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Un autre monde n'est peut-être pas possible, mais avec «Timbuktu», puissante fable du Mauritanien Abderahmane Sissako qui se déroule dans le Nord Mali sous occupation des djihadistes islamistes, une autre palme d'or est désormais possible. Une palme diamant noir. L'Afrique revient en force et notre envoyé spécial est, à l'instar des 2000 journalistes accrédités, encore sous le choc. C'est ce qu'on appelle recevoir une grande claque. Et sans être maso, des claques comme ça font du bien. Huit ans après «Bamako», le réalisateur mauritanien revient au Mali avec un film d'une rare puissance poétique où la violence hypertendue du sujet (le Nord Mali occupé par des intégristes) n'affecte en aucun cas sa splendide plénitude soufi inspiré (pour ne pas dire habité). Si «Timbuktu» est beau et émouvant, c'est tout à la fois parce que le réalisateur a su humaniser un monde qu'on croyait définitivement coupé en deux, entre les bons et les méchants, interchangeables selon le point de vue d'où on se place, mais jamais semblables, jamais assimilables. Dire que Sissako les confond est peut-être le mot le plus approprié, à condition d'accepter toutes les définitions du terme. Pour autant le film ne renonce jamais à montrer la barbarie telle qu'elle est : bêtement humaine, dangereusement familière, horriblement banale. Vous l'avez compris, au spectaculaire Sissako a préféré la profondeur. Nous voilà à la sortie de la projection saluée comme il le faut par un tonnerre d'applaudissements, totalement secoué au point de regretter amèrement tous les pré-articles qui annonçaient un film de commande ou un film de dénonciation, ou encore un film d'actualité. Mea culpa, et mille coups de fouets mérités, car non seulement «Timbuktu» est le film le plus juste qu'on puisse faire sur Tombouctou prise en otage par les intégristes du désert, mais il dépasse très vite son cadre d'actualité pour s'inscrire dans l'histoire du cinéma, c'est à dire l'histoire de la représentation de l'humanité. Il faut désormais, pour continuer cet article écrit à la va vite, à chaud, suivre le cours de ce précieux film envoutant en essayant si possible d'épouser sa philosophie. D'abord ranger sa panoplie de mots enflammés et de formules toutes faites qui crient au chef-d'oeuvre, à la mise en scène maitrisée, aux idées novatrices qui irriguent ce film d'une gracieuse sérénité. Tout ceci est vrai, mais l'important est ailleurs. Disons alors les choses le plus simplement possible: «Timbuktu» est à l'Afrique d'aujourd'hui ce que fut «Les Temps modernes» à l'Amérique de Chaplin, un regard contemporain et africain qui, au delà de son cadre spécifique, est une oeuvre de «tous les temps et tous les univers» comme dirait Baudelaire dans «Les Fleurs du Mal», beau titre qui aurait parfaitement collé au propos du film sélectionné en compétition officielle si Sissako cherchait à faire «beau», ce qui n'est heureusement pas le cas. - Film universel et choral, «Timbuktu» tourné dans le désert mauritanien est aussi la plus belle toile jamais réalisée sur ce qu'on appelle communément la mondialisation. Les scènes où les protagonistes sont obligés de passer par des traducteurs pour tenter de communiquer (arabe, Bambara, Tamachek) résument dans le dénuement du désert le chaos planétaire actuel, la belle promesse du village global se transformant en enfer mondial. Venons en vite à la scène de la lapidation à mort de deux jeunes maliens, dans la petite ville d'Agelhok au prétexte qu'ils n'étaient pas mariés. Ce fait réel est certes le point de départ de cette envie du réalisateur de faire ce film avec l'appui et toute la confiance de sa productrice Sylvie Pialat, l'une des plus audacieuses du moment (l'année dernière elle présentait ici le très dé-culotté film d'Alain Guiraudie «L'Inconnu du Lac»). Mais à aucun moment ce point de départ du projet ne constitue le point de focalisation du film. D'abord voulu comme un documentaire, le film comme s'il s'élevait vers le ciel improvise une fiction qui carbure à tous les ingrédients de la vie: l'humour et l'amour, la fatalité et la mort, musiques et silences, récit linéaire et petites échappées belles. La violence sèche du postulat de base devient une ode à la vie...Ici une famille touareg et son troupeau, là un lac où sont tendus les filets d'un pêcheur noir, et en ville des djihadistes pied-nickelés dans leurs pick-up chargés de kalashs tentent de faire régner un ordre cruel et absurde dont ils sont les premiers à se demander à quoi il correspond. Il y a au moins une scène onirique qui restera à jamais une des plus belles de l'histoire du cinéma, des enfants qui jouent au foot, mais sans ballon, interdit par les djihadistes. Lors d'une émouvante conférence de presse le réalisateur n'a pas pu retenir ses larmes. Au public enthousiaste il a tenu à préciser que «Les vrais héros, ce ne sont pas les militaires de l'opération Cerval et surtout pas moi ou les réalisateurs qui récupèrent les histoires et les vécus de ceux qui ont réellement résisté face à la barbarie». «Je considère que le cinéma est un langage que chacun peut parler avec sa propre intonation» a en outre déclaré Aberrahmane Sissako. Le réalisateur de ce premier choc du Festival de Cannes ne se sert pas seulement de tous les codes du langage cinématographique pour tisser sa toile, il y injecte de sa touche toute personnelle la philosophie et la culture du continent longtemps oublié à Cannes. Une manière de concevoir le monde, qui n'en doutons pas, est de celles qui pourraient peut-être un jour sauver le monde. |
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