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De l'authenticité rurale au renouveau agricole

par Farouk Zahi

La conférence nationale sur l'agriculture, tenue récemment à Biskra, est certainement l'une des rares conférences de cette envergure à avoir quitté les sentiers battus. Faisant délibérément fi de la virtualité, elle a collé au terrain. Le choix du lieu n'étant assurément pas fortuit, ceci ne peut être révélateur que d'une recherche assoiffée d'authenticité dont le milieu agraire en a été sevré par des artifices, le plus souvent, venus d'ailleurs. Au pied des piémonts des expugnables Aurès, toute une symbolique, la cité d'adoption de Ben M'Hidi a réuni, ce qu'on pourrait qualifier, d'Etats généraux du monde agropastoral du pays. En plus de ce particularisme historique, cette wilaya, réputée pourtant pour être semi aride, a damé le pion aux Mitidja et autre Cheliff. Anciennement connue pour sa datte, elle supplante les régions traditionnellement agricoles et prend la tête du peloton en matière de primeurs sous serres. La large représentativité, deux délégués par commune, le nombre impressionnant de participants et la visée didactique, feront de ce regroupement national un événement que le monde rural ne sera pas prêt d'oublier de sitôt. Il était notable de relever que dans la représentativité communale, les buts recherchés étaient loin d'être un simple souci d'ordre d'équilibrage démocratique stricto sensu, mais une volonté de faire rencontrer le fellah d'Aghbal dans le Chenoua à celui du Gourara des Adrar et celui des Reguibat de Tindouf à celui du Hodna. L'éloignement géographique, s'est effacé devant le credo commun, celui du travail de la terre ou de l'élevage. Il y aura toujours les contradicteurs habituels, dont la rengaine est constamment jouée sur le même orgue de barbarie, pour dire que l'intention première s'inscrit indubitablement dans le registre de la campagne préélectorale. Faisant comme si c'était le cas et alors ? Faut-il suspendre toute activité de développement à la veille de tout scrutin électoral ? Ou bien faut-il aller résolument vers la construction d'une entité nationale à même de transcender les clivages politiques et autres zizanies ? La mondialisation est inexorablement sans pitié pour les intérêts d'ordre chauviniste.

Quoiqu'on puisse en dire, les initiateurs de cette tribune ont eu la main heureuse pour donner à l'événement, toute la dimension de saine émulation en démontrant, qu'avec des moyens similaires et peut être moindres, une de nos contrées précédemment déshéritées a contredit toutes les idées reçues sur l'inefficience de notre appareil de production agricole. Cet événement est l'aboutissement logique d'un long et patient travail de proximité, débuté en 2005 et parachevé en 2007 sous forme de pyramide décisionnelle. Toute une machine logicielle informatique a été mise en branle. De la cellule communale d'animation rurale au bureau du Ministre en charge du secteur, l'information agricole est obtenue extemporanément à l'effet de rendre la décision appropriée et immédiate. L'implication de tous les acteurs est rendue effective par le flux d'informations multidirectionnel. Les contrats de performance par wilaya, ne sont pas une vue de l'esprit et augurent d'une volonté d'intégration économique de chaque circonscription, selon ses particularités propres, dans un processus de globalisation nationale. Des secteurs supposés travailler en symbiose pour l'acte agricole, se tournaient le dos, selon l'expression du premier responsable du secteur; ils sont conséquemment intégrés ou à intégrer dans une dynamique à même de rendre effective l'autosuffisance en produits céréaliers et laitiers à moyen terme. Le président de la République, en plus de l'annonce de plusieurs mesures prises au profit du monde agropastoral, a assurément mis le doigt sur la problématique du management du secteur. Il est enfin venu le temps où la mise en avant de la maîtrise des process de gestion, valable pour tout autre secteur, est abordée cette fois-ci par la plus haute instance du pays. A ce titre, il est fait de la réhabilitation des services en charge du secteur, un axe de travail incontournable. Si le secteur agricole absorbe les 200 milliards de DA par an, les moyens humains et logistiques demeurent en deçà de la manne financière allouée annuellement. Que l'on soit d'accord ou pas sur les mesures annoncées, dont l'effacement de la dette des agriculteurs et des éleveurs, le fait est que la plate-forme de Biskra consacre une réelle politique d'intégration agricole et rurale, chose qui a jusqu'ici pêché par insuffisance de visibilité et par conséquent de prévision prospective. Les tentatives antérieures, généreuses pour la plupart, ont manqué de cohérence ou de globalité et parfois même des deux à la fois. Elles ne se sont limitées qu'à des mesures immatures et le plus souvent inachevées.

L'effacement intégral de la dette agropastorale s'élevant à 41 milliards de DA a fait dire à d'aucuns, pour quelle raison ne ferait-on pas bénéficier de cette « grâce présidentielle » les crédits ANSEJ et ceux des commerçants ? La réponse est venue de la bouche même du premier Ministre, lors de son passage au « Forum de la télévision » ; elle est sans équivoque. Il rappelle à ce titre que le secteur a connu deux cataclysmes naturels et une sécheresse qui a duré près d'une décennie. Le réflexe de contracter une assurance n'étant pas encore systématisé dans nos campagnes, l'Etat prend encore sur lui les conséquences socioéconomiques des caprices de la nature. Il rappelle en outre, qu'à titre comparatif, le volume de cette dette est insignifiant par rapport aux 1500 milliards déboursés pour le secteur économique tout en ajoutant qu'ils n'ont pas été, par ailleurs, sans utilité. La ruralité, que sa connotation péjorative populaire a longtemps ostracisée, est un concept à réhabiliter dans les mentalités. Faut-il rappeler, à titre seulement illustratif, que Saoula et Draria à la périphérie d'Alger, rurales par vocation n'en étaient pas moins les fiefs des « Fahs », citadins de pure souche. Leur ruralité en faisait les pourvoyeurs de la cité urbaine en produits agricoles. Les métiers connexes accompagnaient la charrue : le forgeron, le charpentier, le tisserand, le tanneur, le teinturier et un tas d'autres petits métiers gravitaient tous, autour du travail de la terre. C'est à ce monde, qui n'est pas à créer, que s'adresse le renouveau. C'est à travers l'accompagnement que se fera le chemin, certes difficile, mais parcourable ; il nous suffit de l'éclairer pour mieux le visualiser. Interrogé par la chaîne nationale francophone sur le secret de son optimisme, Rachid Benaissa, à qui tout le monde reconnaît le caractère « tout- terrain », part d'une réplique qui ne fait aucun doute sur les convictions de cette personnalité : « Ecoutez, en mettant sa graine sous terre, l'agriculteur est, par ce seul geste, déjà optimiste. La germination dépendra ensuite de la climatologie et de la qualité de la graine !»