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Les vicissitudes
de la vie m'ont amené à endosser le statut de parent d'élève, à un âge
relativement avancé. Ma fille, qui va avoir 6 ans, est en effet en classe
préparatoire et s'apprête à affronter et l'école et la vie. Je suis donc
condamné, bien malgré moi, à être parent d'élève pour un bon bout de temps, et
comme il se doit, j'ai commencé à m'interroger et à interroger ce nouveau
statut que les circonstances m'ont fait endosser, de me sentir responsable du
devenir scolaire d'un enfant.
Un enfant! Ah la belle affaire! Comme dirait Brel. Ce n'est pas rien. C'est le meilleur cadeau qu'on puisse recevoir dans la vie. C'est aussi sa propre vie qui continue à travers son enfant, mais c'est surtout une lourde responsabilité de l'accompagner dans sa lutte pour la vie, pour en faire un humain digne et libre, ensuite un citoyen responsable, ensuite un «Homo economicus» performant et utile à son pays. Tous les matins, je suis donc mêlé aux parents d'élèves d'une école primaire qui accompagnent leurs enfants. De jour en jour, je me suis habitué à cette ambiance matinale faite de cris, de rires, de cavalcades de ces petits enfants qui se précipitent vers le portail d'entrée, le cartable en bandoulière. Je me sentais, cependant un peu gêné, et quelque peu «anachronique» devant ces parents d'élèves qui sont tous beaucoup plus jeunes que moi. Et alors je me mis à penser que ces mêmes parents d'élèves, il n'y a pas si longtemps, étaient eux-mêmes sur les bancs de l'école. Ont-ils, seulement, ces parents d'élèves, la distance nécessaire pour s'interroger sur le contexte scolaire dans lequel ils envoient leurs enfants? Et ont-ils seulement la faculté de le faire, sachant qu'eux-mêmes sont passés par le rouleau compresseur du conditionnement idéologique, du prosélytisme islamiste et du lavage de cerveau? Peuvent-ils seulement mesurer la distance astronomique qui sépare les contenus scolaires de l'école primaire algérienne des contenus des écoles primaires des pays leaders, en matière d'éducation? Ont-ils seulement une idée des méthodes pédagogiques appliquées à leurs enfants, qui s'apparentent plus aux logiques carcérales et au charlatanisme de bazar qu'aux méthodes idoines du socioconstructivisme qui sont en pratique partout ailleurs où on a conscience de former des êtres humains? Savent-ils seulement comment, sous d'autres cieux plus cléments, s'organisent, agissent et proposent les parents d'élèves autrement plus chanceux? Ont-ils, enfin, suffisamment conscience de leur responsabilité et de leur mission envers leurs enfants? Font-ils plus pour leurs enfants que n'ont fait pour eux leurs parents? J'ai commencé donc à interroger, d'abord le contexte national. Les parents d'élèves en Algérie ont-ils une voix? et si oui, est-ce que cette voix porte assez loin et assez haut pour être entendue? Et si elle est entendue, a-t-elle une influence quelconque sur le mieux-faire, le mieux-être, le mieux-devenir de l'école algérienne? J'ai donc, comme disent nos jeunes, «googuelisé» ces différents questionnements et exploré les médias pour avoir des réponses. Eh bien, contre toute attente, je n'ai pas eu de réponses! Le calme plat. Le désert désolant. La nuit noire. Le silence sur toute la ligne. Les parents d'élèves n'existent pas en Algérie et n'ont jamais existé. Il y a une aphonie persistante, pour le moins surprenante, qui témoigne sans ambages d'une démission franche, coupable et historique, envers nos enfants, qui fait la honte du peuple algérien, dans son ensemble, et celle de ses élites et de ses intellectuels, en particulier. A titre d'exemple, il n'y a pas un seul site algérien sur Internet dédié aux parents d'élèves, et même dans les sites institutionnels, notamment celui de l'Education nationale, il n'y a pas un seul espace dédié aux parents d'élèves. Je n'ai trouvé, ni dans l'Internet, ni dans les médias écrits, aucun rapport, aucune réflexion, aucune analyse, aucune proposition construite, qui aurait émané de quelque association algérienne de parents d'élèves. Le calme plat, je vous dis, hormis quelques vagues déclarations d'intentions qui valent à peine la salive dépensée pour les formuler. En revanche, dès que j'avais questionné le contexte international, j'ai été submergé, assailli, étouffé par le vacarme que font les parents