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Ne lui dites
surtout pas que le festival de cette année est son dernier Cannes, il ne le
supporterait pas. Gilles Jacob, le très emblématique président du Festival
International du Film, 83 ans -dont 36 passés aux manettes du prestigieux
festival-, va certes passer le flambeau à la fin de cette 67ème édition- son
successeur désigné, Pierre Lescure, 69 ans, prendra officiellement ses
fonctions le 26 mai- mais Gilles Jacob restera président d'honneur de la
manifestation et continuera à diriger la cinéfondation.
- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Lors de la conférence de presse de présentation des films retenus pour l'édition de cette année, en annonçant la projection de "Paris Texas" de Wim Wenders, dans le cadre de Cannes Classic, 30 ans après sa palme d'or, personne ne se souvenait qui présidait le jury cette année là, ni vous ni Thierry Frémaux, le délégué général, et encore moins les journalistes pourtant nombreux qui étaient présents. La palme d'or en 1984 a été décernée à Wim Wenders par l'immense comédien Dirk Bogarde, président du jury, et remise sur scène par Faye Dunaway, merci internet. Est-ce à dire qu'on oublie tout, ou que l'on ne retient que les noms des présidents de jury ayant décerné une palme d'or contestée ? - GILLES JACOB: Si nous parlons de la mémoire, elle diffère selon les personnes et les âges de la vie. Elle peut être immuable sur un évènement qui nous a touchés particulièrement, notamment la santé, la nôtre ou celle de nos proches, (par exemple le jour où j'ai failli me noyer), elle peut être visuelle, sonore, que sais-je? En ce qui me concerne, je suis imbattable sur tous les films que j'ai vus dans les années 50, 60, 70, c'est-à-dire en des temps anciens - même des films moyens voire des navets. Et pourtant, je peux vous réciter par cœur beaucoup de plans de La Règle du jeu par exemple, ou de l'Assassin habite au 21 (pas des navets, d'accord), ou vous dire les principaux comédiens d'un film complètement oublié aujourd'hui : disons: La rivière des 3 jonques, d'André Pergament. Ça vous épate? C'est comme ça. - LE QUOTIDIEN D'ORAN: En Algérie, les cinéphiles se souviennent que la palme d'or pour "Chroniques des années de braise" de Mohamed Lakhdar-Hamina a été attribuée en 1975 par un jury présidé par Jeanne Moreau. La seule palme d'or algérienne, donc ça ne s'oublie pas? Avez-vous d'autres souvenirs de cette année-là ? - GILLES JACOB : Je n'ai pas de souvenir particulier qui remonte à mon esprit si on me cite une année n'importe laquelle. En revanche, si vous évoquez un évènement survenu cette année-là, soit que j'en ai été témoin soit que j'ai lu ou entendu des choses à son sujet, je pourrai parler des heures - j'exagère: des minutes, non je charrie: des secondes, beaucoup de secondes... - LE QUOTIDIEN D'ORAN: Près de trente ans après "La dernière image", en compétition à Cannes en 1986, Lakhdar Hamina revient au cinéma avec un nouveau film " Le crépuscule des ombres" qui n'a pas été retenu par le festival. Même pas hors compétition, ce qui provoque quelques remous en Algérie? Avez-vous un commentaire à faire ? - GILLES JACOB : Je ne l'ai pas vu puisque depuis 2004 et après 28 ans de délégation Générale, je ne sélectionne plus les films étant devenu président et ayant inévitablement d'autres tâches. Il faudrait poser la question à Thierry Frémaux qui a pris la décision de ne pas le retenir. C'est lui aujourd'hui le délégué général qui est notamment en charge de la sélection. Bien sûr, il faut respecter la règle du jeu mais je comprends parfaitement la déception de l'auteur, de sa famille et des personnes dont vous parlez. D'autant que Lakhdar est un cinéaste à qui l'on reconnaît - à juste titre - un sens du lyrisme, de l'épopée et de la mise en scène, qualités qui lui ont valu la seule palme d'or de son pays et la considération des journalistes, des professionnels et des cinéphiles, moi y compris. Après, il faut attendre que les critiques aient vu le film pour savoir si selon eux il y aurait eu erreur. - LE QUOTIDIEN D'ORAN: Depuis quelques années, il n'y a plus de critiques dans les jurys de la compétition officielle; est-ce à dire que l'âge d'or de la critique est définitivement révolu pour vous ? - GILLES JACOB : Non, je suis d'avis que le festival réintègre un très grand critique dans le jury. Y en a-t-il encore? Sûrement. A nous de les trouver. J'ai pourtant des souvenirs désagréables de certains critiques jurés, comme ceux qui voulaient expliquer ce qu'était un travelling à de grands metteurs en scène. D'abord polis puis agacés. Ah! Ah! Ah! Vous imaginez la scène! Il faut que les critiques choisis fassent bénéficier les autres jurés de leur expérience cinématographique mais sans les lasser, sans leur faire des speeches interminables. Affaire de doigté, de finesse, de modestie. Je suis sûr que cela se trouve et on peut les tester dans d'autres jurys au préalable. - LE QUOTIDIEN D'ORAN: Aux dernières élections municipales, deux listes divers droites sont arrivées en tête à Cannes, la liste de David LISNARD l'a remporté avec 58,97 des suffrages exprimés. En troisième position la liste du Front National. Que feriez-vous si le FN était en mesure de remporter un jour une ville comme Cannes? La question fut posée cette année à Avignon où le score du FN était haut. Entre les deux tours, Olivier Py qui dirige le prestigieux festival de théâtre d'Avignon était prêt à délocaliser le festival ou de démissionner plutôt que de travailler avec une mairie FN. Qu'en pensez-vous ? - GILLES JACOB : Je ne me suis pas posé la question parce qu'elle ne se posait pas: je connais bien David Lisnard, ses qualités propres, sa puissance de travail, ses résultats et je ne doutais pas une seconde de sa réussite - d'ailleurs obtenue haut la main. Si, par cette hypothèse que vous avancez, le Front National était passé, j'aurais posé au nouveau Maire la question de confiance pour savoir si selon lui le festival pourrait continuer à travailler en toute indépendance avec les mêmes financements, les mêmes structures, la même équipe, ceci pour conforter mon successeur, puis j'aurais remis ma démission à notre Conseil d'Administration. - LE QUOTIDIEN D'ORAN: Dans votre livre de souvenirs, " La vie passera comme dans un rêve" il y a des beaux passages sur le train Cannes-Paris que vous empruntiez jadis en tant que critique accrédité, et les rencontres que vous faisiez à l'époque avaient le charme des films américains des années 40/50? Aujourd'hui le train est de plus en plus rapide, trop rapide pour laisser s'installer une histoire d'amour à la Capra, le regrettez-vous ? - GILLES JACOB : Vous faites allusion au Train bleu, le train de nuit avec wagons-lits propices aux rencontres réelles ou rêvées - j'ai raconté des rencontres rêvées dans un autre de mes livres Le Fantôme du Capitaine. Elles avaient en effet le charme des Capra et aussi d'un film célébrissime de Hitchcock. Ce train n'existe plus: bien sûr que je le regrette mais qui vous dit qu'en 5 heures - le temps que le TGV met pour relier Paris à Cannes, qui vous dit que cette belle jeune femme en face de moi qui fait semblant de lire un magazine et sur laquelle de mon côté je jette des regards furtifs et concupiscents, qui vous dit qu'au bout de 5 heures, arrivés en gare de Cannes, cette jeune femme décidément tout à fait ravissante, ne se laisse pas déposer à l'hôtel Carlton où justement je descends. Qui lo sa ? |
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