintures de graffiti dans le monde, et la premier à être protégée par l'État de Suède. Il a ensuite lancé des magazines, presse écrite et télé, réalisé des reportages et des documentaires dont un, sur la mort du Che -Who betrayed Che Guevara ?-a suscité des controverses et un autre, sur les camps de détention de Guantanamo, a remporté des prix. Son premier long-métrage de fiction réalisé en 2009 est un film d'animation et en 2014 il réalise Tommy qui se passe entièrement dans les sous-sols de Stockholm. En 2017, à défaut de pouvoir retourner en Egypte, où il est persona non gratta pour avoir été trop proches des révolutionnaires de la place Tahrir, il tourne au Maroc Le Caire Confidentiel qui marque un tournant majeur dans sa carrière. |
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