d'élèves dans beaucoup de pays proches et lointains, par les analyses et les prospectives qu'ils réalisent sur les systèmes éducatifs, les projets qu'ils proposent aux décideurs, les chartes et les valeurs qu'ils défendent à travers leurs associations et fédérations, les revendications et les exigences qu'ils formulent dans le cadre des réformes des systèmes éducatifs. Les espaces d'information, les réseaux sociaux et les médias qu'ils investissent pour faire entendre leur voix et se poser comme force de proposition et de changement. Et alors j'ai compris qu'il y a un problème en Algérie. Nous ne sommes pas comme tous les autres peuples. Nous nous taisons là où les autres parlent. Nous nous cachons là où les autres s'exhibent. Nous sommes aveugles là où les autres scrutent. Nous acceptons ce que les autres refusent. Nous refusons ce que les autres acceptent. Et je ne sais par quel tour de magie noire nous arrivons à transformer dans nos têtes le bien en mal et le mal en bien. Et surtout, nous offrons nos enfants, en toute duplicité, en toute complicité, à un contexte scolaire que nous savons, pertinemment, pourri jusqu'à la moelle, gangrené par les idéologies néfastes, les jeux de pouvoir, les prosélytismes divers, les incompétences, les médiocrités, les mensonges, la violence pédagogique (avant même qu'elle soit physique), les conditionnements cérébraux et l'idiotie ambiante. Votre petit «bout-de-chou», à partir du moment où il franchit le seuil de l'école, ne vous appartient plus, il appartient à «l'Etat». Il y a, carrément, un transfert de propriété et un abandon parental, le temps d'un horaire scolaire. «L'Etat» pourra faire ce qu'il veut de l'enfant, lui dire ce qu'il veut, le manipuler comme il veut, le malmener comme il veut, sans que jamais l'avis du parent ne soit sollicité. Pire encore, les parents sont trop contents d'envoyer leurs enfants à l'école juste pour monnayer un peu de tranquillité. La scolarité de l'enfant est une « boîte noire » pour les parents, un mystère impénétrable. Combien de parents suivent leurs enfants et s'inquiètent de ce qu'ils reçoivent comme éducation? Et même s'ils le font, ils essayent de « corriger le tir », un tant soit peu, à leur niveau, s'ils le peuvent, sans jamais poser le problème à « l'Etat » et le responsabiliser. Ce petit « bout-de-chou », à partir du moment où il franchit le seuil de l'école, est en danger moral. Il se retrouve sans défense devant toutes sortes d'agressions et de violences, qu'on ne peut ni nier ni cacher désormais, institutionnalisées dans les programmes, les méthodes, les pratiques pédagogiques et les comportements, à travers tous les paliers de formation. Il se retrouve dans un contexte scolaire où l'autorité, l'exercice de la force, la misogynie, le machisme, la coercition, la punition, la souffrance, la peur, la sanction, le chantage, la menace sont érigés, officiellement, en valeurs suprêmes et en moyens d'éducation. Et tout cela, sans qu'un seul parent d'élève, à travers toute l'Algérie, ne lève le petit doigt! Comment reprocher, ensuite, à un écolier d'être violent? L'écolier réagit par la violence parce qu'il ne se sent pas protégé, tout simplement, ni par l'Etat ni par ses parents. Il reproduit, prolonge et répond, logiquement si on puisse dire, par les comportements que lui a inculqués son propre contexte scolaire, lui-même fondamentalement générateur de violence, d'intolérance et de discrimination. Tout se passe comme si, dans la tête des Algériens, instruction et éducation doivent passer, nécessairement par souffrance, violence, soumission et obéissance chez l'enfant. Il y a comme un transfert, vers l'école de la République, du « modèle coranique », celui de la « falaka », retenu dans la conscience collective, contre toute logique, comme référence et intronisé comme modèle idoine d'apprentissage. Il s'ensuit que le parent algérien n'est pas du tout choqué de soumettre son enfant aux effets et aux méfaits de la violence et de la contrainte si cela permet, à ses yeux, d'assurer la réussite scolaire. Or ce qui paraît quelque peu compréhensible au niveau de l'approche individuelle, ne l'est pas du tout quand il s'agit des performances globales du système éducatif algérien. L'école algérienne est génératrice d'un taux d'échec scolaire hallucinant, tandis que pour les plus chanceux la réussite se fait au prix de multiples déstructurations psycho-sociales, sous-qualifications, sous-ambitions et autres émargements au banc du chômage, de la délinquance et de la marginalisation sociale. Alors, je me suis posé les questions suivantes: quelle est la situation des associations de parents d'élèves par rapport à ces problématiques? Quelles sont leurs attributions et leurs rôles? Est-ce qu'un cadre structurel existe en Algérie? Et s'il existe vraiment, est-il représentatif des attentes, des aspirations, et conscient des véritables enjeux générationnels du système éducatif algérien? Le pays compte, environ, 26.500 établissements éducatifs qui accueillent plus de 8,7 millions d'élèves. Il y a, seulement, selon des estimations disparates, difficilement obtenues, entre 300 associations de parents d'élèves d'établissement (selon des données de presse) et 14.000 associations (selon les estimations, manifestement, gonflées de l'Education nationale), dont la majorité ne comptent que quelques dizaines d'adhérents. Il y a, également, quelques Unions de wilaya, une Union nationale et une Fédération nationale des parents d'élèves. Voilà pour le cadre structurel et le compte est vite fait: si la presse dit vrai, il existe donc 1 association pour 88 établissements éducatifs et 1 association pour 29.000 élèves! Il est vraiment difficile de faire mieux en matière de démission des parents d'élèves! Honte à nous, honte à vous, parents d'élèves de délaisser, ainsi, vos enfants au moment où ils ont le plus besoin de votre protection. Nous sommes, vous êtes, ils sont, tous autant que nous sommes, en situation de non assistance à enfant en danger moral. En réalité, il est clair que cette configuration associative des parents d'élèves, qui s'apparente plus à la coquille vide qu'à l'œuf bien rempli, n'a jamais eu comme vocation de protéger les élèves, de défendre leur école et de sauvegarder leurs intérêts, quoiqu'en disent ses responsables. Elle sert à quoi alors, me direz-vous? Eh bien c'est seulement un instrument supplémentaire, parmi d'autres, qui contribue aux malheurs persistants de l'Ecole algérienne. Ce cadre associatif est là pour cautionner, par ses silences et ses alliances, les projets inavouables mis en œuvre, dans l'école, par les forces politiques, idéologiques et religieuses, qui sont, d'ailleurs, en indue occupation, ou au contraire pour s'agiter violemment contre tout vent du changement, du renouveau et du sauvetage de l'Ecole algérienne. Il s'agit donc d'une sorte d'instrumentalisation éhontée du cadre associatif, qui se déroule dans le dos et à l'insu des principaux intéressés, les parents d'élèves, en l'occurrence, au nom de sacro-saintes « constantes nationales », « valeurs traditionnelles », et autres « référents spirituels » qu'on nous fabrique dans des usines à idéologies à défaut de pouvoir (ou de vouloir) nous fabriquer de la liberté, de la citoyenneté, de la dignité et de l'authenticité. Ces associations ont joué et jouent, encore, le rôle de paravent entre les défaillances historiques de l'Etat algérien, à gérer convenablement une Institution éducative républicaine civile selon les lois de la République, une Institution qu'il a laissée pourrir au nom des compromissions et des arrangements avec les forces de l'islamisme, du négationnisme, du nihilisme et de l'obscurantisme, et d'autre part, la démission coupable, peureuse et honteuse de la famille algérienne envers ses enfants. On retrouve, ici, un des effets pervers de «l'Etat-providence», cet Etat-providence, omnipotent, qui veut tout naturellement, en contrepartie de ses subsides rentiers, mettre tout un peuple en situation d'handicap assisté, d'apathie pathologique, hors d'état de produire de l'intelligence, des idées et de l'autonomie. «L'Etat-providence» préfère, en effet, avoir affaire à un peuple de «sujets assujettis», malléables et corvéables à merci, plutôt que de produire des citoyens libres, dignes, conscients, responsables et autonomes. On peut, légitimement, se demander ce qui a pu, depuis que ces associations existent, nous amener à cette situation? Comment peut-on s'expliquer que des millions d'Algériens abandonnent leurs enfants aux « bonnes grâces » de l'Etat algérien? Qu'ils constatent, d'année en année, et depuis 50 ans, la faillite du système éducatif algérien, et la faillite de leurs propres enfants, sans réagir? Comment notre élite intellectuelle nationale, si toutefois elle existe, n'a-t-elle pas tiré la sonnette d'alarme, depuis bien longtemps, comme il est de son devoir? Eh bien tout simplement parce que nous sommes arrivés, dans le cycle de la décadence, à boucler 3 générations d'Algériens conditionnés, complètement déconnectés de la rationalité, de la modernité, de l'humanisme et de l'intelligence. Le modèle éducatif voulu, aussi bien par le pouvoir que par le «melting-pot» des nationalistes populistes, des pan-arabistes, des islamo-conservateurs et autres sectes aux commandes de ce pays, est arrivé au stade de sa propre auto-reproduction, c'est-à-dire à son point de non-retour. Une étude très intéressante menée par Bara Sid Ahmed (Maître de Conférences à l'Université de Tizi-Ouzou), qui mérite d'être reprise et généralisée, montre, en effet, deux traits essentiels de l'échec scolaire en Algérie: Le niveau d'intelligence des écoliers, très bas comparé à la norme internationale (79% de nos écoliers sont en-deçà de la norme), et le niveau d'instruction des parents, également très bas (82% des parents ont un niveau inférieur au Bac, 18% de niveau universitaire). Ces données, qui ne sont pas faites pour honorer le système éducatif algérien, montrent et expliquent du même coup pourquoi les parents d'élèves, eux-mêmes, ne sont plus en mesure de « penser » l'école de leurs enfants. C'est parce qu'eux-mêmes ont été mis en situation d'incapacité intellectuelle par cette même école. Les parents réagissent naturellement, en tant que « sujets assujettis » au lieu de le faire en tant que citoyens, non pas faute de volonté mais faute de capacité. Alors, y a-t-il encore un espoir de voir les parents d'élèves réagir par rapport à cette problématique de l'Ecole algérienne? Plus généralement, y a-t-il, encore, espoir de voir d'autres composantes décisives, l'Etat, le Pouvoir, le Régime, les Partis, les ONG, la Société civile, prendre leurs responsabilités et réagir dans le bon sens, dans l'intérêt de notre pays et de nos enfants, pour positionner notre école et l'orienter dans le sens de la marche de l'humanité? Eh bien très sincèrement, je ne vois aucunes prémices de bon augure, lorsque j'analyse les dynamiques internes à notre pays, les postures et les comportements de ces composantes. Aucun signal encourageant n'est émis dans le sens d'une réforme authentique et scientifique de l'Ecole algérienne. Au contraire, la problématique de l'Ecole algérienne est fuie comme la peste aussi bien dans les discours officiels que dans les discours partisans, quelles que soient les tendances politiques ou idéologiques. Personne ne veut parler franchement et ouvertement de l'école au risque de mettre sa main dans le « panier à crabes ». La phobie d'un débat franc et ouvert est générale. A preuve, durant toute cette campagne des législatives, aucun parti, aucune alliance, n'ont mis ou émis un projet de réforme de l'Ecole algérienne, qu'il soit bon ou mauvais. Alors si les dynamiques internes ne sont pas prêtes à produire une réforme, d'où faudra-t-il espérer le salut? D'où va venir le changement tant attendu? Ça sera alors les « dynamiques externes » qui vont l'imposer, mais à quel prix et sous quels risques? Il faudra certainement attendre ce moment, plus proche qu'on ne le pense, où le pétrole ne paiera plus, où les réserves de change auront fondu, où l'économie de rente se serait grippée, où le réchauffement climatique aura désertifié le pays, où nos entreprises peineront à trouver la ressource humaine compétente et qualifiée, où nos familles auront des difficultés à nourrir leurs enfants. On s'apercevra, alors, que le trop-plein de croyances, d'idéologies, de mythes, de fanatismes, de fatalismes, qui ont trop longtemps masqué des logiques économiques rentières et prédatrices, ne produisent rien et ne nourrissent pas. Nous entrerons, alors, dans une ère de vérité. Il nous faudra alors réinventer «de novo» cet Algérien rationnel, scientifique, compétent, travailleur, responsable, amoureux de la liberté, de la dignité, de l'authenticité, qui prendra en charge son pays et son peuple, pour les mener au rang qu'ils méritent dans le concert des nations. *Professeur des Universités et parent d'élève - Université de Mostaganem |
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